Les Éditos de l'AFEF

Hépatite C, que sont les 75000 non connus devenus ?

Par : Rémy André-Jean
Chef de Service - Hépato-Gastroentérologie - Service Expert de Lutte contre les Hépatites Virales - Equipe Mobile Hépatites - Centre Hospitalier de Perpignan

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont offert d’emblée un grand espoir d’amélioration de la relation médecin malade mais surtout dans le suivi des traitements, notamment par l’effet rappel de prises médicamenteuses multiples. Nous n’aurions plus besoin d’infirmier(es) d’éducation thérapeutique avantageusement remplacés par une application piochée dans ANDOID ou APPLE STORE ! Les (pas trop) anciens parmi nous se souviendront des prises toutes les 8h des inhibiteurs de protéase de 1ère génération qui faisaient jongler les patients traités avec leur emploi du temps pour respecter à la lettre des intervalles fixés. A l’heure du traitement universel de l’hépatite C sans condition de génotype ou de fibrose, la prise médicamenteuse unique pendant 8 à 12 semaines peut paraître sans difficultés… pour ceux qui ne le prennent pas. Moins un traitement a d’effets indésirables et moins la maladie initiale a des symptômes gênants disparaissant à la prise médicamenteuse et moins la personne traitée aura de raisons de se souvenir du moment où il faut prendre son médicament. Le traitement de la tuberculose avec la rifampicine colorant les urines à chaque miction comporte de fait un puissant effet rappel ! Inversement les traitements oraux du VHB sans effet indésirable majeur sur une maladie peu évoluée impliquent un grand nombre d’oublis involontaires comme l’avait démontré une étude de l’équipe de Cochin (1). Au-delà du suivi du traitement, les NTIC n’ont pas démontré d’amélioration du dépistage de maladies chroniques. Les sites internet spécialisés sont multiples mais leur impact semble insuffisant.

Dans le cas de l’hépatite C, une étude publiée dans le BEH en 2106 (2) estimait que 33% des personnes infectées n’étaient pas dépistées (et/ou suivies régulièrement), pourcentage en baisse par rapport à la précédente évaluation à 44% mais qui reste élevé. Mais où sont les 75 000 personnes ignorant leur statut VHC positif ? dans les centres de soins aux usagers de drogue (CSAPA/CAARUD ?) dans les prisons ? dans la clientèle des médecins généralistes ? Un dépistage universel a été recommandé dans le dernier rapport d’experts et sa nécessité a été rappelée par le communiqué de presse récent de l’AFEF.

A ce titre l’article récent de Konerman et al (3) constitue une piste intéressante car il fait l’hypothèse que l’humain est plus efficace que les NTIC. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’impact de l’utilisation d’un dossier électronique (l’équivalent de notre dossier médical partagé) sur un dépistage systématique de l’hépatite C chez les baby-boomers, population ciblée de façon privilégiée aux USA. Le screening de toutes les personnes nées entre 1945 et 1965 était fait par des assistants médicaux (MA) lors de consultations dans des centres de soins primaires du Michigan et n’ayant jamais bénéficié auparavant d’un dépistage sérologique (ou dont le résultat n’était pas documenté).

Des conseils de bonnes pratiques (BPA) étaient transmis à l’ensemble des acteurs et une infirmière « référente » rappelait les patients pour leur communiquer les résultats et organiser le parcours de soins en cas de résultats positifs : 1er appel pour prescrire une charge virale C en cas de sérologie positive et 2ème appel si la charge virale se révèle positive pour une orientation rapide vers une consultation d’hépatologie. La figure ci-dessous détaille le processus de dépistage et de suivi. L’évaluation décrite dans l’article portait sur 3 années de fonctionnement (2012-2014) : 52660 « baby boomers » avaient été évalués et 2% d’entre eux ont bénéficié d’un dépistage. Le dépistage de l’hépatite C est passé de 7,6% à 72% ! 53 nouveaux patients ont été diagnostiqués dont 11 avaient une fibrose sévère ; 20 ont débuté un traitement antiviral direct. Les auteurs concluaient à l’efficacité d’un dépistage organisé basé sur le dossier informatisé du patient mais soutenu par des moyens humains dédiés.

Cet article souligne l’efficacité d’un dépistage organisé à partir de données informatisées mais dont le succès repose sur des moyens humains conséquents comme l’ont montré de façon similaire plusieurs expériences françaises réalisées en Ile de France (Trajectoire / C-PREH) Strasbourg (projet FIBROSCAN) ou Perpignan (Equipe Mobile Hépatites). Amener vers le dépistage et/ou ramener vers le soin les personnes atteintes par l’hépatite C ne se décrète pas mais nécessite un investissement en moyens humains, un large usage de la coopération interprofessionnelle (anciennement appelée délégation de tâches) et du secteur médico-social existant pour atteindre l’objectif final qu’est l’éradication du virus C en France.

BPA Conseils sur les meilleures pratiques EHR Dossier de santé électronique
MA assistant médical
PCP : Prestataire de soins primaires
RN infirmier(e) spécialisé

Références

  1. Pol S; Sogni Ph. Traitement de l’hépatite chronique B : observance et tolérance. Gastroenterol Clin Biol 2010. Vol 34, S142-S148.
  2. Pioche C, Pelat C, Larsen C, Desenclos JC, Jauffret-Roustide M, Lot F, Pillonel J, Brouard C. Estimation de la pré valence de l’hé patite c en population gé né rale, france mé tropolitaine, 2011. BEH 2016, 13-14, 224-229.
  3. Konerman M, Thomson M, Gray K, Moore M, Choxi H, Seif E, Lok A. Impact of an electronic health record alert in primary care on increasing hepatitis c screening and curative treatment for baby boomers. Hepatology 2017 (in press).