Le premier objectif thérapeutique recherché au cours du traitement d’une hépatite virale chronique est le contrôle de sa multiplication. Chez les patients infectés par les virus des hépatites C, D ou E, l’objectif précis est la réponse virologique soutenue, définie par une indétectabilité de l’ARN plusieurs mois après l’arrêt du traitement (12 semaines après un traitement par anti-viraux directs (AVD) efficaces sur le VHC) (1). Au cours du traitement de l’hépatite B, l’objectif est d’obtenir, dans un premier temps, un ADN indétectable à long terme au cours du traitement par analogues (ou 6 mois après l’arrêt d’un traitement par interféron); les objectifs sont ensuite d’obtenir une séroconversion HBe (chez les patients initialement Ag HBe positifs) puis la négativation de l’antigène HBs et enfin la séroconversion dans le système HBs (2).
Le contrôle de la réplication virale est recherché parce qu’il est associé à une augmentation de la survie globale et de la survie sans complication hépatique (3). Comme dans toutes les étiologies de cirrhose, les causes de morbi-mortalité au cours de l’évolution des hépatites virales chroniques, sont principalement représentées par le carcinome hépato-cellulaire (CHC) puis les complications liées à l’hypertension portale et à l’insuffisance hépatique. Il a été démontré dans de nombreuses études asiatiques, américaines et européennes et des cohortes avec un suivi à long terme que le contrôle de la réplication virologique B (4-5) et la guérison du VHC diminuaient de façon significative l’évolution vers la cirrhose et le risque de CHC (6-8).
Le débat récent sur l’augmentation du risque de CHC de novo ou sous forme de récidive, après un traitement anti-tumoral curatif suivi d’un traitement par AVD (9-15), conclut sur le fait que cette augmentation relative n’est pas liée aux AVD (par rapport aux patients non traités ou traités par interféron), mais au fait que les patients recevant ce type de traitement ont plus de facteurs de risque de CHC (en raison d’hépatopathies plus sévères). En effet, en analyse multivariée, après ajustement des variables de confusion constituées par ces facteurs associés, le risque de CHC est comparable ou plus faible, pendant la période du traitement et dans l’année qui suit son arrêt, par rapport aux patients traités par interféron (15). A plus long terme, ce risque diminue comme ce qui avait été décrit auparavant chez les patients traités par interféron. La question de l’agressivité de ces CHC reste à éclaircir.
En dehors des complications hépatiques, il a aussi été démontré, cette fois-ci seulement au cours de l’hépatite chronique C, que la réponse virologique soutenue était associée à une diminution de la morbi-mortalité extra-hépatique avec une amélioration du pronostic néphrologique, cardio- et neuro-vasculaire, métabolique (diabète) (16) et cancérologique (5-7).
Si le dépistage des patients et leur prise en charge interviennent avant le stade de cirrhose décompensée, le pronostic des patients reste favorable. Il serait logique de penser que, dans les pays où le traitement est possible pour tous les patients infectés par le VHC et disponible pour tous les patients avec une hépatite chronique B, D ou E avec une indication thérapeutique, il serait bientôt inutile de suivre certains patients après guérison virologique.
Il ne faut cependant pas oublier de respecter certaines règles. La première est de continuer le dépistage des complications des hépatopathies sévères même après le contrôle de la réplication virale. Le dépistage du CHC doit être poursuivi chez tous les patients ayant une cirrhose ou des lésions pré-cirrhotiques. En effet, si l’incidence du CHC diminue chez ces patients (de 3 à 1 % environ après réponse virologique soutenue au cours de l’hépatite chronique C par exemple), ce risque ne s’annule pas, justifiant la poursuite de la réalisation de l’échographie semestrielle. Il faut également tenir compte, à ce stade, des co-morbidités hépatologiques, comme le syndrome métabolique qui augmente l’incidence du CHC même après guérison virologique du VHC (7). De même, le risque des complications d’hypertension portale diminue sans s’annuler et le dépistage par fibroscopie doit être poursuivi. Une des questions non résolues est la validité des critères de Baveno VI (17) dans d’autres hépatopathies sévères que celles liées à une hépatite chronique C répliquante, c’est-à-dire chez les patients ayant une hépatopathie virale C virologiquement guérie, les patients ayant un contrôle au long cours de la réplication virale B, les patients guéris virologiquement d’une hépatite D ou E.
