Les Éditos de l'AFEF

Où en est-on de la prévention du COVID en hépatologie en février 2022 ?

Par : Fontaine Hélène
Docteur - Service d’Hépatologie Médicale et d’Addictologie, Hôpital Cochin APHP, Paris

La prise en charge des patients suivis en hépatologie, comme dans les autres spécialités, est limitée par le manque de personnel, en particulier paramédical depuis les vagues précédentes, (un problème dont la résolution dépendra de la réalisation de modifications importantes de la gestion en ressources humaines), par le manque de lits disponibles et également par l’activation du plan blanc nécessaire au cours de la 5° vague. Ceci perturbe à nouveau l’activité de soins des patients suivis en consultation et hospitalisés. La prolongation de la pandémie nous oblige à associer à la prise en charge hépatologique habituelle, les informations relatives à la prévention de la COVID chez les patients avec une hépatopathie chronique.

Les consultations, en présentiel ou en distanciel, sont le moment idéal pour leur transmettre une information éclairée et précise sur les mesures préventives qui sont à appliquer dans la population générale et pour chaque patient de façon personnalisée. Cependant, il est difficile de suivre ces recommandations qui sont modifiées au fur et à mesure de l’évolution du contexte sanitaire et des connaissances médicales. En voici une actualisation (qui aura donc, par définition, une demi-vie courte).

Les gestes barrières constitués par l’hygiène des mains, la nécessité d’un dépistage en cas de symptomatologie, le respect des règles d’isolement et le dépistage des cas contact en cas d’infection prouvée par la PCR sont bien sûr toujours d’actualité. Le port du masque, s’il n’est plus obligatoire en extérieur dans certaines zones géographiques est toujours important dans les endroits très fréquentés et dans les lieux fermés.

La vaccination (par 2 injections de vaccin à environ 4 semaines d’intervalle chez la majorité des patients) a été mise en place depuis fin 2020 de façon progressive, d’abord chez les personnes à risque de forme sévère puis chez tous les majeurs puis chez les sujets de plus de 12 ans à partir de mai1 et enfin chez les enfants de 5 à 12 ans, depuis le 5 janvier 2022.

Actuellement en France, on estime que plus de 52,8 millions de personnes ont reçu un premier schéma de vaccination complet, ce qui représente une couverture vaccinale de 78,7 % de la population. Ceci a permis de diminuer la prévalence de l’infection, des formes graves nécessitant une hospitalisation et de la mortalité ; malgré cela, les

tensions dans les secteurs d’hospitalisation classique ou en réanimation sont encore importantes, en particulier dans les zones où la prévalence est élevée et la population relativement peu vaccinée
La campagne de rappel vaccinal a été lancée en septembre 2021 ; débutée d’abord dans les populations prioritaires (en fonction de l’âge et des pathologies de chacun), ce rappel est actuellement recommandé chez tous2. Le pass vaccinal est entré en vigueur le 24 janvier pour les plus de 16 ans.

Quelles sont les spécificités à retenir chez les patients ayant une hépatopathie chronique ?

Comme précisé dans la circulaire de la DGS du 27 août dernier, la campagne de rappel a priorisé les patients ayant une des pathologies hépatologiques suivantes : dans la catégorie des « personnes à très haut risque de forme grave», les patients suivis pour cancer et les patients transplantés, et dans la catégorie des « personnes présentant des pathologies facteurs de risque de forme grave selon la classification établie par la Haute Autorité de Santé », les maladies hépatiques chroniques, en particulier la cirrhose. Initialement, le délai recommandé entre la fin du 1° schéma vaccinal complet et le rappel était d’au moins 6 mois, excepté chez les patients avec immunosuppression sévère (qui comprenait ceux suivis pour cancer ou transplantation d’organe), chez lesquels le délai était raccourci entre 3 et 6 mois (actuellement, ce délai est raccourci à 3 mois dans la population générale également). Enfin, une 4° injection pouvait être réalisée 3 à 6 mois après le 1° rappel chez une personne sévèrement immunodéprimée, si l’équipe médicale considérait qu’il y avait un bénéfice2.

Ces recommandations, régulièrement actualisées par le Conseil d’Orientation de la Stratégie Vaccinale pour les patients à risque de forme sévère de COVID, ont été considérablement modifiées avec la vague récente, la très large prédominance des infections par la souche Omicron et la diffusion du rappel vaccinal chez les patients à risque et dans la population générale.

Il est important de souligner quelques règles plus spécifiquement hépatologiques.

Tout d’abord, quels sont les patients considérés actuellement comme ayant un risque de forme sévère de COVID ? Il s’agit des patients ayant un déficit de l’immunité lié à leur pathologie ou à son traitement, c’est-à-dire, en hépatologie, de tous les patients ayant un cancer (hépatocarcinome, cholangiocarcinome ou autre), de tous les patients traités par chimiothérapie, des patients sous immunosuppresseurs indiqués pour une greffe d’organe ou une pathologie auto-immune (y compris les patients traités par azathioprine en monothérapie et les patients recevant une corticothérapie à partir d’une posologie quotidienne de 10 mg). Il s’agit également des patients à risque de complication sévère comprenant les patients ayant une obésité, une hypertension artérielle, un diabète, une insuffisance rénale chronique et les patients ayant « une pathologie chronique » dont la définition reste assez floue… Si cette dernière catégorie n’est pas clairement définie, elle peut inclure tous nos patients mais surtout ceux ayant une cirrhose.

