Les Éditos de l'AFEF

Endo-hépatologie : pourquoi les hépatologues gagneraient à y regarder de plus près

Par : Lemaitre Caroline
Groupe Hospitalier du Havre - Hôpital Jacques Monod

La spécialisation progressive de l’hépato-gastroentérologie a permis des avancées majeures dans chaque domaine. Toutefois, cette segmentation a parfois mené à une séparation entre certaines branches de la discipline qui, pourtant, gagneraient à rester connectées.

Dans la plupart des centres français – CHU, CHG ou cliniques – il est aujourd’hui peu fréquent de voir un hépatologue pratiquer l’écho-endoscopie (EE) ou l’endoscopie interventionnelle. À l’inverse, dans certaines structures internationales, ces deux approches sont réunies sous une entité commune : l’endo-hépatologie. Il ne s’agit pas d’un simple effet de mode, mais bien d’une évolution pertinente, à la fois sur le plan clinique, technique et organisationnel.

L’écho-endoscopie permet par exemple une cartographie fine des axes vasculaires portaux, particulièrement utile en cas d’hypertension portale complexe. La visualisation des voies de dérivation améliore la compréhension anatomique des dossiers, en particulier dans les discussions multidisciplinaires avec les chirurgiens hépatiques, les radiologues interventionnels ou les équipes de transplantation.

En cas de varices gastriques, l’EE permet d’identifier les vaisseaux afférents et efférents, ce qui oriente le geste thérapeutique. Des études ont montré que l’injection de cyanoacrylate sous contrôle EE présente une efficacité supérieure à celle de l’endoscopie conventionnelle, tant sur l’oblitération complète (86 % vs 62 %), que sur le taux de récidive (5 % vs 18 %) ou le risque d’hémorragie secondaire (9 % vs 17 %). L’association avec des coils permet également d’optimiser les résultats techniques et de réduire la morbi-mortalité (1).

Le diagnostic de thrombose porte est lui aussi amélioré grâce à l’EE, en particulier pour les formes partielles. L’apport de l’écho-endoscopie de contraste permet de préciser la nature du thrombus, cruorique ou tumoral, avec possibilité de confirmation par ponction ciblée. Le contrôle d’un TIPS peut bien sûr également être effectué.

En ce qui concerne le parenchyme hépatique, l’EE n’a pas vocation à remplacer les examens standards de dépistage, notamment pour le CHC. Toutefois, elle permet la caractérisation de certaines lésions via l’injection de produit de contraste per-procédure, ainsi que leur biopsie à l’aide d’aiguilles 22G. Une biopsie hépatique non ciblée est également réalisable (aiguille 19G), avec un rendement diagnostique équivalent aux voies percutanée ou transjugulaire, sans sur-risque de complications (2). Des mesures du gradient porto-cave peuvent être réalisées par EE grâce à de nouveaux dispositifs de pression, avec des performances prometteuses : taux de succès élevé, durée de procédure réduite, et moindre variabilité des mesures (3). En complément, l’élastométrie par shearwave via EE est en cours d’évaluation, notamment chez les patients obèses.

Sur le plan thérapeutique, le rôle de l’EE dans les traitements anti-tumoraux intrahépatiques (éthanol, radiofréquence, électroporation, etc.) reste à préciser, mais pourrait offrir des solutions pour les situations complexes, avec une exposition systémique limitée.

Dans les pathologies hépatobiliaires non tumorales, comme les sténoses de cholangite sclérosante ou les complications post-greffe, l’endoscopie avancée joue un rôle diagnostique et thérapeutique central. La cholangiographie endoscopique peut contribuer au diagnostic du cholangiocarcinome (voie biliaire principale ou hile), dans le même temps que le geste de drainage. Ici encore, l’intégration de l’endoscopie dans une approche hépatologique globale se justifie pleinement.

En plus de renforcer l’expertise individuelle, l’endo-hépatologie favorise les échanges multidisciplinaires, développe des ponts entre médecine clinique et technique, et ouvre des perspectives de recherche translationnelle : ponction portale pour dosages ciblés, étude de la réponse aux bêta-bloquants, biomarqueurs du CHC, etc.

Enfin, sur le plan organisationnel, réintégrer une part d’endoscopie dans l’activité hépatologique pourrait enrichir les pratiques en CHU comme en CHG, diversifier les parcours professionnels, et accroître l’attractivité des structures hospitalières. Le fossé entre « interniste pur » et « manuel endoscopiste » n’est pas une fatalité : il peut aussi devenir un pont.

Pour approfondir le sujet, je vous invite à lire la synthèse publiée dans J Hepatol en 2024 (4), et à assister à la conférence du Dr Castellani, le samedi 13 septembre au Palais des Congrès de Perpignan, dans le cadre de l’Association Nationale des Hépato-Gastroentérologues Généraux de France (ANGH) : « Endo-hépatologie : quel intérêt pratique et quelle formation ? »