Les Éditos de l'AFEF

Polluants environnementaux et hépatopathies, quelques données et éléments de réflexions.

Par : Samson Michel
Docteur - Inserm-IRSET U.1085, Institut de Recherche en Santé, Environnement et Travail, Equipe Infection, Immunité, Facteurs Environnementaux du Foie, Université de Rennes 1

Les expositions aux molécules chimiques présentes dans notre environnement et leur impact sur la santé humaine sont devenues une préoccupation en santé publique mais aussi sociétale puisque chacun à titre individuel s’interrogeant légitimement sur sa propre exposition à des polluants. En effet, au quotidien, l’Homme est exposé, par inhalation, ingestion ou voie cutanée, à un grand nombre de molécules chimiques de notre environnement, nommées xénobiotiques. Parce que le foie est un organe de détoxification c’est-à-dire qu’il contribue à la « dépollution » de ces molécules et est donc un passage obliqué de ces molécules, le foie devient lui-même une cible potentielle de ces molécules.

Ces molécules chimiques peuvent donc potentiellement induire des pathologies du foie comme des fibroses hépatiques, ou impacter sur les évolutions d’hépatopathies chroniques déjà établies et d’étiologie variée, ou encore induire des cancers hépatiques.

Parmi les facteurs environnementaux les mieux connus pour leurs effets sur les hépatopathies, notons l’aflatoxine B1, une mycotoxine produite par des champignons proliférant sur des graines mal conservées, qui est un co-facteur de carcinogénèse hépatique. Certains dérivés des nitrosamines présents dans le malt de brasserie ou dans l’industrie du caoutchouc, ont été aussi impliqués dans la carcinogénèse hépatique. Ainsi ces polluants environnementaux ont des effets bien caractérisés sur l’hépatocarcinogénèse qui en font des substances classées cancérogènes avérées (groupe 1) pour l’aflatoxine B1 et cancérogènes probables (groupe 2A) pour les nitrosamines, par le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer).

Le chlorure de vinyle, un composé chimique de synthèse utilisé dans la fabrication de plastique (PVC), est classé cancérogène avéré (groupe 1) pour l’angiosarcome hépatique et le carcinome hépatocellulaire, deux formes de cancers du foie. D’ailleurs, le régime général d’Assurance Maladie reconnaît l’angiosarcome hépatique comme maladie professionnelle pour les travailleurs ayant été exposés au chlorure de vinyle (travailleurs dans les ateliers de polymérisation). En France, l’emploi du chlorure de vinyle a été interdit en 1976 comme agent propulseur d’aérosols et des aérosols en contenant (médicaments, cosmétiques), toutefois les eaux de distribution, acheminées dans des canalisations anciennes sont actuellement suspectées être une source importante d’exposition.

Parce que la France reste une grande consommatrice de pesticides, 3ème consommateur mondial derrière les Etats-Unis et le Japon, et premier utilisateur en Europe, le risque lié à l’exposition aux pesticides est désormais devenu un sujet plus récent de préoccupation des Français, notamment pour la survenue de cancers.
Les premières études sur la toxicité des pesticides organochlorés chez l’Homme, émanent des USA, où s’est faite une utilisation large et prolongée des pesticides organochlorés depuis la guerre et pendant plus de 20 ans. C’est ainsi qu’a été évalué, pour la première fois, l’impact des pesticides organochlorés sur la survenue de carcinome hépatocellulaire. Ces résultats ont été confirmés par des études plus récentes, montrant que l’exposition aux pesticides organochlorés entrainait un risque surajouté de CHC chez les patients porteurs d’hépatopathies virales B, au même titre que l’excès d’alcool ou la co-infection virale C. Plus précisément, le DDT (dichlorodiphényltrichloroéthane) et son produit de décomposition, le DDE (Dichlorodiphényldichloroéthylène) ont été associés aux plus forts risques de CHC, chez la souris comme chez l’Homme.

De façon globale, et alors que les questionnements de la population ou des patients sur les expositions aux molécules présentes dans l’environnement et les effets sur leur santé sont grandissants, à ce jour, peu d’études épidémiologiques de grande envergure ont été conduites pour étudier l’impact de polluants environnements en tant qu’effet cocktail ou en tant que co-facteurs environnementaux dans l’évolution des hépatopathies chroniques d’étiologie plus commune (Alcool, syndrome métabolique ou virale). Ce champ de recherche reste donc pleinement ouvert et mérite qu’on s’y intéresse davantage.