Les Éditos de l'AFEF

Elimination de l’hépatite C en 2025 : mythe ou réalité ?

Par : Bourlière Marc
Docteur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Hôpital Saint Joseph, Marseille

L’arrivée des combinaisons de traitement par antiviraux à action directe (AAD) en 2014 a transformé le traitement de l’hépatite C permettant la guérison rapide de plus de 95% des patients avec une excellente tolérance. Depuis 2017, l’arrivée des traitements pan-génotypiques avec des durées de traitement courtes (8 à 12 semaines) a rendu le traitement encore plus simple et accessible à tous les praticiens. Par ailleurs, la mise à disposition de traitements de seconde ligne pour les patients en échec de traitement par AAD, depuis 2018, permet de guérir plus de 99% des patients. Grâce à ces nouveaux traitements, plus de 79.000 personnes infectées ont été traités entre janvier 2014 et août 2019.

En 2015, devant l’augmentation de la mortalité liée aux hépatites virales, l’OMS a fixé comme objectif à l’horizon 2030 d’obtenir une diminution de 90% de l’apparition de nouveaux cas et de diminuer de 65% la mortalité secondaire à ces infections. Pour l’hépatite C, l’objectif est de parvenir à diagnostiquer 90% des patients et d’en guérir 80%. La France, par la voix de son premier ministre, s’est engagée à remplir ces objectifs en 2025.

L’élimination des hépatites virales C repose sur trois axes : la prévention, le dépistage et le traitement. Deux mesures indispensables au traitement ont déjà été prises par le ministère de la Santé : l’accès au traitement pour tous les patients ayant une hépatite chronique C en 2017 et la prescription des antiviraux à action directe par tous les praticiens en 2019. Pour contribuer à ce plan, l’AFEF avait élaboré en 2018, au cours des recommandations, un parcours de soins simplifié, pour les patients sans fibrose sévère et sans comorbidité, soit accessible à tous les médecins, quelle que soit leur spécialité.

La prévalence de l’hépatite C en France en 2016 a été évaluée par l’étude Baromètre avec un taux d’au moins 0,3 %, c’est-à-dire 133000 patients, dont la plupart restent à dépister et à traiter (1). Selon cette même étude, le nombre de patients à traiter en 2019 est aux alentours de 94.000 patients. Ces chiffres montrent que le dépistage ciblé uniquement sur les populations à risque a atteint ses limites.

Pour écrire la fin de l’histoire de l’hépatite C en France et atteindre les objectifs de l’OMS c’est à dire l’élimination de l’hépatite C, il reste à résoudre deux problèmes essentiels : comment informer la population et l’ensemble des acteurs de santé de ces révolutions thérapeutiques et de leur simplicité et comment augmenter le dépistage de l’hépatite C.

L’information et la sensibilisation du corps médical dans son ensemble sur le dépistage de l’hépatite C sont indispensables pour permettre aux personnes vivant avec le VHC d’entrer dans un parcours de soins et de guérir. Plusieurs expériences de micro-élimination ont été conduites dans le pays, surtout parmi les populations ayant des facteurs de risques (usagers de drogues, prisons). D’autres populations à risque, comme les patients hospitalisés en psychiatrie, sont plus difficiles à atteindre et les freins à leur prise en charge doivent être levés. Par ailleurs, les campagnes d’information grand public sur l’hépatite C montrant la simplicité de sa prise en charge et l’efficacité des traitements, comme celle qui a été réalisée par l’AFEF et SOS–hépatites en 2018 et 2019, devraient permettre un dépistage et une prise en charge étendue à condition d’être répétées. L’expérience Egyptienne de campagnes d’informations grand public successives est intéressante à cet égard.

Les modalités de dépistage de l’hépatite C sont un problème essentiel car le nombre de patients traités ne cesse de diminuer depuis 2017 ; cette décroissance s’explique par le fait que la plupart des patients déjà suivis par les hépato-gastroentérologues, les infectiologues ou les internistes ont été traités.

