Les Éditos de l'AFEF

Élargissement des indications de transplantation hépatique pour tumeurs : quels moyens pour surseoir à la pénurie de greffons ?

Par : Barbier Louise et Cauchy François
Docteur Louise Barbier – New Zealand liver transplant unit, Auckland city hospital, University of Auckland, Auckland, New Zealand

Docteur François Cauchy – Service de chirurgie hépato-bilio-pancréatique et transplantation hépatique, Hôpital Beaujon, APHP et Université Paris Cité, Paris, France

Introduction

Depuis plusieurs dizaines d’années, la transplantation d’organes en général y compris la transplantation hépatique (TH) doit faire face à une pénurie chronique de greffons. En TH, après une augmentation continue du nombre de greffes jusqu’à environ 1400 TH en 2019, une saturation des ressources en greffons semble avoir été atteinte et ce malgré un nombre de malades inscrits sur liste en constante augmentation. Ce phénomène est d’autant plus problématique que plusieurs études évaluant la TH pour maladies tumorales primitives ou secondaires jusqu’alors contre-indiquées pour la greffe ont montré des résultats tout à fait acceptables et correspondant aux standards requis pour être validées comme indications légitimes de TH. Ainsi, il apparaît plus que jamais nécessaire de trouver des solutions alternatives afin d’augmenter le stock de greffons disponibles pour répondre à une demande croissante sans remettre en cause certaines indications de greffe précédemment validées.

« Nouvelles » indications de TH pour maladie tumorale

Classiquement la transplantation hépatique pour maladie tumorale intra-hépatique (donc hors cholangiocarcinome hilaire) se limite au carcinome hépatocellulaire sur cirrhose selon des critères incluant le nombre et la taille des lésions ainsi que le taux sérique d’alphafetoprotéine (1, 2), aux métastases de tumeurs neuroendocrines sans hépatomégalie tumorale et avec un index prolifératif Ki 67 peu élevé (3) et certaines tumeurs rares telles que dans d’exceptionnelles situations. Dans ces contextes, la TH permet ainsi d’obtenir des taux de survie globale et de survie sans récidive à 5 ans d’environ 70-80% et de 80-85% pour le CHC (1) et de 70% et 50% pour les métastases de tumeurs neuroendocrines (3). Plus récemment, de « nouvelles » maladies tumorales ont montré des résultats au moins comparables de la TH et font l’objet de discussions quant à la validation de leur indication en routine sans passer par la nécessité d’une composante expert.

Métastases hépatiques d’origine colorectales

Si plusieurs TH pour métastases hépatiques colorectales (MHCCR) non résécables ont été réalisées entre 1970 et 2000, les résultats catastrophiques en termes de récidive et de survie ont longtemps été une contre-indication formelle à la greffe dans cette indication. Néanmoins, l’apparition de chimiothérapies toujours plus efficaces depuis le milieu des années 2000 a permis de transformer la survie globale de ces malades de 0% à 20-25% à 5 ans (4). C’est dans ce contexte qu’en Norvège, un des rares pays ayant un surplus de greffons, l’équipe d’Oslo a publié en 2013 la première série de TH pour MHCCR non résécables avec des résultats encourageants (survies globales à 1, 3 et 5 ans de respectivement 95%, 68% et 60%) (5). Depuis, plusieurs équipes ont rapporté leurs expériences avec des résultats favorables (6, 7), montrant parfois même une supériorité comparativement à la résection hépatique pour MHCCR bilobaires résécables (8). Par ailleurs, l’essai TRANSMET, dont les inclusions ont été terminées il y a un an, répondra prochainement à la question du bénéfice potentiel de la TH pour MHCCR non résécables et limitées au foie comparativement à la chimiothérapie seule. Enfin des recommandations sur la TH pour MHCCR non résécables ont été récemment émises et visent à optimiser la sélection des receveurs et les différentes sources de greffons à envisager afin d’obtenir les résultats les plus satisfaisants tout en épargnant au maximum le stock de greffons disponibles (9).

