Les newsletters de l’AFEF traitent habituellement d’une actualité clinique ou de recherche, ciblée en hépatologie. Cliniciens, chercheurs, … chacun d’entre nous est au fond aussi un enseignant. L’option a donc été prise de faire le point sur la réforme du troisième cycle des études médicales, qui conditionne, entre autre, la formation des spécialistes.
Il n’était pas inutile de le faire pour les Hépato-gastroentérologues ou les chirurgiens généraux et digestifs. Dans une enquête nationale de l’InterSyndicat National des Internes (ISNI) publiée il y a tout juste un an sur les meilleures formations, ces deux spécialités étaient classées 27ème et 28ème sur 30 ; parmi les TOP/FLOP, elles occupaient les fins de liste pour : la qualité de la formation initiale, l’évaluation de cette formation, le taux de satisfaction des internes (1).
L’actualité réserve cependant des surprises : le 16 Mars 2015, les Ministères de tutelle ont mis brutalement un terme (au moins provisoire) à cette réforme.
Cette newsletter sera donc une « dissection » (discipline de l’auteur oblige) de son historique, de son contenu et des raisons de son échec. Le moyen peut être aussi pour l’Hépato-gastroentérologues et la chirurgie générale et digestive de progresser dans l’avenir dans le classement des internes … et dès lors devenir des spécialités plus attractives. « Dissection » plutôt que « autopsie » de cette réforme, car les acquis qu’elle a permis sont désormais incontournables.
Historique de la réforme.
Comme souvent, le point de départ est une revendication des étudiants. En 2009, les internes alertent le Ministère de la Santé (à l’époque Roseline Bachelot) sur leurs conditions d’accès à un post-internat avec le slogan « Un poste pour tout interne qui en aura besoin ». Le nombre d’internes a en effet augmenté à partir de la fin des années 2000 du fait d’un doublement du numerus clausus (1999 et 2008), de la mise en place de l’Examen Classant National (2004) et de la création d’une filière universitaire de médecine générale (2008). En revanche, le nombre de postes permettant un post-internat (rendu parfois obligatoire par certaines maquettes de DES ou DESC) n’a pas augmenté.
Le ministère se saisit du dossier, créé en décembre 2009 la Commission de l’Internat et du Post Internat (CNIPI) et demande un rapport à l’inspection générale des affaires sociales, et de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche. Ce rapport, très documenté (2) :
- identifie les limites du « post-internat » (absence de statut juridique, organisation aléatoire, accès et durée sans régulation nationale),
- souligne l’importance de la masse salariale qu’il représente (sans garantie de la continuité de la formation ou de la couverture des besoins),
- propose une refonte du système (intensification de la formation au cours de l’internat; acquisition d’une autonomie d’exercice par une séniorisation encadrée dénommée mise en responsabilité ; réorganisation de l’accès à la carrière universitaire ; dissociation des problématiques de post internat et de tarification médicale).
Les principes de la Réforme.
Les travaux de la CNIPI se mettent en place sous la direction des Professeurs François René Pruvot et François Couraud et aboutissent à des « Propositions pour une restructuration du troisième cycle des études médicales », publiées en Janvier 2014. Ces propositions peuvent être résumées en trois points, ayant chacun trois conséquences.
1) le DES (Diplôme d’Etude Spécialisée) est le diplôme nécessaire et suffisant sanctionnant le troisième cycle :
- les DESC (Diplôme d’Etude Spécialisée Complémentaire) sont supprimés,
- l’accès aux nouveaux DES est d’emblée filiarisé,
- les DU/DIU ne doivent plus faire partie du programme officiel des DES et sont réservés à la formation continue.
2) Le DES n’est plus un parcours linéaire mais se répartit en trois phases successives (socle, intermédiaire, mise en responsabilité) :
- à chaque phase doit correspondre des objectifs de connaissances et de compétences, et une évaluation,
- des terrains de stage adaptés à ces objectifs doivent être identifiés pour chacune de ces trois phases,
- l’essentiel des connaissances doit être acquis avant la phase de mise en responsabilité.
3) La durée du DES doit être limitée (et souvent réduite par rapport à l’existant, pour des raisons d’uniformisation et de réduction de dépenses qu’elle engendre)
- l’enseignement doit correspondre à un contrat de formation et l’exigence pédagogique peut prendre le pas sur le rang de classement à l’ECN lors du choix de certains stages,
- la formation par le DES n’a pas pour vocation d’être exhaustive et doit s’articuler avec la formation continue,
- la diversification de la formation se fait par l’intermédiaire d’options (au sein d’un même DES) et la pluridisciplinarité par l’intermédiaire de formations spécialisées transversales (entre différents DES).