La question du suivi chez les patients ayant des lésions de fibrose moins sévères (nulles à moyennes) doit aussi être discutée. Chez les patients ayant une hépatite chronique B traitée au long cours par des analogues nucléotidiques ou nucléosidiques, le suivi spécialisé reste indispensable.
Chez les autres, il faut distinguer deux types de patients. Chez les patients sans co-morbidité et sans risque de réinfection, le suivi spécialisé peut être arrêté sous réserve du dépistage des co-morbidités hépatologiques (qui peuvent survenir comme chez les patients sans hépatite virale) dans le cadre du soin courant chez le médecin généraliste (syndrome métabolique, surconsommation d’alcool principalement), avec une reprise du suivi spécialisé si besoin. Au contraire, chez les patients ayant des co-morbidités présentes au moment de l’obtention du contrôle virologique, il faut poursuivre le suivi spécialisé en raison de l’aggravation potentielle de l’hépatopathie et prendre en charge ces co-morbidités. De la même façon, s’il existe des risques de réinfection par voie sanguine ou sexuelle (18), il est important d’accompagner les patients avec des mesures d’éducation thérapeutique (afin de les informer sur les différentes mesures de prévention susceptibles de limiter la réinfection), de discuter de l’indication éventuelle des traitements substitutifs oraux et de poursuivre le dépistage régulier de ces réinfections afin de les traiter aussi rapidement que possible, pour obtenir un bénéfice à la fois individuel mais aussi pour limiter la transmission à l’entourage du patient.
A toutes ces mesures, il faut bien sûr ajouter l’amélioration du dépistage de ces différentes hépatites virales, afin de traiter les patients avant la survenue des complications responsables de la morbi-mortalité, d’en limiter la transmission et également d’améliorer l’accès aux soins, en particulier chez les patients ayant des difficultés sociales (qui limitent la prise en charge et sont plus fréquentes que dans la population générale).
Autrement dit, le contrôle virologique au cours des hépatites virales chroniques est une condition nécessaire mais non suffisante à la prise en charge optimale des patients. La diminution et idéalement la disparition de la morbi-mortalité liée aux hépatites nécessitent une prise en charge globale qui va du dépistage, à la recherche de comorbidités (19-20) (infection par le VIH, autres hépatites virales, diabète, syndrome métabolique, surconsommation d’alcool …), l’évaluation des complications hépatiques et des risques de re contamination (IV ou sexuelle), la prise en charge de la surconsommation d’alcool (avec un bénéfice en terme médical -psychiatrique, neurologique, cancérologique, ophtalmologique, infectieux…- mais également en terme socio-professionnel et familial), du syndrome métabolique (dont le bénéfice dépasse aussi largement la sphère hépatologique avec un bénéfice cardio-vasculaire, neuro-vasculaire, néphrologique, rhumatologique, pneumologique…).
L’optimisation de cette prise en charge nécessite aussi dans l’avenir :
-d’améliorer le dépistage de ces infections en mettant en œuvre le dépistage universel de l’hépatite C actuellement recommandé, en améliorant le dépistage des autres hépatites chez les patients, au moins en cas de facteur de risque,
-d’améliorer les traitements de l’hépatite B en mettant au point des traitements de durée limitée (probablement sous forme de combinaisons efficaces à court terme sur la réplication virale B et la négativation de l’Ag HBs), le traitement de l’hépatite D qui reste l’infection la plus difficile à traiter et celle dont le pronostic est le plus rapidement défavorable
-de préciser l’amélioration du pronostic hépatologique des patients après contrôle virologique (les nombreux patients guéris du VHC mais aussi ceux moins nombreux guéris du VHD ou du VHE et les patients avec une hépatite chronique B sous traitement à long terme par analogues), afin de pouvoir préciser dans ces différentes populations les mesures optimales de dépistage des complications en fonction de leurs caractéristiques individuelles
-de préciser l’amélioration du pronostic non hépatologique, comme le pronostic métabolique, néphrologique et vasculaire.
La tâche reste grande, même après l’élargissement des conditions de remboursement des anti-viraux directs dans l’hépatite C, pour éliminer les hépatites virales et leurs complications. Il est important de ne pas relâcher le dépistage des complications chez les patients ayant des hépatopathies sévères définies avant le contrôle de la réplication virale, de ne pas relâcher le dépistage des co-morbidités quel que soit le stade de fibrose, d’améliorer le dépistage et l’accès aux soins de tous les patients concernés, et de préciser le pronostic à long terme hépatique et extra-hépatique après contrôle virologique.
Références
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