Cholangiocarcinome intra-hépatique

En raison de son pronostic spontanément extrêmement sombre, le cholangiocarcinome intra-hépatique (CCI) a longtemps représenté la quintessence de la contre-indication de la TH pour cancer hépatique primitif de l’adulte. Cependant les résultats de la TH dans cette indication ont été récemment réévalués dans deux situations particulières. En premier lieu, l’analyse de pièces d’explants hépatiques de TH pour CHC a révélé que la présence d’un CCI unique de moins de 2 cm non connu au moment de la TH ne péjorait pas le pronostic oncologique tandis que la présence d’un CCI de plus de 2 cm ou de plusieurs lésions de CCI étaient associées à des survies à long-terme prohibitives (10). Ces résultats se doivent néanmoins d’être confirmés en intention de traiter chez des malades dont le diagnostic de CCI est posé avant la TH et cette stratégie doit être évaluée dans une prise en charge plus large intégrant de nouvelles molécules de chimiothérapie basées sur le profil moléculaire des lésions. En deuxième lieu, deux études rétrospectives de petits effectifs ont récemment évalué les résultats de la TH pour CCI localement avancé, stable ou en réponse mais restant non résécable après traitement par chimiothérapie. Ces études ont rapporté des survies globales et sans récidive après TH respectivement de 83% et 50% à 5 ans (11, 12). Il est à noter qu’aucun malade n’avait reçu de traitement d’induction par radiothérapie interne sélective, cette dernière ayant montré des résultats intéressants dans cette indication et étant désormais validée en première ligne dans la prise en charge des CCI localement avancés (13). Ainsi, il existe probablement une place pour la TH pour CCI localement avancé après traitement d’induction permettant d’évaluer l’histoire naturelle de la maladie tumorale et de sélectionner les candidats idéaux à la greffe.

Hépatocholangiocarcinome

De la même manière que le CCI, l’hépatocholangiocarcinome (HCK) représente actuellement une contre-indication formelle à la TH. Néanmoins, quelques études rétrospectives ont montré que la présence d’un HCK sur l’explant après TH pour CHC était associée à un pronostic oncologique meilleur que celui d’un CHC avec envahissement microvasculaire dans les critères du score AFP (14), en particulier en cas de lésion unique < 5 cm (15). Ici encore, ces résultats doivent être confirmés en intention de traiter. Par ailleurs, l’HCK étant particulièrement difficile à diagnostiquer en préopératoire (16) et sa définition ayant largement variée au cours des années durant lesquelles les études rapportant les résultats de la TH pour HCK ont été conduites (14, 15), il semble plus complexe de mettre en œuvre des études de qualité sur ce sujet.

Comment gérer la pénurie de greffons dans ce contexte d’élargissement des indications de TH ?

Bien que l’utilisation des antiviraux d’action directe permette d’entrevoir une diminution substantielle de la part des cirrhoses d’origine virale C dans les indications de TH, il est attendu que l’augmentation de la prévalence de la NAFLD et donc des cirrhoses d’origine dysmétabolique ainsi que des CHC dans ce contexte compense cette diminution. Aussi, il apparaît indispensable que l’élargissement des indications de TH aux « nouvelles » indications tumorales s’accompagne d’une augmentation du pool de greffons disponibles. A cet effet, plusieurs stratégies peuvent être envisagées.

Optimisation de l’adéquation donneur/receveur

Si plusieurs caractéristiques inhérentes au donneur (âge, comorbidités, arrêt cardiaque etc…), au greffon (morphologie, stéatose anticipée, bilan hépatique, etc…) et au receveur (gravité, étiologie de la maladie hépatique, etc…) sont naturellement prises en compte dans le choix du couple donneur/receveur, cette adéquation reste pour l’heure à l’appréciation individuelle d’un médecin transplanteur dans un centre donné et sans formalisation nationale basée sur des résultats à grande échelle. Une des conséquences de cet appariement « manuel » est la perte occasionnelle de greffons dits marginaux pour lesquels des receveurs potentiellement appropriés étaient inscrits sur liste. Dans cette optique, l’étude Optimatch qui vise à évaluer la balance bénéfice/risque de l’utilisation de donneurs à critères étendus en greffe de foie devrait permettre d’optimiser la gestion des greffons hépatiques et limiter la perte de greffons faute d’avoir pu trouver un receveur adéquat de manière traditionnelle.

Utilisation des donneurs à cœur arrêté

Longtemps sous-utilisés en France en raison des complications biliaires inhérentes qui leur sont associées, les greffons issus de donneur à cœur arrêté font depuis quelques années l’objet d’une utilisation dans le cadre d’un protocole strict excluant les maladies tumorales hors CHC et TNE. Il s’agit de donneurs à cœur arrêté type Maastricht 3 chez qui une perfusion régionale normothermique est mise en place une fois que l’arrêt circulatoire programmé est constaté. Bien qu’aucun essai de phase 3 n’ait montré une supériorité de cette stratégie comparativement au prélèvement rapide sans support circulatoire, les premiers résultats semblent montrer un taux de complications biliaires similaires à ceux des donneurs en mort encéphalique. D’autres stratégies utilisant une optimisation de la préservation post explantation avec l’utilisation de machines à perfusion hypothermique ont par ailleurs montré une supériorité en termes de résultats comparativement à la technique de prélèvement conventionnelle (17). Enfin, des stratégies sans ischémie chaude ou froide combinant perfusion normothermique durant le prélèvement et machine de préservation normothermique durant la conservation ont été rapportées (18). Cependant, ces dernières stratégies nécessitent pour l’heure une logistique difficilement applicable en pratique quotidienne. Quoi qu’il en soit, l’augmentation progressive et constante du nombre de greffons issus de donneurs à cœur arrêté en France aura indéniablement un impact sur le nombre de greffons disponibles.

