Les Éditos de l'AFEF

Développement et accessibilité des technologies innovantes dans la prise en charge des pathologies hépatiques

Par : Saltel Frédéric
Docteur - INSERM U1053, Liver cancer and invasion, Université Bordeaux

La compréhension de la complexité biologique, cellulaire et moléculaire des pathologies hépatiques comme la fibrose, la cirrhose, la NASH (stéato-hépatite non alcoolique) ou les cancers comme le cholangiocarcinome ou le carcinome hépatocellulaire (CHC) progresse de jour en jour. En effet, les laboratoires de recherche développent des approches et des technologies innovantes qui permettent de progresser dans la connaissance de ces entités biologiques.

Il est important de connaître et de maîtriser ces technologies et surtout d’identifier celles qui pourront être transférer en routine clinique permettant une meilleure prise en charge de ces pathologies et donc des patients. Ces méthodes vont pouvoir intervenir à tous les niveaux de parcours de soins, dépistage précoce, diagnostic, pronostic et orientation dans le choix des traitements. Sans être exhaustif, voici quelques-unes de ces innovations qui vont dans les années changer la façon d’appréhender ces pathologies et certainement bouleverser les pratiques cliniques.

Comment, ne pas commencer par l’intelligence artificielle (IA), qui n’est plus de la science-fiction, même si pour beaucoup de cliniciens et des chercheurs elle reste obscure et s’apparente aussi à un fantasme. Notamment, avec l’idée et l’espoir qu’elle puisse régler tous les problèmes. L’IA peut prendre de nombreuses formes dans le domaine des soins de santé et elle correspond maintenant à un important domaine de recherche, voire un enjeu national et international. La principale tendance de l’IA dans les soins de santé en 2022 est l’utilisation de l’apprentissage automatique « maching learning » ou de l’apprentissage profond « deep learning » pour analyser et traiter de grandes quantités de données cliniques des patients et d’autres informations, comme les données issues d’approches omiques.

Les premières applications concernent l’analyse des images cliniques, et concernent donc plus particulièrement deux spécialités que sont l’anatomo-pathologie et la radiologie. Le matériel de base pour l’IA dans ces deux disciplines sont donc des images.

Dans le cadre de l’anatomo-pathologie, un des plus gros challenge pour les pathologistes est d’obtenir à partir des biopsies hépatiques le maximum d’informations et de certitude pour affiner le diagnostic, le pronostic et améliorer la stratification des patients. On peut citer le cas de la NASH dont le diagnostic est basé sur l’analyse des biopsies et reste problématique. Différentes études montrent que l’IA correspond à un outil performant pour améliorer le diagnostic de cette pathologie qui reste un point critique, notamment au niveau de facteur comme la ballonisation qui est une caractéristique clé permettant de distinguer la stéatohépatite non alcoolique (NASH) de la stéatose (NAFLD) (1) ou encore prédire le risque d’hypertension portale (2, 3).

En radiologie aussi les images générées lors des différents examens sont une source incroyable d’informations et couplées aux données cliniques permettent d’aller plus loin dans leurs interprétations. Ici, on peut citer l’exemple d’une approche IA qui permet d’améliorer la détection et le diagnostic des CHC (4).

En parallèle de nombreuses approches dites « omiques» sont en plein essor dans les laboratoires et les études cliniques. Elles regroupent la génomique dont le NGS pour Next generation sequencing, et les approches transcriptomiques et protéomiques ou encore les approches de multiplexages en immunohistochimie.

Toutes ces disciplines se développent, se perfectionnent, et parfois se combinent, pour former ce que l’on nomme des approches « multi-omiques » permettant de repousser les limites des analyses et par la même multiplier les données générées.

On peut aussi citer, le développement des approches sur cellules uniques (single cells) tant au niveau transcriptomique que protéomique qui ouvrent également tout un champ de perspectives et d’arriver à un niveau très fin d’analyse des tissus. De plus, des adaptations de ces méthodes ont été réalisées afin de conserver l’information spatiale du tissu, qui est une source très importante d’informations pour la compréhension des pathologies tout en permettant d’avoir accès à des données d’expression des ARN ou des protéines au niveau de chaque cellule qui compose le tissu sain ou pathologique.

Pour certaines de ces technologies, on peut citer différentes études, et différents exemples qui permettent très facilement d’évaluer la pertinence et toute l’importance de ces approches pour la clinique.