De sa mise en place … à son interruption.
Cette réforme devait devenir effective pour la rentrée 2016, de manière à être synchrone de l’e-ECN. Pendant plus d’un an, les enseignants de toutes les spécialités ont réalisé un travail considérable pour définir et uniformiser de nouvelles maquettes. Les différentes disciplines ont été auditionnées, parfois plusieurs fois, jusqu’à mi-mars 2015.
Le 16 Mars, les ministères de tutelle mettent un terme à cette dynamique par un courrier adressé aux représentations syndicales des internes, des chefs de clinique et assistants, des étudiants en médecine et des généralistes jeunes installés et remplaçants. Ce courrier précise en particulier, qu’en réponse aux souhaits des « jeunes médecins en formation … le gouvernement a décidé de créer une [nouvelle] commission unique pour gérer les études de médecine, pharmacie, odontologie et maïeutique » et que c’est dans ce cadre que se poursuivront les travaux sur la réforme du troisième cycle.
La réaction des Présidents de la Conférence des Doyens, du Conseil National de l’Ordre des Médecins, de la Conférence des Présidents de CME de CHU et des Sections Médicales du CNU ne s’est pas fait attendre. Leur courrier du 20 Mars :
- souligne « le travail considérable [réalisé], … les énergies nombreuses … mobilisées notamment auprès des Collégiales, des sous-sections du CNU santé, et de représentants institutionnels : Conseil National de l’Ordre des Médecins, UFR, CME, Associations professionnelles… syndicats d’étudiants »
- et conclue : « nous sommes surpris qu’une décision si lourde en conséquences ait pu être prise … sans aucune concertation avec les professionnels … concernés. Nous manifestons notre déception de voir le peu de prix accordé au travail accompli. Nous sommes stupéfaits que [votre] décision nous ait été transmise par les étudiants, sans que vos services aient jugé utile de nous en tenir informé. Nous prenons acte du manque de considération que cela manifeste à l’égard des institutions et professionnels que nous représentons ».
D’autres disciplines réagissent à leur tour.
Les raisons de cet échec.
Le courrier des Ministres de tutelle du 16 Mars ne donnent pas d’explications très claires à cette volteface, au risque qu’elle soit interprétée comme une simple réponse aux attentes d’étudiants (pourtant associés aux travaux de la réforme), mobilisés, dans un contexte particulier : projet de loi de Santé, manifestation (à l’appel des internes et des chefs de clinique) du dimanche 15 Mars des médecins toutes générations confondues, préavis de grève illimité des internes qui court toujours.
Les causes semblent être triples :
- refus des étudiants de servir de variables d’ajustement démographique dans les zones déficitaires,
- opposition sur le statut de mise en responsabilité et son existence même, sous-tendue peut être en partie par les conditions d’accès au secteur 2,
- difficulté pour quelques rares enseignants à remettre en question le périmètre de leur discipline ainsi que les modalités, le contenu et la durée de la formation.
En pratique, la nouvelle commission devrait reprendre les travaux en Septembre. Entre temps, le décret relatif au temps de travail et de formation des internes (en particulier sa limitation à 48 heures hebdomadaires) a été publié le 26 février et prendra effet le 1er Mai.
Commentaires
La France souffrait déjà d’un manque de lisibilité de sa formation médicale, par rapport à d’autres formations nationales ou aux autres formations médicales Européennes.
Les autres pays européens sont parvenus, parfois depuis plus de 10 ans, à moderniser le cursus de leurs spécialistes et à se conformer à la directive européenne sur le temps de travail, sans pénaliser la qualité de leur formation (3).
La plupart des disciplines médicales françaises ont effectué un travail de fond sur leur cursus, qui ne peut plus être remis en cause. L’avenir leur appartient.
Nous sommes tous enseignants et c’est la responsabilité de chacun.
Les jeunes médecins sont-ils bien formés?
http://isni.fr/wp-content/uploads/2014/03/Rapport_Formation_ISNI_lowres.pdf
Le rapport « Post-Internat : constat et proposition ».
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/104000383/index.shtml
Hopmans CJ, den Hoed PT, van der Laan L, van der Harst E, van der Elst M, Mannaerts GH, Dawson I, Timman R, Wijnhoven BP, IJzermans JN. Impact of the European Working Time Directive (EWTD) on the operative experience of surgery residents. Surgery. 2015 Apr;157(4):634-41.