Les Éditos de l'AFEF

GPT : l’intelligence de l’hépatologue est-elle artificielle ?

Par : Bardou-Jacquet Edouard
Centre de Référence des Hémochromatoses / Service des Maladies du Foie, CHU de Rennes

Difficile de passer au travers ces derniers temps tant l’actualité s’est déchaînée depuis la mise à disposition du grand public des outils d’intelligence artificielle générative telle que ChatGPT ou Dall·E. Passé le côté ludique de personnage plus ou moins illustre dans des situations cocasses, les professions intellectuelles vont vraisemblablement connaître l’équivalent de la révolution industrielle du monde ouvrier des décennies passées.

La médecine, et l’hépatologie, ne pourront se passer d’un examen de sa valeur ajoutée. Les capacités en termes de connaissance théorique de la machine sont bien sûr incomparables, expliquant « facilement » les réussites aux examens théoriques des études de médecine.(1) Néanmoins se penser immunisé par l’indispensable contact humain est faussement rassurant. Cela vient d’être joliment démontré par une étude récemment parue dans le Jama Internal Medicine. Les auteurs ont extrait 195 questions de forums de discussion grand publique anglophones, auxquelles un médecin (identifié comme tel dans le forum) avait déjà répondu. Les questions étaient soumises à une session non entraînée du ChatBot OpenAI GPT-3.5. Le trio question / réponse humaine / réponse ChatBot était soumis en tripliqué et en aveugle à 5 évaluateurs (oncologue, interniste, pédiatre, gériatre, infectiologue) pour être évalué par une échelle analogique sur la « qualité des informations données » et sur « l’empathie ou l’attitude au chevet du patient » de la réponse. Les résultats montrent que la réponse préférée était celle du ChatBot dans 78.6% des cas, la qualité de la réponse humaine étant jugé comme inférieure de 21% en moyenne, et le niveau d’empathie inférieur de 41%.(2) Ces résultats sont à nuancer (situation particulière de relation médecin/malade sur un forum, temps consacré par les médecins à répondre, pas de notion d’être « évalué » sur ces réponses). Cependant cela démontre bien, dans une période où les rapports digitaux sont de plus en plus normalisés et la difficulté d’accès aux médecins est accrue, que le seul caractère « empathique » du rapport humain ne sera pas suffisant.

Comme toute évolution majeure, l’IA va apporter sa part de destruction créatrice selon la théorie de Joseph Schumpeter.(3) Les fervent défenseur des BetaMax, Polaroid et Kodak, en ont une expérience aiguë, de même que peu nombreux sont les audiophiles utilisant encore des cassettes et leur walkman… Bien que cette innovation soit un peu différente des précédentes, les médecins ont toujours su s’adapter et tirer parti des outils mis à leur disposition, et les champs ouverts par l’IA offrent des perspectives fascinantes. Il est par ailleurs fortement probable que les patients soient les premiers à se saisir de ces outils, à la recherche d’informations plus « pertinentes » que les recherches sur internet encore laborieuses pour les non-experts.

De façon pragmatique et générale, des tâches administratives rébarbatives vont disparaître, tel que la cotation des actes, l’organisation des agendas, le planning de garde et d’équipes, la planification de réunions. Des outils permettant de résumer en quelques lignes de longs échanges de mails sont déjà en mesure d’alléger les boîtes mail. Demain, des systèmes d’alerte pour le tri et la gestion des examens complémentaires prescrits (surveillances biologiques et détection d’anomalie) ?

Sur le plan scientifique, la bibliographie et la rédaction seront assez rapidement impactées. Des outils tels que elicit.org (4), gratuitement accessible, permettent de simplifier la recherche bibliographique. Après avoir rentré votre demande de recherche en texte simple, avec les éventuels filtres habituels, vous pouvez rapidement comparer et extraire des publications proposées les données qui vous intéressent sous forme de tableau interactif. Vous pouvez alors en un instant comparer ou trier des études par leur nombre de participants, intervention étudiée ou durée de suivi, etc. et d’un coup d’œil rapide vous alléger un travail scrupuleux de recueil exhaustif et détaillé. Une mise à jour de ses connaissances sur une thématique moins familière sera fortement accélérée.

