Les Éditos de l'AFEF

Les cellules stellaires hépatiques : d’architectes du foie à gardiennes de son homéostasie

Par : Bailly-Maître Béatrice
C3M Centre Méditerranéen de Médecine Moléculaire, INSERM U1065, Université Côte d'Azur

Éditorial – à propos de Sugimoto et al., Nature Medicine, 2025 « Hepatic stellate cells control liver zonation, size and functions via R-spondin 3 »

Longtemps reléguées au rang de simples effecteurs de la fibrose, les cellules stellaires hépatiques (HSC, hepatic stellate cells) s’imposent aujourd’hui comme de véritables architectes de l’organisation fonctionnelle du foie. Dans un article publié dans Nature Medicine (avril 2025), les équipes dirigées par Robert F. Schwabe (Columbia University) et Hellmut Augustin (Heidelberg) bouleversent la vision classique de ces cellules mésenchymateuses. Au-delà de leur rôle fibrogénique, les HSC assurent, via la sécrétion du facteur R-spondine 3 (RSPO3) – modulateur positif de la voie WNT/β-caténine-, la mise en place et le maintien de la zonation hépatocytaire, condition essentielle à la taille, à la régénération et aux fonctions métaboliques du foie.

Quand l’absence de cellules stellaires désorganise l’architecture du  foie

Les auteurs ont utilisé des approches génétiques élégantes pour éliminer spécifiquement les HSC (modèles Lrat-Cre/ Cre-inducible diphtheria toxin receptor (iDTR) et JEDI (just eGFP death-inducing), éviter les effets non spécifiques observés avec des agents chimiques tels que la gliotoxine. Le résultat est spectaculaire : la taille des foies des souris dépourvues de HSC est plus petite, avec des hépatocytes de taille réduite et une chute de l’expression des gènes de prolifération (Ki67, cyclin D1, Ccnd1, Mki67). Après hépatectomie partielle ou stimulation par agoniste du récepteur CAR, la régénération est sévèrement compromise. L’analyse transcriptomique révèle un remaniement profond de la zonation métabolique : les marqueurs péricentraux (CYP1A2, CYP2E1, RGN) diminuent, tandis que les marqueurs périportaux (CYP2F2, HAL) augmentent. Ces modifications s’accompagnent d’effets opposés selon le type d’agression : une protection inattendue contre les toxiques péricentraux (CCl₄, acétaminophène), mais une sensibilité accrue aux toxiques périportaux (alcool allylique). Les HSC apparaissent ainsi comme des régulateurs majeurs des réponses régénératives et lésionnelles, gouvernant la résilience hépatique selon la topographie lobulaire.

RSPO3 : un signal clé du dialogue HSC–hépatocyte

L’analyse des interactions ligand–récepteur identifie R-spondine 3 (RSPO3), modulateur positif de la voie WNT/β-caténine, comme messager clé reliant HSC et hépatocytes. RSPO3 est fortement enrichie dans les HSC, formant un gradient décroissant du centre vers la périphérie du lobule. Ses récepteurs LGR4/LGR5 sont exprimés par les hépatocytes, et la perte d’HSC ou la suppression sélective de Rspo3 réduit l’expression des gènes cibles de la voie WNT (Cyp1a2, Cyp2e1). Les souris Rspo3ΔHSC reproduisent le phénotype observé après déplétion des HSC : foie réduit, dérégulation de la zonation et altération des marqueurs péricentraux. À l’inverse, la suppression de Rspo3 dans les cellules endothéliales (Rspo3ΔEC) n’altère ni la taille du foie ni la plupart des zones métaboliques, suggérant une complémentarité zonale : les HSC-RSPO3 contrôlent la majorité des hépatocytes, tandis que les EC-RSPO3 maintiennent le petit compartiment péricentral à forte activité WNT (Glul, Oat).

RSPO3 module régénération, détoxification et stéatose

Les souris Rspo3ΔHSC présentent une régénération hépatique altérée après hépatectomie, une réduction des marqueurs de prolifération (Ki-67, cycline D1) et une diminution de la nécrose et des transaminases après exposition à l’acétaminophène ou au CCl₄. En revanche, les lésions périportales induites par l’alcool allylique s’aggravent. Ces effets, strictement zonaux, confirment que RSPO3-WNT orchestre la réponse régénérative en fonction de la topographie métabolique. Sur le plan métabolique, Rspo3ΔHSC exacerbe la stéatose et la fibrose dans les modèles d’alcoolo- et de stéatose associée à la dysfonction métabolique (MASLD). L’accumulation triglycéridique péri-centrale s’accompagne d’une baisse du gène Aldh2 et d’une fibrose accrue. Les analyses métabolomiques révèlent une altération de la β-oxydation mitochondriale, du métabolisme des acides biliaires et de la détoxification des xénobiotiques.

Perspectives : du fibrogène au trophique

Chez l’homme, l’expression de RSPO3 décroît avec l’activation des HSC et s’associe à un pronostic défavorable dans les maladies stéatosiques et alcooliques. Ces résultats introduisent un paradigme nouveau : au-delà du couple « HSC quiescente / HSC activée », émerge la notion d’une HSC homéostatique productrice de RSPO3, indispensable à la fonction et à la protection des hépatocytes. Restaurer le signal RSPO3-WNT pourrait, à terme, rétablir la zonation et la capacité d’autoréparation du foie. Les cellules stellaires ne sont donc pas seulement les « coupables » de la fibrose : elles en sont aussi les gardiennes silencieuses.