Les Éditos de l'AFEF

Hépatotoxicité des produits de santé : ayez le réflexe REFHEPS

Par : Liautard Jacques
Docteur - Cabinet d’Hépato-Gastro-Entérologie Gastro d’OC, Saint Jean de Védas

La recherche d’une atteinte hépatique d’origine médicamenteuse est une situation fréquente en pratique clinique. Plus de 1 300 médicaments sont connus pour causer des hépatites médicamenteuses.

L’incidence des hépatites médicamenteuses est difficile à déterminer estimée à 2,4/100 000 sur une étude rétrospective britannique publiée en 1997 [1], de 13,9 à 19,1/100 000 sur deux études prospectives en France et en Islande [2, 3], et à 23,8/100 000 sur une étude rétrospective chinoise publiée plus récemment [4].
L’hépatotoxicité est la première cause de retrait du marché́ des médicaments [5].

La recherche d’une origine médicamenteuse doit être systématique dans le diagnostic étiologique de toute hépatopathie ou plus largement devant toute perturbation de la biologie hépatique.

Cette atteinte peut être isolée, médicamenteuse pure, ou associée à d’autres étiologies (dysmétabolie, alcool, auto immunité, virus…). Les difficultés diagnostiques sont fréquentes.

En outre, ces atteintes ne concernent pas seulement les médicaments de la pharmacopée officielle mais également tous les autres produits de santé (phytothérapie, compléments alimentaires, produits dits de bien-être …) dont le nombre est aussi important et la diversité aussi riche que polymorphes les plaintes de nos contemporains et grandes les possibilités de fabrication et de marketing (notamment via internet) d’une florissante industrie aux confins des domaines pharmaceutique et agro-alimentaire [6].

L’accessibilité de ces produits hors prescription ne fait qu’en faciliter un usage large et de plus en plus répandu. Leur succès commercial joue en partie sur la confusion des notions de « naturel », caractère de définition souvent quelque peu délicate voire arbitraire, et d’innocuité. En 2016, 20 % des cas d’hépatotoxicité répertoriées aux USA concernaient des préparations de phytothérapie et des suppléments alimentaires [7].

L’utilisation de ces produits doit donc être recherchée avec une minutie particulière, les patients dans une grande proportion ne considérant pas ces préparations comme des substances à risque d’effets néfastes.
Si s’enquérir de toutes les substances à visée thérapeutique prises par un patient exige donc une rigueur d’interrogatoire sans faille, il faut ensuite évaluer l’imputabilité de toutes ces substances quant à une éventuelle toxicité hépatique.

Le clinicien dans son enquête diagnostique est aidé par des registres. Les plus anciens d’entre nous ont connu et utilisé HEPATOX qui était une base de données bibliographiques sur les atteintes hépatiques d’origine médicamenteuse développée à partir de 1982 par Michel Biour. Nous utilisons tous Livertox, banque de données américaine, consultable en ligne notamment par un onglet facilement accessible sur le site web de l’AFEF ou directement via le lien livertox.nih.gov.

Cependant, de telles ressources, certes utiles, ne répondent pas à tous les besoins du clinicien qui gère souvent des situations pathologiques multiples et complexes chez des patients fréquemment polymédicamentés.

En outre, si de telles bases sont d’usage plus que salutaires par la valeur éprouvée de leurs données et la précision de leurs énoncés, elles sont par essence purement consultatives, déclarer un effet secondaire hépatique d’un produit de santé, réel ou supposé, implique de recourir aux voies classiques des déclarations de pharmacovigilance, procédure souvent lourde et chronophage qui peut décourager à l’avance les cliniciens les plus zélés.

Plusieurs réseaux internationaux spécialisés dans l’hépatotoxicité (dont Spanish Drug Induced Liver Injury registry depuis 1994, US Drug Induced Liver Injury Network depuis 2004, Latin American DILI Network depuis 2011,) existaient déjà, aucun en langue française.