Meilleure évaluation des greffons cadavériques issus de donneur en mort encéphalique

Actuellement, un certain nombre de greffons disponibles ne sont pas prélevés en raison d’une suspicion de stéatose prohibitive ou ne sont pas greffés en cas de stéatose avérée. Dans le premier cas, il apparaît cependant que certains de ces greffons ne présentaient pas de stéatose marquée et auraient pu être greffés. La principale raison de cette situation est que l’évaluation du greffon est souvent faite par des chirurgiens préleveurs peu expérimentés et que le recours à l’examen extemporané n’est pas systématiquement possible en contexte de prélèvement d’organe. Ainsi, des outils fiables permettant une évaluation précise et reproductible du taux de stéatose hépatique se doivent d’être développés. Avant le prélèvement, l’analyse de la combinaison de certaines données anthropométriques et des antécédents médicaux couplée à l’évaluation du ratio de densité foie/rate sur le scanner pré-prélèvement a récemment montré une bonne performance dans l’anticipation du taux de stéatose macrovacuolaire (19). Durant le prélèvement, deux dispositifs (évaluation in situ de la stéatose par intelligence artificielle basée sur les photos du greffon, évaluation de la stéatose par spectrométrie de poche) font par ailleurs actuellement l’objet d’études de phase 2 en France et pourraient permettre de requalifier un certain nombre de greffons autrement non prélevés. En cas de stéatose avérée, plusieurs études (20) dont une française (étude PENOFOR), évaluent actuellement l’intérêt des machines de perfusion normothermique dans le fonctionnement et la préservation de ces greffons.

Utilisation de greffons vivants ou cadavériques partiels

Bien que les greffons partiels droits (foie droit, lobe droit) fassent partie de l’arsenal thérapeutique en TH depuis maintenant plusieurs décennies, l’utilisation de greffons gauches (foie gauche, lobe gauche) reste marginale en raison des problématiques techniques et fonctionnelles intrinsèques. Par ailleurs, si le recours à un greffon issu d’un donneur vivant ou apparenté est largement répandu en Asie, le don intrafamilial représente une solution exceptionnelle mal acceptée par les patients et le corps médical en France en raison du risque apporté au donneur. Une solution théoriquement élégante serait l’utilisation de greffons gauche, en particulier de lobe gauche dans le cadre d’une stratégie de greffe en deux temps durant laquelle le lobe gauche volumétriquement insuffisant est compensé par le foie droit natif jusqu’à ce qu’à atteindre un volume suffisant. Une fois ce volume fonctionnel atteint, le reste du foie natif est ensuite retiré. L’avantage de cette stratégie est de pouvoir prélever un lobe gauche, soit à partir d’un greffon cadavérique dans le cadre d’un partage adulte-adulte, soit par voie mini-invasive chez un donneur vivant avec un risque opératoire largement diminué. Cette transplantation en deux temps autrement appelée « RAPID » transplantation est actuellement en cours d’évaluation pour les malades présentant des MHCCR non résecables ainsi que dans d’autres indications marginales de TH (21, 22).

Conclusion

Un certain nombre de néoplasies hépatiques primitives ou secondaires anciennement considérées comme des contre-indications à la greffe telles que les MHCCR, le CCI et l’HCK constitueront probablement des indications valides de TH chez des malades sélectionnés dans le futur. Si ces indications ne représenteront probablement qu’un faible pourcentage de l’ensemble des TH en France, elle s’accompagneront néanmoins d’un surcoût en termes de greffons dans une situation de pénurie chronique d’organes. L’utilisation de diverses stratégies telles que l’optimisation du couple donneur/receveur, la meilleure évaluation des greffons, le recours aux donneurs à cœur arrêté et d’utilisation de greffons partiels gauche, notamment dans le cadre du don intra-familial adulte-adulte pourraient permettre de compenser l’élargissement des indications à ces nouvelles pathologies malignes (figure 1).

Références

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  2. Mazzaferro V, et al. Metroticket 2.0 Model for Analysis of Competing Risks of Death After Liver Transplantation for Hepatocellular Carcinoma. Gastroenterology. 2018 Jan;154(1):128-139.
  3. Le Treut YP, et al. Liver transplantation for neuroendocrine tumors in Europe-results and trends in patient selection: a 213-case European liver transplant registry study. Ann Surg. 2013 May;257(5):807-15.
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  12. McMillan RR, et al. Survival following liver transplantation for locally advanced, unresectable intrahepatic cholangiocarcinoma. Am J Transplant. 2022 Mar;22(3):823-832.
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