L’AFEF, les associations de patients, et les rapports d’experts militent depuis longtemps pour un dépistage universel du VHC au moins une fois dans la vie en l’absence de facteurs de risque évidents et de façon répétée en cas de facteur de risque. La Haute Autorité de Santé a émis un avis défavorable concernant le dépistage universel de l’hépatite C en date du 29/11/2019. Cet avis de l’HAS sur l’efficience du dépistage généralisé est basé sur les résultats de l’enquête Barotest : l’objectif de cette étude était d’évaluer une nouvelle approche de dépistage combiné du VHB, VHC et VIH basée sur un auto-prélèvement sanguin réalisé à domicile (buvard) permettant de décrire l’acceptabilité et la faisabilité de cette procédure (1, 2). L’analyse de la prévalence en population générale par cette étude est discutable, puisque ce n’était pas l’objectif principal de cette étude et en raison des nombreux biais d’inclusion suggérés par les auteurs eux-mêmes : avoir une couverture sociale, maîtriser de la langue française, être joignable par téléphone, pouvoir recevoir un courrier, comprendre la réalisation du test au buvard et le renvoyer dans des conditions assurant son interprétation. Seuls 39 % des sujets sollicités ont pu renvoyer un test interprétable ; il n’y a pas eu, dans cette étude, de comparaison entre les 6945 patients dont les résultats étaient analysables et les 13087 (61%) patients dont les résultats n’étaient pas analysables. Du fait de la sélection des patients, ne permettant pas de prendre en compte une partie de la population, cette prévalence est sous-estimée, comme le discutent également les auteurs (3). De la même façon, pour les mêmes raisons, le pourcentage de 80 % des patients au courant de leur infection dans cette étude n’est pas transposable à la population générale et est probablement surestimé.

Dans la littérature scientifique, l’évaluation détaillée des différentes propositions de dépistage pour en évaluer l’efficience, est pertinente pour les études évaluant l’intérêt des traitements oraux par antiviraux à action directe et avec les derniers coûts des traitements. Un travail de français a montré en 2018 que la meilleure stratégie en terme de coût-efficacité est le dépistage généralisé (4). A la suite de ce travail, une autre étude aux Etats Unis confirme que le dépistage universel est plus coût-efficace que le dépistage de cohorte actuellement proposé et ce, tant que la prévalence du VHC est supérieure à 0,07%, ce qui est aussi le cas en France (5).

Les résultats convergents de ces deux études confirment le fait que le dépistage universel est une condition importante (bien que sans doute insuffisante) pour essayer d’atteindre les objectifs de l’OMS en 2025.
Pour toutes ces raisons, l’AFEF considère essentiel de réévaluer, à court terme, la stratégie nationale de dépistage et son élargissement à la population générale.
En conclusion, pour respecter l’engagement pris d’atteindre l’objectif d’élimination de cette infection en France pour 2025, il semble essentiel aujourd’hui, à côté de toutes les initiatives de micro-élimination auxquelles l’AFEF s’associe, de pouvoir au niveau national promouvoir un dépistage généralisé et de multiplier les campagnes d’information grand public à travers les médias, avec l’aide des institutions.

Références

1) Brouard C et al. HCV and HBV prevalence based on home blood self-sampling and screening history in the general population in 2016 : contribution to the new French screening strategy. BMC Infect Dis 2019 ; 19 : 896.

2) Rahib D et al. Acceptabilité et faisabilité d’un dépistage par auto-prélèvement à domicile des infections VIH, VHB et VHC en population générale en France en 2016 : l’étude Barotest. BEH mai 2019

3) Saboni L et al. Prévalence des hépatites chroniques C et B et antécédent de dépistage en population générale en 2016 : contribution à une nouvelle stratégie de dépistage, Baromètre de Santé Publique France-Barotest. . BEH mai 2019

4) Deuffic Burban S et al. Assessing the cost-effectiveness of hepatitis C screening strategies in France. J Hepatology 2018 ; 69 : 785-792

5) Eckman MH et al. Cost-effectiveness of universal screening for hepatitis C virus infection in the era of direct-acting, pangenotypic tretment regimens. Eckman MH et al. Clinical Gastroenterology and Hepatology 2019 ; 17 : 930-939.