Cette lacune est désormais comblée depuis la création du réseau Refheps, Réseau Francophone d’Échange sur l’Hépatotoxicité des Produits de Santé.
Le Refheps est donc un réseau où nous pouvons partager nos cas d’hépatotoxicité, solliciter un avis en cas de suspicion de toxicité d’un produit de santé, quel qu’il soit, et améliorer les connaissances dans ce domaine en déclarant des situations de toxicité jusqu’alors méconnues ou inconnues.
Un collège d’experts dans le domaine des hépatites médicamenteuses répond rapidement aux sollicitations exercées par le truchement de ce réseau, qui est le fruit d’une collaboration franco-belge entre le Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier (Pr Dominique Larrey et Dr Lucy Meunier), l’Hôpital Paul Brousse (Dr Eleonora De Martin) et les Cliniques Universitaires Saint-Luc (Pr Yves Horsmans et Dr Bénédicte Delire).
La soumission des cas se fait via la plateforme d’échange Advice Medica à laquelle vous pouvez également vous inscrire via le lien https://app.advicemedica.com/accounts/signup/.
La plateforme Advice Medica est un outil, gratuit, soutenu par le CHU de Montpellier qui permet aux médecins de rejoindre et de participer à des réseaux d’information et de résolution de cas difficiles. Cette plateforme est déjà utilisée par les allergologues (sur 1300 utilisateurs, 70 % environ sont des allergologues français).
L’utilisation de ce réseau est simple. Les données transmises doivent être anonymes, afin de respecter scrupuleusement le secret médical, et les plus exhaustives possibles. En général, le courrier détaillé que nous adressons dans notre pratique quotidienne au médecin traitant suffit ; recourir à ce réseau ne représente donc pas une charge de travail supplémentaire.

Les cas cliniques sont discutés collégialement avec les experts et les utilisateurs avec mise en commun des connaissances de chacun. Ce réseau est donc convivial, vous pouvez participer aux discussions si vous avez l’expérience de cas similaires puisque vous pouvez recevoir un compte rendu des sollicitations adressées par vos confrères.
La large utilisation de ce réseau permettrait de constituer une banque de données actualisée des produits de santé particulièrement intéressante, notamment pour les produits les plus récents ou les moins documentés, avec toutes les conséquences bénéfiques que cette connaissance aurait pour notre pratique.
Un bel outil donc, soutenu par l’Appel à Projets 2021 de l’AFEF, auquel vous pouvez accéder par un lien sur le site web de l’AFEF via l’onglet AFEF > Liens Utiles.
Alors, à chaque fois que vous suspectez ou diagnostiquez une hépatotoxicité d’un produit de santé, ayez le réflexe REFHEPS.

Références

  1. LA García Rodríguez 1, A Ruigómez, H Jick
    A review of epidemiologic research on drug-induced acute liver injury using the general practice research data base in the United Kingdom Pharmacotherapy Jul-Aug 1997
  2. Catherine Sgro 1, François Clinard, Kader Ouazir, Henry Chanay, Christian Allard, Christian Guilleminet, Claude Lenoir, Alain Lemoine, Patrick Hillon Incidence of drug-induced hepatic injuries: a French population-based study Hepatology. 2002 Aug;36(2):451-5.
  3. Einar S Björnsson 1, Ottar M Bergmann, Helgi K Björnsson, Runar B Kvaran, Sigurdur Olafsson Incidence, presentation, and outcomes in patients with drug-induced liver injury in the general population of Iceland Einar S Björnsson 1, Ottar M Bergmann, Helgi K Björnsson, Runar B Kvaran, Sigurdur Olafsson Gastroenterology 2013 Jun;144(7):1419-25, 1425.
  4. Tao Shen , Yingxia Liu , Jia Shang , Qing Xie , Jun Li , Ming Yan , Jianming Xu 7, Junqi Niu , Jiajun Liu , Paul B
    Watkins , Guruprasad P Aithal , Raúl J Andrade , Xiaoguang Dou , Lvfeng Yao , Fangfang Lv , Qi Wang , Yongguo
    Li 17, Xinmin Zhou , Yuexin Zhang , Peilan Zong , Bin Wan , Zhengsheng Zou , Dongliang Yang , Yuqiang Nie , Dongliang
    Li , Yuya Wang , Xi’an Han , Hui Zhuang , Yimin Mao , Chengwei Chen
    Incidence and Etiology of Drug-Induced Liver Injury in Mainland China Gastroenterology 2019 Jun;156(8):2230-2241.
  5. Raul J. Andrade ,Guruprasad P. Aithal, Einar S. Bjornsson, Neil Kaplowitz, Gerd A. Kullak-Ublick, Dominique Larrey, Tom
    H. Karlsen. EASL clinical practice guidelines: drug-induced liver injury. J Hepatol 2019 ; 70(6) : 1222-61.
  6. Andrade R, Medina-Caliz I, Gonzalez-Jimenez A, Garcia-Cortes M, Lucena MI. Hepatic damage by natural remedies. Semin Liver Dis 2018;38:021–40.
  7. Navarro VJ, Khan I, Björnsson E, Seeff LB, Serrano J, Hoofnagle JH. Liver injury from herbal and dietary supplements. Hepatology 2017;65:363–373.