Les Éditos de l'AFEF

Elimination du VHC en France… encore un effort !

Par : Bronowicki Jean-Pierre
Service d'Hépato-Gastro-Entérologie, CHRU Nancy, INSERM 1256-NGERE, Université de Lorraine, Vandoeuvre les Nancy

En 2016, il était estimé que 133 500 personnes (IC 95% : 56 900-312 600) avaient une infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC) en France métropolitaine. La prévalence était estimée à 0,3% dans la population générale [1].

En 2018, dans la foulée des recommandations de l’OMS pour l’élimination des hépatites virales d’ici 2030 à travers le monde [2], le Programme national de santé publique « Priorité prévention » 2018-2022 avait fixé comme objectif l’élimination du VHC en France d’ici 2025 (c’est-à-dire une diminution de 90 % des nouvelles infections, associée à une réduction de 65 % de la mortalité liée au VHC) [3].  Pour atteindre cet objectif, il a été proposé de : 1) renforcer l’accessibilité aux traitements de l’hépatite C par l’ouverture à de nouveaux prescripteurs ; 2) renforcer le dépistage de proximité par test rapide d’orientation diagnostique (TROD) ; 3) renforcer la prévention par des actions innovantes « d’aller-vers » pour toucher les publics prioritaires et éloignés du système de santé. Il a été estimé qu’il fallait traiter 120 000 patients entre 2014 et 2022 pour atteindre l’objectif d’élimination en 2025.

L’état des lieux

L’objectif d’élimination du VHC en 2025 ne sera pas atteint

L’analyse des données du Système National des Données de Santé (SNDS) par Santé Publique France montre qu’environ 97 000 traitements antiviraux à action directe (AAD) ont été initiés entre 2014 et 2021, ce qui correspond à 81% de la cible de 120 000 traitements fixée à fin 2022 [4]. Ce retard n’est expliqué qu’en partie par la pandémie COVID qui certes a entrainé une diminution des dépistages et des mises sous traitement pendant les 3 confinements en 2020-2021, mais qui a été précédée par une diminution constante du nombre de traitement annuel depuis 2017.  En 2014, environ 11 500 traitements par AAD ont été initiés. Ce nombre a augmenté d’année en année pour atteindre un pic de 19 250 traitements en 2017 correspondant à l’accès universel au traitement indépendamment du score de fibrose. A partir de 2018, ce nombre n’a cessé de décroitre pour atteindre environ 6 000 traitements en 2021 avec un plateau aux alentours de 5 000 traitements depuis 2022. Il a donc été estimé qu’il restait à peu près 79 000 patients infectés à traiter en janvier 2023.

Même si la France est toujours considérée en bonne voie pour atteindre l’objectif d’élimination d’ici 2030 [5], il est important de maintenir notre effort en promouvant d’avantage le parcours de soin simplifié et en optimisant le dépistage ciblé des populations à haut risque éloignés du système de soins.

Les médecins généralistes ne se sont pas approprié le parcours de soins simplifié

En mai 2019, la Haute Autorité de Santé avait validé la proposition de l’AFEF d’un parcours de soins simplifié pour les patients infectés par le VHC sans comorbidités et sans fibrose sévère en élargissant l’autorisation de prescription des AAD à tous les médecins. L’objectif était de faciliter la mise sous traitement des populations à haut risque d’infection (usagers de drogue, population carcérale, immigrés, population suivie en psychiatrie…) qui acceptent souvent difficilement un suivi à l’hôpital. Force est de constater que cette mesure n’a pas été couronnée de succès. En effet, l’analyse des données du SNDS en 2021 montrent que les prescriptions d’AAD ont été faites par des médecins généralistes dans seulement 5% des cas, par des hépato-gastroentérologues libéraux dans 21 % des cas, et par des médecins hospitaliers dans 72% des cas [4]. Il est possible que la pandémie COVID ai eu un impact négatif sur la généralisation du parcours simplifié et l’absence d’appropriation par le médecin généraliste. Quoi qu’il en soit, il paraît nécessaire de refaire des campagnes de sensibilisation et d’information des médecins généralistes et particulièrement ceux prescrivant des traitements de substitution aux opiacés. Ces campagnes devraient rappeler l’efficacité remarquable, l’absence d’effet secondaire et la simplicité d’utilisation des AAD pan-génomiques, et informer également sur les bénéfices hépatiques et surtout extra-hépatiques, notamment neurocognitifs, de la guérison virologique.

La psychiatrie est le « laissé- pour-compte » de l’élimination du VHC

La prévalence de l’infection VHC est 5 à 10 fois plus élevée chez les patients suivis en psychiatrie que dans la population générale en France [6]. Le dépistage du VHC et la mise en route d’un traitement par AAD au moment de l’hospitalisation en psychiatrie a donc du sens. Malheureusement, les AAD ne sont pas inscrits sur la liste « en sus » et leur coût est imputé sur le budget de l’hôpital psychiatrique publique en cas de prescription en cours d’hospitalisation. Ceci constitue un obstacle majeur à l’initiation précoce du traitement et conduit cette population à ne pas être soignée, maintenant un réservoir potentiel d’infection. Un travail récent réalisé dans un hôpital psychiatrique des Vosges [7] a retrouvé une séroprévalence VHC de 4,2% (IC 95%: 2,2 % – 6,1 %) et une prévalence de l’infection de 2,2 % (IC 95%: 0,8 % – 3,6 %). Un antécédent d’usage de drogues était le principal facteur de risque d’infection chez ces patients. Les AAD n’étant pas financés “en sus” des frais d’hospitalisation, il a été décidé a priori de débuter le traitement du VHC immédiatement avant la sortie. Parmi les 9 patients virémiques, seuls 4 ont pu recevoir une prescription d’AAD à la fin de l’hospitalisation, et un seul a été suivi par son médecin généraliste avec la confirmation d’une guérison virologique 3 mois après l’arrêt du traitement.