Chez ces patients, il est important, non seulement, de leur expliquer l’importance de la réalisation du rappel, le délai dans lequel il doit être réalisé mais également de leur prescrire un dosage des « anticorps anti-Sars-Cov-2 anti-Spike en BAU/ml » afin de déterminer s’ils sont répondeurs ou non au vaccin. Chez les patients dont la pathologie est prise en charge à 100 % par la sécurité sociale, il est important de bien noter sur l’ordonnance (même bizone) que cet examen est compris dans cette prise en charge afin que le patient n’ait pas à en régler le prix au laboratoire.

Si ce taux est supérieur à 260 UI/ml, le patient est défini comme répondeur à la vaccination3 ; cette sérologie peut être contrôlée tous les 3 mois chez les patients immunodéprimés afin de vérifier que le patient a toujours un taux protecteur contre la majorité des formes graves. Si, au contraire, le taux est inférieur à 260 UI/ml, la réponse est considérée comme faible (assez souvent nulle chez les patients très immunodéprimés). Il est important que le patient ait connaissance du résultat du dosage afin qu’il connaisse la conduite à tenir en fonction du taux d’anticorps.
En prophylaxie pré-exposition, il est nécessaire de demander la mise à disposition d’un traitement par Evusheld® (association de 2 anticorps monoclonaux, le tixagevimab 150 mg et le cilgavimab 150 mg) pour tous les patients de plus de 18 ans, avec une réponse faible à la vaccination et un risque élevé de forme sévère de COVID. Les contre-indications sont principalement cardiologiques : infarctus du myocarde récent, insuffisance coronarienne symptomatique, syndrome coronarien aigü. L’administration se fait par voie intra-musculaire (la moitié de chacun des produits dans chaque fesse) ou éventuellement par voie sous-cutanée profonde.
La prophylaxie après l’exposition est réalisée avec la même association d’anticorps mais avec des doses plus faibles (110 mg de chacun des anticorps) avec le même type d’administration. Elle concerne seulement les cas-contacts ayant un test par PCR négatif.
Et enfin, le traitement curatif, à un stade précoce de l’infection (ne nécessitant pas d’oxygénothérapie en raison de l’infection), chez tous les patients (de plus de 18 ans) ayant un risque élevé de forme grave de COVID (quel que soit le taux des anticorps, cette fois-ci), est constitué par du Paxlovid® (association d’un anti-viral, le PF-07321332 150 mg et de ritonavir 100 g). Le schéma thérapeutique est constitué de 300 mg d’anti-viral en 2 cp à 150 mg et d’un comprimé de 100 mg de ritonavir à prendre une fois le matin et une fois le soir, pendant une durée de 5 jours. Ce traitement est disponible en pharmacie hospitalière et de ville. Il doit être initié dans les 5 jours suivant l’apparition des symptômes et réduit les risques de forme grave de 85,2 % y compris en cas d’infection par une souche Omicron. Il est important avant de le prescrire de vérifier que le patient est bien dans la population-cible, la date des 1° symptômes et l’absence d’interaction entre les traitements indispensables pris par le patient et le ritonavir, l’absence d’insuffisance rénal (qui nécessite une modification des posologies).

Qu’en est-il de l’indication d’une deuxième injection de rappel ? Il a été recommandé par l’avis du 6 janvier du COSV pour tous les patients sévèrement immunodéprimés et doit être suivi dans un délai de 2 semaines d’un dosage des anticorps. Il n’est actuellement pas recommandé dans les autres catégories de patients, ni dans la population générale. Toujours dans le même avis du COSV du 6 janvier, il est cependant souligné que cette attitude pourrait être modifiée selon les résultats d’une surveillance attentive de la courbe des hospitalisations, surtout chez les sujets de 80 ans et plus.

En conclusion, depuis le début de la pandémie, dans un pays où nous avons la chance de disposer des soins nécessaires, d’une vaccination recommandée et disponible chez tous et de la prophylaxie par anticorps monoclonaux, il est important de pouvoir actualiser régulièrement nos connaissances sur la prévention des patients que nous suivons dans notre spécialité et de les leur expliquer clairement et simplement. Il est nécessaire également que les patients connaissent leur statut de répondeur ou non répondeur à la vaccination ; de cette information, dépend la rapidité de mise en route d’une prophylaxie des formes sévères, adaptée avant tout contact potentiellement contaminant, en cas de contact avec un patient infecté ou en cas d’infection avérée. Il reste encore de nombreux écueils à surmonter : la poursuite du respect des gestes-barrière, les refus de certains patients et de leur entourage (d’une partie de la population) de la vaccination, l’adhérence des patients au suivi des schémas vaccinaux, la surveillance de la sérologie, la réalisation du dosage des anticorps par une technique sérologique adaptée et sa prise en charge financière. Mais du fait des avancées thérapeutiques et de la recherche en cours, tous les espoirs sont permis pour cette année 2022.

Références

  1. DGS-urgent N°2021-125 – 07/12/2021 – Campagne de vaccination contre la COVID-19 (primo-vaccination et rappel) : synthèse de la doctrine
  2. DGS-urgent N°2021-90 – 27/08/2021- Lancement de la campagne de rappel vaccinal contre la COVID-19 pour les populations prioritaires
  3. Feng S, Philips DJ, White T, Sayal H, Aley PK, Bibi S et al. Correlates of protection against symptomatic and asymptomatic SARS COV-2 Infection. Nature Medecine 2021; 27 (11): 2032-2040