Concernant le NGS, et sur le plan diagnostique du cholangiocarcinome on peut citer l’étude du Dr Avila qui propose d’utiliser le séquençage dans le stade initial du diagnostic des sténoses biliaires peut améliorer la détection de la malignité, et réduire les retards dans la prise en charge clinique des patients et aider à sélectionner les patients pour des thérapies ciblées (5).

Les approches transcriptomiques ont permis de générer un très grand nombre de signatures, pour différentes questions biologiques et en lien avec des problématiques cliniques (935 publications référencées dans pubmed depuis 2004). La puissance de cet outil et le nombre de signatures développées posent cependant la question de leur validation et surtout de leur application en clinique. En plus, cette technologie a aussi beaucoup évolué et propose des solutions innovantes, au niveau spatial et cellule unique (6, 7).

Pour la protéomique, deux applications se développent, via l’imagerie maldi avec des initiatives qui permet d’identifier des zones d’invasion microvasculaire sur tissu (8) ou par le profilage protéomique, qui permet d’améliorer le diagnostic des adénomes hépatocellulaires sur biopsie et de prédire le risque de transformation en CHC (9).

Ces approches couplées à l’IA sont complémentaires, et combinées elles vont révolutionner la pratique clinique. En effet, plusieurs études et projets sont en cours pour tenter de coupler, les images de radiologie ou d’histopathologie avec les données cliniques ainsi que d’autres omiques. Les initiatives ne manquent pas tant au niveau des échantillons tissulaires que des biopsies liquides.

Il reste cependant encore beaucoup de limitations, qui ralentissent la mise en pratique de ces différentes techniques. La première reste évidemment leur coût, par rapport à des approches plus classiques. Aussi pour certaines, la validation clinique n’est pas si évidente, et parfois la qualité et l’hétérogénéité des données posent des difficultés majeures pour le transfert à la clinique.

En tout cas, c’est par ces approches que l’hépatologie entrera dans l’ère de la médecine de précision, ce qui n’est malheureusement pas encore le cas. Cependant, toutes ces avancées sont des signaux d’espoirs incroyables pour l’avenir.

Références

  1. Brunt EM, Clouston AD, Goodman Z, Guy C, Kleiner DE, Lackner C, Tiniakos DG, et al. Complexity of ballooned hepatocyte feature recognition: Defining a training atlas for artificial intelligence-based imaging in NAFLD. J Hepatol 2022;76:1030-1041.
  2. Bosch J, Chung C, Carrasco-Zevallos OM, Harrison SA, Abdelmalek MF, Shiffman ML, Rockey DC, et al. A Machine Learning Approach to Liver Histological Evaluation Predicts Clinically Significant Portal Hypertension in NASH Cirrhosis. Hepatology 2021;74:3146-3160.
  3. Calderaro J, Kather JN. Artificial intelligence-based pathology for gastrointestinal and hepatobiliary cancers. Gut 2021;70:1183-1193.
  4. Navajas Rodriguez de Mondelo JM, Gonzalez Marquez I. [In vitro study of gingival microleakage in Class II composite restorations]. Av Odontoestomatol 1988;4:193-198.
  5. Arechederra M, Rullan M, Amat I, Oyon D, Zabalza L, Elizalde M, Latasa MU, et al. Next-generation sequencing of bile cell-free DNA for the early detection of patients with malignant biliary strictures. Gut 2022;71:1141-1151.
  6. Sun YF, Wu L, Liu SP, Jiang MM, Hu B, Zhou KQ, Guo W, et al. Dissecting spatial heterogeneity and the immune-evasion mechanism of CTCs by single-cell RNA-seq in hepatocellular carcinoma. Nat Commun 2021;12:4091.
  7. Ma L, Wang L, Khatib SA, Chang CW, Heinrich S, Dominguez DA, Forgues M, et al. Single-cell atlas of tumor cell evolution in response to therapy in hepatocellular carcinoma and intrahepatic cholangiocarcinoma. J Hepatol 2021;75:1397-1408.
  8. Pote N, Alexandrov T, Le Faouder J, Laouirem S, Leger T, Mebarki M, Belghiti J, et al. Imaging mass spectrometry reveals modified forms of histone H4 as new biomarkers of microvascular invasion in hepatocellular carcinomas. Hepatology 2013;58:983-994.
  9. Dourthe C, Julien C, Di Tommaso S, Dupuy JW, Dugot-Senant N, Brochard A, Le Bail B, et al. Proteomic Profiling of Hepatocellular Adenomas Paves the Way to Diagnostic and Prognostic Approaches. Hepatology 2021;74:1595-1610.