Cette restriction dans la prise en charge thérapeutique est d’autant plus incompréhensible que les AAD, comme tous les autres médicaments non hospitaliers, sont pris en charge directement par l’assurance maladie lorsque les patients sont hospitalisés en psychiatrie dans le secteur privé (article R. 162-31-7 du code de la sécurité sociale). Tout ceci est dommageable pour les patients de psychiatrie car il existe potentiellement un bénéfice individuel direct. Une étude française a récemment exploré l’impact du traitement par AAD sur les hospitalisations psychiatriques et non psychiatriques chez les patients psychiatrique à partir des données du SNDS [8]. Entre 2015 et 2018, un traitement par AAD a été initié chez 17 203 patients psychiatriques infectés par le VHC. En comparant, l’année précédant et l’année suivant le traitement par AAD, il a été montré que le nombre d’hospitalisation, de tout type, a diminué de 28% dans l’année qui a suivi la guérison du VHC. De même, la durée du séjour à l’hôpital a également diminué de manière significative. Ces résultats étaient significatifs indépendamment de la pathologie psychiatrique.

Le dépistage du VHC tel qu’il est fait en France n’atteint probablement pas sa cible et semble couteux

Le nombre annuel de personnes testées pour les anticorps anti-VHC est passée de 2,678 millions en 2014 à 3,633 millions en 2021 [4]. Entre 2014 et 2021, environ 25 millions de personnes ont réalisé au moins une fois une sérologie VHC. Cela veut dire que l’on a dû faire 257 sérologies par cas dépisté. Le coût n’est pas négligeable puisque la sérologie VHC est cotée B55 avec un B valant 0,27 euros, soit environ 371,25 millions d’euros pour la période. Avec cette somme, on aurait pu théoriquement traiter 15 468 patients (coût affiché d’un traitement : 24 000 euros). De plus ce dépistage ne semble pas atteindre les populations à risque puisque dans 63 % des cas, il a été réalisé chez des femmes, surtout en âge de procréer, alors que 61 à 64 % des traitements ont été initiés chez les hommes.

Il est très regrettable de n’avoir aucune donnée nationale sur les dépistages par TROD réalisés dans les populations à haut risque durant la même période.

Les propositions de l’AFEF

Pour ne pas manquer le rendez-vous de l’élimination du VHC en 2030, l’AFEF a alerté le ministère de la santé et a fait les propositions suivantes :

  1. Maintien de l’élimination du VHC comme objectif prioritaire de santé publique jusqu’en 2030
  2. Amélioration des stratégies de dépistage en ciblant d’avantage les populations à risque (usagers de drogues, population carcérale, population psychiatrique, migrants) et les sujets de plus 50 ans en population générale
  3. Campagne de formation des médecins et des professionnels de santé prenant en charge les populations à risque sur la facilité d’emploi et les bénéfices des traitements AAD
  4. Renforcement et soutien des initiatives locales « d’aller vers » les populations à haut risque souvent marginales
  5. Inscription des AAD sur la liste en sus dans tous les établissements de santé publiques notamment dans les centres hospitaliers psychiatriques

Références

  1. Brouard C, Saboni L, Gautier A, et al. HCV and HBV prevalence based on home blood self-sampling and screening history in the general population in 2016: contribution to the new French screening strategy. BMC Infect Dis. 2019;19:896.
  2. Organisation mondiale de la santé. Stratégie mondiale du secteur de la santé contre l’hépatite virale 2016-2021. Vers l’élimination de l’hépatite virale. Genève: OMS; 2016. https://apps.who.int/iris/handle/10665/250577
  3. Comité interministériel pour la santé. Plan national de santé publique Priorité prévention : rester en bonne santé tout au long de sa vie, 2018-2022. https://sante.gouv.fr/systeme-de-sante/ strategie-nationale-de-sante/priorite-prevention-resteren-bonne-sante-tout-au-long-de-sa-vie-11031/
  4. Brouard C, Schwager M, Expert A, et al. Impact des politiques publiques et de la pandémie de Covid-19 sur le dépistage et le traitement de l’hépatite C en France métropolitaine, 2014-2021. Bull Épidémiol Hebd. 2023;15-16:292-302.
  5. Gamkrelidze I, Pawlotsky JM, Lazarus JV, et al. Progress towards hepatitis C virus elimination in high-income countries: An updated analysis. Liver Int. 2021;41:456-63.
  6. Rolland B, Bailly F, Cutarella C, et al. Hépatite C en milieu psychiatrique: un réservoir oublé ? Encephale. 2021;47:181-4.
  7. Icole F, Haghnejad V, Jeannoel C, et al. Prevalence of viral hepatitis and their management in a psychiatric hospital. Encephale. 2024 (sous presse)
  8. Rolland B, Benabadji E, Lada O, Rabiega P, Fouad F, Hallouche N, et al. Benefits associated with HCV cure in people with mental disorders. Journal of Hepatology. 2022;77:S579-S80.