Les Éditos de l'AFEF

La résection hépatique laparoscopique : un nouveau paradigme dans la prise en charge thérapeutique du carcinome hépatocellulaire ?

Par : Ganne-Carrié Nathalie
Professeur - Hôpitaux Universitaires Paris Seine Saint-Denis, APHP et Université Paris 13

Du fait d’un traumatisme moindre sur la paroi abdominale et sur les organes abdominaux, permettant ainsi un meilleur contrôle de la douleur post-opératoire, la chirurgie laparoscopique a pris son essor au cours des dernières décennies. Appliquée initialement aux cholécystectomies, elle a été étendue au foie à partir de 1992.
La résection hépatique par laparoscopie est une technique reconnue comme sûre et efficace depuis la conférence de Louisville en 2008 ; elle reste cependant majoritairement pratiquée par des équipes expérimentées dans des centres spécialisés, par un nombre restreint de praticiens alliant la double expertise de la chirurgie hépatique et des techniques coelioscopiques, et manque encore certainement de standardisation. En l’absence d’essai randomisé comparant la résection hépatique coelioscopique et à la résection hépatique classique par laparotomie, le bénéfice de la voie coelioscopique n’a jamais été établi de façon formelle. Jusqu’à présent, les données de la littérature étaient restreintes à des séries rétrospectives comportant de faibles effectifs de patients ayant eu le plus souvent des résections hépatiques mineures de tumeurs périphériques, sans donnés évolutives à long terme, et les méta-analyses suggéraient un bénéfice post-opératoire à court terme de la voie laparoscopique avec de moindres douleurs pariétales, morbidité et durée de séjour. Il persistait néanmoins des réticences vis à vis de cette méthode avec des craintes de limitations carcinologiques pour l’obtention de marges adéquates et quant au risque d’essaimage tumoral sur les orifices de trocarts.

L’étude de Han et al. (1) récemment publiée dans Journal of Hepatology a comparé les résultats à court et moyen terme de la résection laparoscopique par rapport à la résection ouverte conventionnelle de CHC dans deux groupes homogènes de patients rigoureusement appariés par score de propension. Pendant une période de 10 ans (2004 -2013) au sein d’une cohorte de 389 patients consécutifs réséqués pour CHC dans le centre hospitalier universitaire de Séoul (232 par laparoscopie et 157 par laparotomie), deux groupes comparables de 88 patients ont été analysés. Dans chaque groupe, les patients inclus étaient appariés selon un score de propension prenant en compte tous les paramètres susceptibles d’influencer l’évolution comme les caractéristiques initiales des patients (âge, sexe, indice de masse corporelle), de leur tumeur du foie (nombre, taille et siège des lésions actives, traitement antérieur par chimio embolisation radiofréquence, importance de la résection hépatique (mineure versus majeure), présence de nodules satellites et/ou de micro invasion vasculaire jugée sur l’analyse anatomo-pathologique de la pièce opératoire), ainsi que de la cause et la sévérité de leur hépatopathie sous-jacente (albumine, bilirubine, ascite, transaminases, plaquettes, clearance du vert d’indocyanine).

Les patients analysés étaient des hommes dans 80 % des cas, âgés en moyenne de 60 ans, atteints de cirrhose compensée (Child-Pugh A dans plus de 85 % des cas), d’origine essentiellement virale B (70 % des cas). Quarante pourcent des patients avaient eu préalablement une embolisation intra artérielle ou une radiofréquence. Le CHC était unique dans plus de 75 % des cas, de 3 cm de taille moyenne (1 – 15), avec micro invasion vasculaire dans un tiers des cas et nodules satellites dans 15% des cas, situé dans le foie droit dans 70 % des cas (foie gauche 20 %, bi lobaire dans 10 %) et a fait l’objet d’une résection majeure 35 % des cas environ.

Le critère principal de jugement était le devenir oncologique à long terme. Après un suivi moyen d’environ quatre ans, une récidive était observée chez 43 patients du groupe laparoscopie et 46 patients du groupe résection ouverte sans différence significative entre les deux groupes (p=0.634). Il n’y avait pas de différence concernant le type de récurrence et le traitement des récurrences. La mortalité était comparable dans les deux groupes (19 patients du groupe laparoscopie et 22 du groupe réception ouverte, p = 0,595) avec des survies globales et sans récidive à 1, 3 et 5 ans non statistiquement différentes entre les deux groupes.

Les critères secondaires de jugement concernaient les paramètres opératoires (durée d’intervention, pertes sanguines, nécessité transfusionnelle) et le devenir à court terme des patients (durée de séjour hospitalier, complications post opératoires). La résection laparoscopique était associée à une durée de séjour hospitalier significativement moins longue (8 versus 10 jours, p< 0.001) et, de manière non statistiquement significative, à une durée d’intervention plus longue (305 versus 285 minutes, p = 007) avec de moindres pertes sanguines et nécessité transfusionnelle. La morbidité post-opératoire à 60 jours était significativement inférieure dans le groupe laparoscopie (12,5 % vs 20,4 %, p = 0,042) avec une moindre incidence complications pariétales (1,1% vs 5 ,7%) et d’insuffisance hépatique postopératoire (3,4 % vs 8,9 %). Il faut également souligner que les marges d’exérèse péri-tumorales étaient significativement plus grandes dans le groupe laparoscopie (1 cm versus 0,7 cm, p = 0,011).
Bien que mono centrique et limitée par son caractère rétrospectif, cette étude est à ce jour la plus robuste au plan méthodologique dans ce domaine. Elle confirme la « non infériorité carcinologique » à long terme de la résection coelioscopique du CHC par rapport à la résection par laparotomie et ses avantages à court terme. Ces résultats devraient inciter les chirurgiens à recourir à la voie coelioscopique autant que faire ce peut pour la résection du CHC, voie qui devrait permettre d’étendre les indications opératoires en particulier en cas d’hypertension portale modérée et pourrait faciliter la transplantation hépatique secondaire. Cette technique pourrait de plus être complémentaire de la radiologie interventionnelle et représenter une alternative satisfaisante à l’ablation percutanée en cas de CHC superficiel.

Référence

Han HS, Shehta A, Ahn S, Yoon YS, Cho JY, Choi Y. Laparoscopic versus open liver resection for hepatocellular carcinoma: Case-matched study with propensity score matching. J Hepatol. 2015; 63: 643-50.