Les Éditos de l'AFEF

L’hépatite C c’est pas fini ! Qui sont les « nouveaux » patients ?

Par : Rémy André-Jean
Docteur - Chef de Service Hépato-Gastroentérologie - Service Expert de Lutte contre les Hépatites Virales - Equipe Mobile Hépatites, Centre Hospitalier de Perpignan

Après avoir lu et entendu pendant des années le dogme « l’hépatite C est un problème de santé publique », le nouveau paradigme au sein des hépatologues français et des autorités de tutelle est que la situation est désormais sous contrôle ; en 2025, il n’y aura plus en France de patient ayant une hépatite C, les actions actuelles suffisent. Pourtant, le calcul du nombre restant patients à charge virale positive et non pris en charge est fait, avec des estimations entre 74000 et 108000 selon les sources les plus récentes (1-2). Ces patients ne constituent pas un groupe homogène qui résisterait encore et toujours au dépistage et à la prise en charge. Ils sont dispersés au sein du système de soins ou en sont encore trop éloignés.

Ainsi par exemple, un article récent paru dans Hepatology (3) apporte des éléments intéressants sur le lien désormais établi entre l’épidémie d’addiction aux opioïdes prescrits largement initialement aux citoyens américains atteints de douleurs chroniques et des hépatites C aigues ; 115 américains meurent chaque jour de cette addiction aux opioïdes « médicaux » (4) tandis que le CDC rapporte 2967 cas d’hépatite aigue C dans 42 états, soit une incidence multipliée par 14 (5). Les états ruraux de Midwest sont plus particulièrement concernés, du Dakota à l’Ohio, créant une nouvelle épidémiologie de l’hépatite C, bien différente des usagers de drogues illicites des grands centres urbains. Ce phénomène ne semble pas avoir encore avoir atteint la France, malgré une prescription d’antalgiques de palier III croissante d’année en année, particulièrement pour des pathologies non néoplasiques; Les données françaises d’addictovigilance ont recensé 610 notifications concernant les médicaments contenant de la codéine à visée antalgique entre 2007 et 2016 avec une augmentation à partir de 2011. Le nombre de cas a été multiplié par 2,5 de 2007 à 2016 (6). Les spécialités les plus citées sont le Codoliprane® (40%), suivi du Dafalgan codéiné (22%) puis de la Prontalgine (12%) et de l’Efferalgan codéiné (12%). La douleur constitue la principale indication notamment rhumatismale suivie des céphalées. Faut il s’attendre avec un temps de retard aux mêmes conséquences en France qu’aux Etats-Unis ?

Et pour la France en 2018? Qui sont les nouveaux patients pris en charge pour leur hépatite C ? Des éléments de réponse viennent d’être apportés par les résultats préliminaires de l’étude KIDEPIST coordonnée par le Dr Isabelle ROSA et réalisée pendant un an au sein des hôpitaux généraux membres de l’ANGH. Les résultats préliminaires sur plus de 500 patients montrent que le nouveau patient français est un homme de 57 ans, ancien usager de drogue, ayant des comorbidités métaboliques et/ou cardiovasculaires et en situation précaire. Mais ce patient type est adressé à l’hépatologue par son médecin généraliste dans 40% des cas (7). Le dépistage était demandé dans 1/3 des cas pour des antécédents personnels d’usage de drogue mais 1 fois sur 4 pour anomalies biologiques et dans le cadre d’un dépistage systématique dans 13%. Un tiers des patients avaient une fibrose F3F4 ! Ces données vont à contrario des idées reçues que le réservoir de patients non dépistés et/ou pris en charge se trouve uniquement dans les prisons, les PASS et les structures de prise en charge des usagers de drogue (CSAPA/CAARUD) et qu’il n’y a plus de cirrhotiques à dépister.

Les 83èmes Journées de l’AFEF qui viennent de s’achever à Lyon ont été l’occasion de présenter de nombreuses expériences de terrain originales qui toutes visent à l’éradication du VHC sur un territoire, une ville, un hôpital. Chaque participant aura pu faire un tour de France des bonnes idées, plus ou moins facilement transposable, qui passait, dans l’ordre alphabétique par Annecy, Bordeaux, Créteil, Marseille, Paris, Perpignan, Strasbourg, Toulouse et Villejuif. Mais au-delà des actions à destination de ces groupes ayant des comportements à risque, le dépistage doit concerner Monsieur et Madame tout le monde pour atteindre l’objectif final d’éradication 2025 (8). C’est tout le sens de la campagne de dépistage de l’AFEF « faites du bruit autour de l’hépatite C ! ».

Références

  1. Pioche C, Pelat C, Larsen C, Desenclos JC, Jauffret-Roustide M, Lot F, Pillonel J, Brouard C. Estimation de la prévalence de l’hépatite C en population générale, France métropolitaine, 2011 ; Bull Epidemiol Hebd 2016, 13-14 : 224-229.
  2. Melin et al: Baromètre de l’éradication du VHC en France. Communication affichée, AASLD 2018.
  3. Boeesecke E, Rokcstroh JK. (Mid)West Side Story: Acute Hepatitis C Virus Infection and the Opioid Epidemic in the United States. Hepatology 2018, doi: 10.1002/hep.30290 (in press).
  4. National Institutes of Health National Institute on Drug Abuse. Opiod overdose crisis. https://www.drugabuse.gov/drugs-abuse/opioids/opioid-overdose-crisis.Revised March 2018. Accessed June 4, 2018.
  5. Centers for Disease Control and Prevention. Viral hepatitis. Hepatitis C questions and answers for health professionals. https://www.cdc.gov/hepatitis/hcv/hcvfaq.htm#section1. Revised April 30, 2018. Accessed June 4, 2018.
  6. Observatoire Français des Médicaments Antalgiques. http://www.ofma.fr/donnees-pharmacovigilanceaddictovigilance/
  7. OSA I. KIDEPIST : résultats préliminaires. 26ème Congrès de l’ANGH, Nogent sur Marne, 21-22 septembre 2018.
  8. Prise en charge thérapeutique et suivi de l’ensemble des personnes infectées par le virus de l’hépatite C : rapport de recommandations 2016. EDP Sciences, Paris, 2016, 108p.