Les Éditos de l'AFEF

Evitons le Flop du bon FOP* logo !

Par : Hanslik Bertrand
Docteur - Chemin de Moularès, Montpellier

* Front Of Package

De congrès en sympos, de communications en recommandations, une place de plus en plus importante est accordée à ce qui est bizarrement appelé par certains le futur de l’hépatologie : la prise en charge des NAFLD. Nous partageons probablement tous les recommandations 2016 de l’EASL : l’évaluation de l’activité physique et du profil de régime diététique constitue un élément important du dépistage et de prise en charge de ces pathologies (Grade A1). La majorité de nos patients présentant une stéatopathie, un surpoids, s’attendent à nous voir « faire notre métier » : conseiller, parallèlement à la pratique d’une activité physique régulière, les modifications nutritionnelles utiles à un régime sain : moins de calories, de graisses saturées et d’hydrates de carbone raffinés, limiter les aliments transformés, riches en fructose, favoriser une répartition des nutriments répondant à celle de la diète méditerranéenne… « Oui, docteur, je sais : « manger, bouger… 5 fruits et légumes… ». Mais nous savons bien dans ce domaine qu’il est facile de dire, moins de faire…

La plupart des Français ne mangent pas leurs cinq fruits et légumes par jour, mais ils savent qu’ils ont tort. Ceux qui respectent moins que d’autres les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), estiment leur alimentation moins équilibrée (Plessz M, Kesse-Guyot E, Zins M, Czernichow S. Les habitudes alimentaires dans la cohorte Constances : équilibre perçu et adéquation aux recommandations nutritionnelles françaises. Bull Epidémiol Hebd. 2016). Les recommandations de ce programme, mis en place en 2001, sont basées sur les connaissances scientifiques actuelles, et formulées de manière à être comprises par tous les citoyens. Ces conseils bien connus, sont réunis sous un même slogan, « manger, bouger », et apparaissent depuis 2007, par obligation légale, dans toutes les publicités pour aliments et boissons. De fait, malgré de nombreuses campagnes nationales et opérations de communication, le problème du surpoids n’est pas réglé et concerne aujourd’hui près d’un Français sur deux entre 30 et 69 ans (cohorte Constances). La prise de conscience des citoyens des enjeux de nutrition était nécessaire, mais elle n’est donc pas suffisante. Leur seule bonne volonté ne suffisant pas, c’est sur leur environnement qu’il faut aussi probablement avoir un impact.

La mise à disposition des informations ne doit pas servir d’alibi aux industriels, aux distributeurs et aux autorités, pour reporter l’entière responsabilité d’une bonne alimentation sur le citoyen. D’autres mesures prenant en compte toutes les dimensions de nos comportements alimentaires doivent être prises. Une meilleure composition des aliments transformés en est une : le PNNS incite déjà les industriels à prendre des engagements à ce sujet, mais le suivi dans le temps de cette politique semble difficile dans les faits. Les logos informatifs sont une autre façon d’essayer d’améliorer la situation…

Un conflit underground est en cours… qui devrait intéresser les hépatologues.

Il faut parfois décider de prendre position. Faut-il de nouveau subir sans réagir un nouvel assaut de lobbying des industriels de l’agro-alimentaire, faire une nouvelle démonstration de notre inertie en matière de santé publique ? Une lutte est en cours entre fabricants, grande distribution et nos confrères spécialistes de santé publique et de nutrition (notamment l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN) Pr Serge Hercberg, Université Paris 13). Elle porte sur la valeur nutritionnelle des produits, et la manière la plus efficace d’informer les consommateurs. Actuellement, les renseignements sont peu visibles, inscrits à l’arrière des emballages en petits caractères. Demain devrait figurer, sur le devant, en évidence, un logo distinctif pour reconnaître rapidement les produits les meilleurs pour la santé. L’association de consommateurs UFC–Que Choisir rappelle que ce qui est demandé à cette signalétique, c’est simplement d’aider le consommateur à faire les choix les plus favorables à sa santé. Un sondage pour l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) précisait en juin 2015 que 42 % des Français demandait un étiquetage nutritionnel compréhensible (en hausse de 12 %) et 54 % pensait que l’industrie n’informe pas honnêtement les consommateurs (https://www.ania.net/wp-content/uploads/2015/07/etude-ania-opinionway-les_francais-et-l-alimentation.pdf).

Acte 1

Après 4 ans de discussions, l’arrêté interministériel (Santé, Agriculture, Economie) recommandant le Nutri-Score comme système d’information nutritionnelle officiel simplifié a été très récemment signé (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/10/31/SSAP1730474A/jo/texte).

