Les Éditos de l'AFEF

Cirrhose (cholangite) biliaire primitive : l’arsenal thérapeutique s’étoffe

Par : Louvet Alexandre
Professeur - Service des maladies de l’appareil digestif, Hôpital Huriez, Lille

La prise en charge de la cirrhose (cholangite) biliaire primitive (CBP) a pendant longtemps reposé quasi-exclusivement sur l’utilisation de l’acide ursodésoxycholique (AUDC) à la dose de 13-15 mg/kg/j. La justification d’emploi de ce traitement très bien toléré est basée sur plusieurs essais randomisés1-3 montrant que l’AUDC réduisait fortement le risque de décès ou d’être transplanté (odds-ratio de 0,52 à 4 ans, p<0,0001)4. Le mécanisme d’action de l’AUDC est partiellement connu. Ces cibles potentielles sont de nombreux récepteurs (FXR, FGF19, TGR5, ASBT) et ses effets sont essentiellement l’inhibition compétitrice de la réabsorption iléale des acides biliaires endogènes, la stimulation de la sécrétion hépatocytaire des acides biliaires via BSEP, la stimulation de la sécrétion alcaline des cholangiocytes via AE2 et des effets anti-inflammatoire, anti-apoptotique et immuno-modulateur5.

Bien que l’AUDC soit bien toléré, efficace et d’utilisation sûre, il ne permet pas d’améliorer l’évolution de la pathologie chez tous les patients. De très nombreux critères de réponse ont été développés, les plus simples et les plus utilisés étant ceux de Paris I ou II. Les critères de Paris I peuvent être utilisés chez tous les patients et sont recueillis après 1 an de traitement par l’AUDC. Ils sont remplis quand le taux de bilirubine est normal, que les transaminases ASAT sont inférieures à 2 fois la limite supérieure de la normale et que les phosphatases alcalines sont inférieures à trois fois la limite supérieure de la normale6. Les critères de Paris II sont plus exigeants et définissent la réponse thérapeutique pour les formes précoces7. Outre le taux de bilirubine normal, les ASAT et les phosphatases alcalines doivent être inférieures à 1,5 fois la limite supérieure de la normale après un an de traitement. Sur la base de ces critères, environ 25% des patients atteints de CBP ne répondent pas de manière satisfaisante à l’AUDC et sont donc candidats à de nouveaux traitements, prenant en compte que leur survie sans transplantation à 10 ans est de l’ordre de 50%. Actuellement une seule autre molécule dispose de l’autorisation de mise sur le marché dans cette indication, l’acide obéticholique à 5-10 mg/j en association à l’AUDC, sur la base de l’essai randomisé POISE8 qui a démontré son intérêt en deuxième ligne avec une réduction du taux de phosphatases alcalines significative par rapport au placebo. Cependant, cet agoniste du récepteur FXR s’avère parfois mal toléré avec un risque de prurit sous traitement estimé à 50-70% et son efficacité n’est hélas pas de 100%. De nouvelles avancées thérapeutiques sont donc attendues.

L’actualité récente a vu l’arsenal thérapeutique dans la CBP se renforcer de manière très nette. Les résultats d’un essai de phase II testant le seladelpar, un agoniste PPARδ, sont désormais disponibles, molécule qui permet de diminuer le taux de phosphatases alcalines pendant les 3 mois de l’étude, chez des patients ne répondant pas de manière satisfaisante à l’AUDC9. Un essai de phase III est en cours et la France participe à l’étude. Cette stratégie est nouvelle en ce sens qu’elle ne cible pas un récepteur activé par l’AUDC ou l’acide obéticholique. Par ailleurs, les résultats définitifs de l’étude BEZURSO sont sous presse dans le New England Journal of Medicine. Dans cette étude multicentrique française qui avait été présentée au congrès de l’EASL en 201710, l’ajout de bézafibrate à l’AUDC à 400 mg/j pendant 2 ans en cas de réponse imparfaite à l’AUDC était associée à une baisse très nette des phosphatases alcalines en comparaison au groupe contrôle qui recevait un placebo : deux tiers des patients traités par bézafibrate avaient un taux normal à deux ans contre aucun patient traité par placebo. La tolérance du traitement était excellente. Lors du dernier congrès de l’EASL, l’efficacité de cette stratégie de deuxième ligne a également été confirmée dans une analyse des mêmes auteurs11, démontrant que la prise de bézafibrate permettait de diminuer fortement le risque de décès ou d’être transplanté via l’amélioration des scores pronostiques de la CBP : le score UK-PBC 12, 13 et le score GLOBE14. Inversement, au cours de ce même congrès, une stratégie de deuxième ligne avec l’adjonction de budésonide à l’AUDC15 s’est avérée un échec, alors que le rôle potentiel de cette molécule avait été suggéré par deux études antérieures 16, 17.

Le traitement des symptômes de la CBP, notamment du prurit, est également en plein changement. Alors que les recommandations européennes indiquent que la cholestyramine, la naltrexone, la rifampicine ou la sertraline peuvent être utilisés avec une efficacité variable18, un essai de phase II a été publié l’année dernière dans le Lancet avec une nouvelle molécule ciblant le transporteur iléal des acides biliaires IBAT19. Dans cette étude, les patients traités par l’agoniste d’IBAT GSK2330672 pendant 14 jours avaient une nette diminution des scores d’intensité du prurit par rapport aux patients traités par placebo. Une étude de phase III est actuellement en cours pour confirmer ces résultats encourageants. Les dernières années ont vu des avancées très significatives dans la prise en charge de la CBP : validation de l’efficacité de l’élastométrie dans le diagnostic non invasif de la fibrose20, permettant de se passer de la biopsie, mise en évidence du rôle délétère du tabac21, actualisation des connaissances et formalisation de la prise en charge par l’EASL18.

