Les Éditos de l'AFEF

Vers un traitement de 2e ligne du carcinome hépatocellulaire avancé

Par : Mallat Ariane
Professeur - Hépatologie, Hôpital Henri Mondor - Créteil

Dix ans après la publication de l’essai SHARP, le sorafenib reste le seul traitement systémique approuvé dans la prise en charge du carcinome hépatocellulaire avancé, avec une amélioration de survie médiane modeste, d’environ 3 mois par rapport au placebo. En effet, malgré de nombreux efforts, les études ultérieures n’ont pas permis d’étendre ou d’améliorer ces premiers résultats, pour des raisons de toxicité ou d’inefficacité, qu’il s’agisse d’essais en monothérapie ou combinant le sorafenib avec d’autres molécules, ou d’essais de traitement de première ligne ou de seconde ligne après échec du sorafenib. Dans ce contexte, les résultats positifs de l’essai de phase 3 évaluant l’efficacité du regorafenib en traitement de 2e ligne représentent une avancée significative.

Le regorafenib est un inhibiteur multi-kinases, approuvé en monothérapie dans le traitement de seconde ligne des cancers colorectaux métastatiques et des tumeurs stromales digestives réfractaires ou métastatiques. La molécule inhibe une série de kinases angiogéniques promitogéniques et anti-apoptotiques telles que les récepteurs du VEGF, de l’angiopoiétine 1, du PDGFbeta, du FGF1 et bloque également des kinases mutantes oncogéniques (BRAF, KIT, RET).

Les résultats encourageants d’une étude mono-bras de phase 2 chez des patients atteints de CHC en progression ont conduit Bruix et coll. à évaluer la tolérance et l’efficacité du regorafenib chez 573 patients progressant sous sorafenib, dans un essai multicentrique randomisé en aveugle contre placebo. La population à l’étude était restreinte aux patients ayant une fonction hépatique préservée (cirrhose Child A) et tolérant le sorafenib (posologie quotidienne > 400 mg/j pendant plus de 20 jours au cours du dernier mois de traitement). La randomisation a été stratifiée sur plusieurs facteurs pronostiques (présence ou absence d’une invasion macro-vasculaire, d’une localisation extra-hépatique, taux d’AFP > ou < à 400 ng/ml et statut ECOG) et sur l’origine géographique des patients. Le regorafenib était prescrit à la posologie de 160 mg/j au cours des semaines 1 à 3 de chaque cycle de 4 semaines. La réponse radiologique était évaluée selon les critères mRECIST.

La durée médiane de traitement par sorafenib était de 7,8 mois dans les 2 groupes. Il n’y avait pas de différence de pattern de progression sous sorafenib entre les groupes. Les durées médianes et moyennes de traitement à l’essai étaient respectivement de 3,6 et 5,9 mois dans le groupe regorafenib vs 1,9 et 3,3 mois dans le groupe témoin. 49 % des patients sous regorafenib ont reçu la dose protocolaire de 160 mg de regorafenib.

La survie globale du groupe regorafenib était significativement supérieure à celle du groupe contrôle : 10,6 mois (IC 95% 9,1-12,1) vs 7,8 mois (IC95% 6,3-8,8), HR 0,63 (IC 95% 0,50-0,79), p<0,001. Le bénéfice de survie était maintenu dans les analyses en sous-groupes pré-spécifiées. Le temps à progression était également significativement plus long chez les patients sous regorafenib (3,2 vs 1,5 mois, HR 0,44 IC95% : 0,36-0,55 ; p < 0 ,001). Le taux de contrôle de la maladie était supérieur dans le groupe traité comparé au groupe contrôle (65% vs 36%, p<0.0001).

Des effets secondaires attribués au traitement ont été observés chez 93 % des patients sous regorafenib vs 52 % dans le groupe témoin, au premier rang desquels un syndrome palmo-plantaire (52%). Une toxicité de grade 3 et 4 était plus fréquente dans le groupe regorafenib (48% vs 17 %), principalement représentée par une hypertension artérielle, une asthénie, un syndrome main-pied et une diarrhée. Ils étaient associés à une suspension transitoire ou une réduction de dose dans 54 % des cas et à un arrêt du traitement chez 10 % des patients. La qualité de vie évaluée par des échelles spécifiques n’était pas différente entre les 2 groupes.

Ce travail établit pour la première fois l’efficacité d’une molécule en traitement de seconde ligne du carcinome hépatocellulaire avancé et le regorafenib est donc en passe de devenir le traitement de référence dans la prise en charge du carcinome hépatocellulaire en progression sous sorafenib. Il faut néanmoins garder à l’esprit le caractère très sélectionné de la population incluse dans l’essai et le bénéfice modeste en termes de gain de survie. L’efficacité et la tolérance du regorafenib chez les patients intolérants au sorafenib restent à étudier. L’identification de facteurs prédictifs de réponse au regorafenib est également une question ouverte. Enfin, d’autres approches thérapeutiques restent nécessaires et les résultats des essais randomisés de phase III évaluant l’impact de l’immunothérapie ou des stratégies ciblées sur la présence de biomarqueurs tumoraux pourraient apporter des avancées significatives.