Validé par des publications dans des revues internationales à comité de lecture (Impact of Different Front-of-Pack Nutrition Labels on Consumer Purchasing Intentions: A Randomized Controlled Trial. Ducrot P. et al, Am J Prev Med. 2016), ce système utilise un score de qualité nutritionnelle calculé à l’aide d’informations qui sont pour la plupart déjà fournies obligatoirement par les industriels et producteurs lors de la mise sur le marché des produits : ce sont les compositions en nutriments indiquées en face arrière des emballages alimentaires : énergie, protéines, sucres, acides gras saturés, sodium, fibres, auquel s’ajoute la teneur en fruits et légumes. Le score est ensuite utilisé pour classer les produits en 5 catégories (couleurs, du vert au rouge) de qualité nutritionnelle décroissante. Il est synthétique, en donnant au consommateur un seul élément d’information. Il est également aisément compréhensible par les consommateurs les moins à l’aise avec les chiffres.

Tous les travaux menés dans le cadre de la concertation lancée en 2015 sur le sujet, ou indépendamment par des équipes de recherche publique de l’Inserm, de l’INRA, et de différentes universités, ont montré une supériorité du Nutri-Score par rapport aux autres signalétiques testées. Les études ont porté à la fois sur la perception des différents logos par les consommateurs, leur compréhension objective, et leur impact sur la qualité nutritionnelle des achats alimentaires mesurée soit dans un supermarché expérimental, soit dans de véritables magasins. Les résultats de ces travaux sont convergents et démontrent une efficacité supérieure du NutriScore, tant pour la population générale que pour les groupes de population les plus défavorisés et les sujets atteints de pathologies chroniques comme le diabète. Une expérimentation a été réalisée à l’initiative du gouvernement dans 60 magasins en France, entre septembre et décembre 2016, avec pour objectif de départager 4 signalétiques différentes.

Mais ces derniers mois, un débat a eu lieu au sujet de la pertinence scientifique de cette étude. En février, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, chargée de l’évaluation des risques dans le domaine de l’alimentation, et travaillant depuis des années pour évaluer la valeur des différents nutriments (protéines, lipides, glucides, vitamines…) et définir des seuils de consommation optimale) a rendu un avis concluant : « Rien ne prouve que les nouveaux systèmes d’étiquetage nutritionnel actuellement testés en France seront efficaces pour faire diminuer les maladies chroniques (obésité, diabète, etc.) » et « En l’état actuel des connaissances, la pertinence des systèmes d’information nutritionnelle (SIN) examinés, dans une perspective de santé publique, n’est pas démontrée ».

La Société française de santé publique (SFSP) étudie depuis plusieurs années la littérature scientifique sur le sujet et ne partage pas les conclusions de l’Anses sur la non « pertinence » de ces logos. Elle réagit par l’intermédiaire de son président (Pr Pierre Lombrail, Paris 13, USPC) à la position de l’Anses (https://theconversation.com/experimentation-dans-les-supermarches-de-letiquetage-nutritionnel-quelle-transparence-73037). « Etiqueter les aliments selon leur valeur nutritionnelle est bon pour notre santé ; tout dépend de la manière dont on cherche à évaluer l’efficacité de cette mesure ». Avec une argumentation claire, il précise que les effets des logos sur une maladie comme l’obésité (ou des pathologies qui se développent sur plusieurs années) ne pourront pas être mesurés avant longtemps, sachant qu’un seul pays (l’Australie) a adopté un système comparable, et seulement en 2014. Or, l’ambition des créateurs de ces signalétiques est bien plus modeste que montrer une réduction de l’incidence de l’obésité, des cancers, du diabète ou des maladies cardiovasculaires dans l’ensemble de la population par l’intermédiaire de leurs effets sur les choix alimentaires. Des codes couleur ne peuvent, à eux seuls, produire des résultats aussi spectaculaires. Leur apparition sur les emballages ne peut être qu’un élément d’une stratégie plus globale de nutrition mobilisant à la fois l’information, l’éducation, l’accès des familles les plus modestes aux bons produits, ou encore la réduction de la pression marketing et publicitaire (en particulier sur les enfants). De plus, tout le monde convient que l’alimentation n’est pas le seul grand axe de la politique nutritionnelle. Il en existe un second : l’activité physique !

Il n’est donc pas certain que les logos nutritionnels aient un impact sur la santé, mais ils peuvent aider dans une stratégie globale. Inversement, si rien ne se fait, il n’y aura de fait aucun impact. Et être plus clairement informé est une raison suffisante pour ne pas s’en priver.

