En mars 2018, la France annonçait son engagement à éradiquer le virus de l’hépatite C (VHC) à l’horizon 2025. Cette ambition s’appuyait sur une série de mesures structurantes destinées à simplifier l’accès au parcours de soins : l’instauration, dès mars 2017, de l’accès universel aux antiviraux à action directe (AAD), indépendamment du stade de fibrose ; la dispensation en pharmacie d’officine à compter de 2018 ; puis, en 2019, l’élargissement de la prescription à l’ensemble des médecins, généralistes inclus. Cette dynamique visait à permettre une prise en charge rapide, décentralisée, au plus proche du lieu de vie des patients.
Alors que l’année 2025 se termine, force est de constater que l’objectif d’élimination n’a pas été atteint. La France se rallie désormais aux cibles définies par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour 2030 : une réduction de 90 % des nouvelles infections et une diminution de 65 % de la mortalité associée au VHC. À ce jour, seul un pays européen, l’Islande, a réussi cette performance, grâce à son programme « Trap HepC » (Treatment as Prevention for Hepatitis C), initié dès 2016.
Dès lors, il est légitime de s’interroger : quels obstacles structurels et humains empêchent aujourd’hui l’éradication complète du VHC en France ?
L’appropriation médicale incomplète : entre invisibilité et désengagement
- Médecine de premier recours : un levier insuffisamment activé
Malgré la simplification du parcours de soins, les médecins généralistes demeurent insuffisamment impliqués dans le dépistage et la prise en charge de l’hépatite C, en particulier au sein des micro-réservoirs identifiés : populations immigrées originaires de zones de forte endémie, usagers de drogues, personnes détenues. Le dépistage y reste épisodique, et la proposition de traitement marginale.
L’analyse rétrospective menée par Brouard et al. Met en lumière l’impact limité des politiques publiques sur la dynamique de dépistage entre 2014 et 2021, accentué par la désorganisation induite par la pandémie de COVID-19 (Brouard C, Schwager M, Expert A, et al. Bull Épidémiol Hebd. 2023 ;15-16 :292-302).
- L’hôpital général : une opportunité diagnostique sous-exploitée
L’étude DEVICHO, conduite au sein de l’hôpital Saint-Joseph à Marseille, révèle que la prévalence de l’infection à VHC y est significativement supérieure à celle observée dans la population générale. Toutefois, même dans le cadre d’une stratégie de dépistage systématique limitée dans le temps, l’adhésion des professionnels reste partielle. Le manque d’intégration interdisciplinaire et les ruptures de continuité des soins apparaissent comme les principaux facteurs limitants (Si Ahmed Si Nafa et al. J Viral Hepat. 2025 ;32(6): e70038. doi :10.1111/jvh.70038).
La mise en œuvre d’un dépistage universel dans les services hospitaliers constitue une piste crédible, à condition d’être adossée à des protocoles opérationnels et à une volonté institutionnelle forte.
Psychiatrie : le réservoir oublié
Les établissements psychiatriques représentent un foyer de prévalence du VHC souvent négligé. Environ 5 % des patients hospitalisés en psychiatrie seraient porteurs chroniques du virus, du fait notamment de la forte représentation des usagers actuels ou passés de drogues dans ces services. D’autres facteurs, tels que la promiscuité institutionnelle, pourraient également favoriser la transmission (Rolland B, Bailly F, Cutarella C, et al. Encéphale. 2021 ;47:181-4).
Les données de la littérature suggèrent des bénéfices significatifs après traitement : une diminution de 28 % du nombre total d’hospitalisations et une réduction notable de la durée moyenne de séjour, quels que soient les diagnostics psychiatriques associés (Rolland B, Benabadji E, Lada O, et al. J Hepatol. 2022 ;77 : S579–S580).
Cependant, la politique de remboursement actuelle constitue un frein majeur : dans le secteur psychiatrique public, les AAD ne figurent pas sur la liste des médicaments « en sus », ce qui implique une imputation directe sur le budget hospitalier. Ce déséquilibre financier freine les initiatives pourtant volontaristes visant à éradiquer le virus dans ce contexte.
Précarité, toxicomanie : entre innovation et épuisement des ressources
L’accès aux soins reste dramatiquement insuffisant parmi les usagers de drogues et les personnes sans abri. L’exemple de l’Équipe Mobile Hépatites (EMH) du Centre Hospitalier de Perpignan constitue un modèle d’intervention territoriale innovant. Cette équipe pluridisciplinaire a mis en œuvre des outils de proximité : tests rapides (TROD), dosage immédiat de la charge virale par GENEXPERT, évaluation de la fibrose par FibroScan et prescription infirmière des AAD.
Elle est également à l’origine du programme « Test to Treat », couplé à un dispositif de dépistage hors les murs mené par des pairs, recrutés et rémunérés, issus de ces mêmes communautés (Remy AJ, Bouchkira H, Hervet J, et al. Hépatologie. Communication orale, 16 mai 2024).
Néanmoins, cette approche, bien que prometteuse, demeure fortement consommatrice de ressources humaines, logistiques et financières, et peine à être déployée à grande échelle sans soutien structurel.
ChemSex : la dynamique des réinfections
Les pratiques de ChemSex, caractérisées par une consommation planifiée de substances psychoactives à visée sexuelle, ont été à l’origine d’une augmentation marquée des hépatites C aiguës, notamment chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), vivant avec le VIH ou sous PrEP.
Une étude portant sur 108 patients a révélé 80 primo-infections et 28 réinfections, justifiant la recommandation d’un dépistage systématique tous les trois à six mois dans cette population (Cotte L et al., 2017 ; Martin TC, EASL 2016, Abs. PS006).
En synthèse:
L’éradication de l’hépatite C en France ne dépend plus de l’innovation thérapeutique, mais d’une mobilisation coordonnée et transversale du système de santé. Cela implique :
- Une appropriation active de la lutte contre le VHC par les professionnels de santé, en particulier en médecine générale et en milieu hospitalier ;
- Une meilleure articulation entre les acteurs somatiques et psychiatriques ;
- Une reconnaissance formelle et budgétaire des efforts menés dans les contextes précaires ;
- Un appui politique et administratif conséquent.
La cartographie des réservoirs est connue. Les outils existent. Reste à bâtir une stratégie pérenne, équitable et cohérente.
Rendez-vous en 2030 !