Les Éditos de l'AFEF

Un milliard d’obèses, et leur foie

Par : Jacques Liautard
MOMAD, Centre des Maladies de l’appareil Digestif, Institut Mutualiste Montpelliérain

La récente analyse poolée publiée dans le Lancet le 29 février (1) dont la presse généraliste tant écrite qu’audio-visuelle a fait un écho à la mesure de l’importance de ses conclusions, réalisée avec des données de 197 pays et 3 territoires à partir de données issues de 3663 études portant sur un total de 222 millions de participants, estime que vivent sur notre planète un peu plus d’un milliard d’obèses. 879 millions d’adultes et 159 millions d’enfants et adolescents étaient obèses en 2022 alors que trente-deux ans auparavant, en 1990, le nombre d’adultes obèses dans le monde s’élevait à 195 millions et celui des enfants et adolescents à 31 millions.

Parmi les nombreuses et intéressantes données énoncées dans cet article, qui sont bien sûr pour chaque pays à interpréter selon le contexte socio-économique, je ne rappellerai que les suivantes :

  • La prévalence combinée du surpoids et de l’obésité a augmenté dans 162 pays pour les femmes et dans 140 pays pour les hommes. Elle n’a diminué chez l’adulte que dans 11 pays.
  • En France, et c’est une bonne nouvelle,  l’obésité a diminué de 2% chez les femmes , et est restée stable  chez l’homme.

Cette importante augmentation au niveau mondial de l’obésité et du surpoids intéresse évidemment au premier plan notre communauté hépatologique qui, faut-il le rappeler, a déjà constaté une augmentation de la prévalence an niveau mondial de la stéatopathie métabolique dont sont atteints actuellement dans le monde un tiers des adultes et de plus de 10% des enfants ce qui en fait une vraie menace de santé publique. Le 23 mai 2023, en marge de  la réunion de l’Assemblée Mondiale de la Santé, qui est l’organe décisionnel suprême de l’Organisation Mondiale de la Santé, des sociétés savantes de portée internationale d’hépatologie, de diabétologie, de cardiologie et d’associations de patients atteints d’hépatopathie (2) se sont réunies au siège social de l’EASL à Genève avec des représentants du Conseil Permanent des Nations Unies  et de l’Organisation  Mondiale de la Santé pour jeter les bases d’une politique mondiale de lutte contre la MASLD (Metabolic dysfunction Associated Steatotic Liver Disease)  et en établir les modes d’action (3), notamment :

  • Travailler à l’intégration cohérente de la maladie hépatique stéatosique dans les politiques, directives et stratégies existantes en matière des maladies non transmissibles aux niveaux local, national et mondial, tant pour la  MASLD que pour les  autres maladies liées à des troubles métaboliques ;
  • Impliquer les communautés affectées à toutes les étapes de la réponse ;
  • Améliorer l’accès équitable au diagnostic et au traitement, en particulier dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

Cette prise de conscience au niveau mondial est une avancée majeure pour la prise en compte d’une pathologie dont les causes de développement dépassent de loin le seul champ de l’exercice médical, découlant directement des changements à grande échelle qu’ont connus ces dernières décennies nos modes de vie avec une sédentarisation accrue et une alimentation abondamment influencée par une industrie agro-alimentaire qui produit à grande échelle, donc à coût relativement faible accessible par le plus grand nombre,  des aliments transformés en général plus pauvres en fibres et plus riches en sucres et graisses saturées que des aliments non transformés.

Les sceptiques pourront toujours douter au moins dans un premier temps de la portée d’un tel projet. Pourtant, une action politique est un atout majeur de lutte contre une pathologie y compris si le développement de celle-ci fait intervenir peu ou prou des facteurs comportementaux. L’étude publiée ce mois-ci dans Journal of Hepatology par Luis Antonio Díaz and al (4) qui a porté sur l’évaluation des résultats des politiques publiques concernant l’alcool dans 169 pays entre 2010 et 2019 apporte des résultats convaincants quant à leurs effets bénéfiques. Plus ces politiques étaient développées, meilleurs ont été les résultats sur la prévalence du mésusage de l’alcool, sur la mortalité de la maladie hépatique liée à l’alcool, sur la mortalité par cancers, sur la survenue de carcinomes hépato cellulaires attribuables à l’alcool et sur la prévalence des maladies cardio-vasculaires. Ces résultats sont devenus de plus en plus marqués avec le temps avec des différences de prévalence constatées significative dès 2 ans pour le mésusage de l’alcool, 4 ans pour la mortalité de la maladie hépatique liée à l’alcool et 8 ans pour la survenue de carcinomes hépato cellulaires attribuables à l’alcool.

Ceci confirme donc qu’une politique de prévention efficace d’une pathologie liée à un mode de vie peut amener des avancées significatives sur le pronostic des patients.

Outre ces développements, d’autres avancées, thérapeutiques celles-là, pourront, on l’espère changer elles-aussi la prise en charge et influencer favorablement le pronostic des maladies métaboliques.

À notre génération de relever le défi planétaire de la MASLD et de ses facteurs étiologiques afin d’inverser l’évolution de l’extension des pathologies métaboliques et de leurs complications.

Références

1) Worldwide trends in underweight and obesity from 1990 to 2022: a pooled analysis of 3663 population- representative studie with 222 million children, adolescents, and adults  NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC) The Lancet Published Online February 29, 2024
(2) European Association for the Study of the Liver (EASL), American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD), Asian Pacific Association for the Study of the Liver (APASL), Latin American Association for the Study of the Liver (ALEH), Chronic Liver Disease Foundation (CLDF), European Association for the Study of Diabetes (EASD), European Association for the Study of Obesity (EASO), European Liver Patients’ Association (ELPA), European Society for Paediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition (ESPGHAN), Global Liver Institute (GLI), Global NASH Council (GNC), Indian National Association for Study of the Liver (INASL), Liver Patients International (LPI), Society on Liver Disease in Africa (SOLDA),South Asian Association for the Study of the Liver (SAASL), The Forum for Collaborative Research, World Heart Federation (WHF)
(3) Uniting to defeat steatotic liver disease: A global mission to promote healthy livers and healthy lives, Editorial, Aleksander Krag and al, Journal of Hepatology, November 2023. vol. 79 j 1076–1078,2
(4) Association between public health policies on alcohol and worldwide cancer, liver disease and cardiovascular disease outcomes, Luis Antonio Díaz and al , Journal of Hepatology  vol. 80 March 2024 409–418