De nombreux essais thérapeutiques sont donc menés dans la CBP et l’année 2018 est une année faste avec la présentation de nombreux résultats qui devraient se traduire très vite en modifications thérapeutiques importantes pour les patients atteints de CBP. Cela faisait bien longtemps qu’autant de progrès n’avaient pas été accomplis dans cette maladie…

References

  1. Heathcote EJ, Cauch-Dudek K, Walker V, et al. The Canadian Multicenter Double-blind Randomized Controlled Trial of ursodeoxycholic acid in primary biliary cirrhosis. Hepatology 1994;19:1149-56.
  2. Lindor KD, Therneau TM, Jorgensen RA, et al. Effects of ursodeoxycholic acid on survival in patients with primary biliary cirrhosis. Gastroenterology 1996;110:1515-8.
  3. Poupon RE, Balkau B, Eschwege E, et al. A multicenter, controlled trial of ursodiol for the treatment of primary biliary cirrhosis. UDCA-PBC Study Group. N Engl J Med 1991;324:1548-54.
  4. Poupon RE, Lindor KD, Cauch-Dudek K, et al. Combined analysis of randomized controlled trials of ursodeoxycholic acid in primary biliary cirrhosis. Gastroenterology 1997;113:884-90.
  5. Corpechot C. Primary biliary cirrhosis and bile acids. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2012;36 Suppl 1:S13-20.
  6. Corpechot C, Abenavoli L, Rabahi N, et al. Biochemical response to ursodeoxycholic acid and long-term prognosis in primary biliary cirrhosis. Hepatology 2008;48:871-7.
  7. Corpechot C, Chazouilleres O, Poupon R. Early primary biliary cirrhosis: biochemical response to treatment and prediction of long-term outcome. J Hepatol 2011;55:1361-7.
  8. Nevens F, Andreone P, Mazzella G, et al. A Placebo-Controlled Trial of Obeticholic Acid in Primary Biliary Cholangitis. N Engl J Med 2016;375:631-43.
  9. Jones D, Boudes PF, Swain MG, et al. Seladelpar (MBX-8025), a selective PPAR-delta agonist, in patients with primary biliary cholangitis with an inadequate response to ursodeoxycholic acid: a double-blind, randomised, placebo-controlled, phase 2, proof-of-concept study. Lancet Gastroenterol Hepatol 2017;2:716-726.
  10. Corpechot C, Chazouillères O, Rousseau A, et al. A 2-year multicenter, double-blind, randomized, placebo-controlled study of bezafibrate for the treatment of primary biliary choolangitis in patients with inadequate biochemical response to ursodeoxycholic acid therapy (Bezurso). J Hepatol 2017;66.
  11. Corpechot C, Rousseau A, Chazouillères O, et al. Estimated risk reduction of mortality and transplantation with bezafibrate in patients with PBC and inadequate response to UDCA: application of the UK-PBC and Global PBC risk scores to the BEZURSO trial. J Hepatol 2018;68.
  12. Carbone M, Mells GF, Pells G, et al. Sex and age are determinants of the clinical phenotype of primary biliary cirrhosis and response to ursodeoxycholic acid. Gastroenterology 2013;144:560-569 e7; quiz e13-4.
  13. Carbone M, Sharp SJ, Flack S, et al. The UK-PBC risk scores: Derivation and validation of a scoring system for long-term prediction of end-stage liver disease in primary biliary cholangitis. Hepatology 2016;63:930-50.
  14. Lammers WJ, Hirschfield GM, Corpechot C, et al. Development and Validation of a Scoring System to Predict Outcomes of Patients With Primary Biliary Cirrhosis Receiving Ursodeoxycholic Acid Therapy. Gastroenterology 2015;149:1804-1812 e4.
  15. Hirschfield G, Kupcinskas L, Ott P, et al. Results of a randomized controlled trial of budesonide add-on therapyin patients with primary biliary cholangitis and an incomplete response to ursodeoxycholic acid. J Hepatol 2018;68.
  16. Leuschner M, Maier KP, Schlichting J, et al. Oral budesonide and ursodeoxycholic acid for treatment of primary biliary cirrhosis: results of a prospective double-blind trial. Gastroenterology 1999;117:918-25.
  17. Rautiainen H, Karkkainen P, Karvonen AL, et al. Budesonide combined with UDCA to improve liver histology in primary biliary cirrhosis: a three-year randomized trial. Hepatology 2005;41:747-52.
  18. EASL Clinical Practice Guidelines: The diagnosis and management of patients with primary biliary cholangitis. J Hepatol 2017;67:145-172.
  19. Hegade VS, Kendrick SF, Dobbins RL, et al. Effect of ileal bile acid transporter inhibitor GSK2330672 on pruritus in primary biliary cholangitis: a double-blind, randomised, placebo-controlled, crossover, phase 2a study. Lancet 2017;389:1114-1123.
  20. Corpechot C, Carrat F, Poujol-Robert A, et al. Noninvasive elastography-based assessment of liver fibrosis progression and prognosis in primary biliary cirrhosis. Hepatology 2012;56:198-208.
  21. Corpechot C, Gaouar F, Chretien Y, et al. Smoking as an independent risk factor of liver fibrosis in primary biliary cirrhosis. J Hepatol 2012;56:218-24.