Des outils un peu plus élaborés, payants, tel que scite.ai,(5) permettent de suivre les interactions et dialogues entre les différentes publications pour créer un « cheminement » de preuve, ou retrouver l’émanation d’un concept ou d’une recommandation.

Sur le plan rédactionnel, si ces outils font la frayeur des enseignants vis-à-vis des travaux demandés aux étudiants, les scientifiques moins littéraires trouveront une aide précieuse pour la rédaction et la publication scientifique. Encore balbutiant, ChatGPT est capable d’écrire une lettre à l’éditeur. (6) Si l’outil est incapable de générer une idée nouvelle, le ChatBot va pouvoir organiser, rédiger, structurer une idée soumise par l’auteur et fournir un premier brouillon tout à fait honorable. Des sections très standardisées telles que les matériels et méthodes, ou résultats à partir d’un plan d’analyse statistiques pourront être simplifiés de même que la génération de moyen de visualisation et figures. L’humain restera indispensable pour donner l’impulsion initiale et vérifier l’exactitude des données, mais le temps de travail sera significativement réduit.

De manière plus « pratique clinique », et restant dans le champ rédactionnel, à l’heure ou le dossier patient est informatisé, la génération de compte rendu pourra être automatisée. (7) Le gain de temps médical, et le gain de qualité du suivi par la communication facilitée seront significatifs.

Sur le plan purement clinique, l’hépatologie sera impactée de manière majeure par les outils diagnostiques. Plus classique que les récents outils génératifs, les modèles d’apprentissages profond et consort vont faire évoluer les examens radiologique et histologique qui font l’objet d’un développement intense. (8) De façon plus ponctuelle, la capacité de ces méthodes à générer de la valeur à partir de sets de données complexes peut donner des résultats inattendus et intéressants, tel que le diagnostic de cirrhose à partir d’un simple ECG, avec une performance très respectable. (9) Couplé aux méthodes génératives ces outils diagnostics « augmentés » pourront guider la prise en charge du patient.

Les IA génératives vont révolutionner la relation médecin/patient, la pratique médicale et scientifique. Loin de craindre ces outils, il faut les comprendre et les appréhender pour en tirer parti et être prêts à faire évoluer nos pratiques, tant les perspectives qu’ils offrent sont étendues. La valeur ajoutée résidera non plus dans la connaissance théorique, mais dans la capacité à adapter la prise en charge au sens clinique, évaluer la pertinence des suggestions, soulever les questions critiques, et proposer des idées originales pour faire avancer les pratiques.

Références

  1. Kung TH, Cheatham M, Medenilla A, Sillos C, Leon LD, Elepaño C, et al. Performance of ChatGPT on USMLE: Potential for AI-assisted medical education using large language models. PLOS Digit. Health. 2023;2:e0000198.
  2. Ayers JW, Poliak A, Dredze M, Leas EC, Zhu Z, Kelley JB, et al. Comparing Physician and Artificial Intelligence Chatbot Responses to Patient Questions Posted to a Public Social Media Forum. JAMA Intern. Med. [Internet]. 2023 [cited 2023 May 9];Available from: https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2023.1838
  3. Schumpeter (1883-1950) JA. Capitalism, socialism and democracy [Internet]. 1942 [cited 2023 May 9]. Available from: https://data.bnf.fr/12321149/joseph_alois_schumpeter_capitalism__socialism_and_democracy/
  4. Elicit: The AI Research Assistant [Internet]. [cited 2023 May 9];Available from: https://elicit.org/
  5. Ascite: see how research has been cited [Internet]. scite.ai. [cited 2023 May 9];Available from: https://scite.ai
  6. King MR. The Future of AI in Medicine: A Perspective from a Chatbot. Ann. Biomed. Eng. 2023;51:291–295.
  7. Patel SB, Lam K. ChatGPT: the future of discharge summaries? Lancet Digit. Health. 2023;5:e107–e108.
  8. Nam D, Chapiro J, Paradis V, Seraphin TP, Kather JN. Artificial intelligence in liver diseases: Improving diagnostics, prognostics and response prediction. JHEP Rep. 2022;4:100443.
  9. Ahn JC, Attia ZI, Rattan P, Mullan AF, Buryska S, Allen AM, et al. Development of the AI-Cirrhosis-ECG Score: An Electrocardiogram-Based Deep Learning Model in Cirrhosis. Am. J. Gastroenterol. 2022;117:424–432.