Acte 2 (en cours)

Serge Hercberg (Epidémiologiste, nutritionniste, Université Paris 13, U557 Inserm/Inra/CNAM, qui a lancé la cohorte SU.VI.MAX), et Chantal Julia (Médecin nutritionniste, enseignant chercheur, Université Paris 13 – USPC) nous alertent sur une nouvelle opération de lobbying de l’industrie agro-alimentaire (https://theconversation.com/logo-nutritionnel-pourquoi-certains-industriels-font-de-la-resistance-87424).

La fédération « Alliance 7 » regroupant des fabricants de céréales pour petit-déjeuner, bonbons ou biscuits voudrait développer au niveau européen un logo alternatif, s’alignant sur la position des « Big 6 » (les six multinationales, Mars, Mondelez, Nestlé, Coca-Cola, Unilever et PepsiCo), annoncée en mars 2017.

En dépit des preuves scientifiques, et au mépris des positions des associations de consommateurs qui réclament le NutriScore, ces lobbys agroalimentaires le rejettent, et veulent proposer un système alternatif « potentiellement moins pénalisant pour leurs intérêts, en le justifiant par son intérêt pour les consommateurs ».

Ainsi les industriels du Big 6 ont-ils proposé d’utiliser le NutriCouleurs, un système graphique avec des couleurs pour chaque nutriment, version modifiée du logo « multiple traffic light » (« feu tricolore multiple » utilisé en Grande-Bretagne, qui a pourtant été testé dans les différentes études et a montré des performances moindres par rapport au NutriScore). Pour choisir entre deux produits, le consommateur doit comparer dix informations, au lieu de deux avec le NutriScore. Ce système a donc tendance à compliquer le message apporté, car il faut hiérarchiser les informations délivrées. Entre un produit à teneur élevée en sel et faible en gras, et un autre à teneur élevée en gras et faible en sel, lequel choisir ?

Serge Hercberg précise : « pour mieux saisir les objectifs poursuivis par les industriels défendant un logo alternatif, projetons-nous un instant dans le monde qu’ils appellent de leurs voeux. Le syndicat Alliance 7 et le Big 6 proposent d’adopter le logo britannique dans une nouvelle version. Au lieu d’afficher le score pour 100 grammes d’aliment, comme dans la version originale, ils prévoient de le calculer sur la base d’une « portion », c’est-à-dire la quantité consommée habituellement par une personne, notion éminemment variable… Comme ce sont les fabricants qui définissent la taille de la portion, l’instrument de mesure change selon leur bon vouloir, ce qui permet des manipulations pour bénéficier d’une couleur plus favorable que dans la version originale. Les seuils pour l’établissement des couleurs n’ont d’ailleurs pas été rendus publics, et semblent être encore l’objet de tractations ». Ci-dessous, sont représentés, pour une barre TWIX, les logos qui seraient affichés sur l’emballage.

Le classement des produits des industriels du Big 6 dans le système NutriScore, que l’on peut déjà établir grâce à la base de données du site participatif Open Food Facts (https://fr.openfoodfacts.org), montre qu’une grande partie des produits de ces sociétés sont particulièrement sucrés, gras ou salés, classés en bas de l’échelle du NutriScore. Par exemple, pour le groupe Mars, 100 % des aliments de la firme figurant sur Open Food Facts sont classés en orange ou en rouge (Mondelez : 86 %, Nestlé : 55% ; Unilever : 52%…).

Le refus du logo officiel par ces industriels est bien sûr dicté par leurs intérêts commerciaux. L’utilisation d’un logo alternatif aurait pour conséquence principale de parasiter l’information nutritionnelle simplifiée. Or, les consommateurs sont demandeurs de transparence sur les questions de santé et l’alimentation. Nous constatons chaque jour dans nos consultations les difficultés qu’ont les patients en surpoids quand on leur conseille d’obtenir une perte pondérale. Il ne s’agit pas de comparer des choux et des chips, mais de choisir entre 2 paquets de chips ou 2 paquets de céréales au petit déjeuner. Les logos ne diminueront probablement pas à eux seuls les maladies chroniques, mais une information transparente et des repères un peu plus clairs devraient participer à aider nos patients.

Ceux qui souhaitent réagir à ce nouvel assaut des lobbys l’industrie agroalimentaire peuvent le faire en signant la pétition (plus de 250 000 signatures depuis le 1er décembre, dont un grand nombre d’organisations professionnelles et sociétés savantes) (https://www.change.org/p/oui-au-nutri-score-sur-nos-aliments-non-aux-tentatives-de-brouillages-de-certains-industriels), qui sera adressée au ministre de la santé.

NutriScore pour une barre Twix

NutriCouleurs britannique

NutriCouleurs modifié (hypothèse d’un seuil à 20 % des apports de référence)