Les Éditos de l'AFEF

La « biopsie liquide » : nouveau concurrent de la biopsie hépatique ?

Par : Sturm Nathalie
Professeur - Département d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, CHU Grenoble Alpes

Etat des lieux et réflexions autour d’une revue d’articles récente « Liquid Biopsy of Hepatocellular Carcinoma : Circulating tumor-derived Biomarkers »

Les biopsies tissulaires sont concurrencées en permanence par des méthodes diagnostiques moins invasives. Les micro-échantillons (cytologiques et micro-biopsiques), les méthodes diagnostiques non invasives sériques et radiologiques, et plus récemment la biopsie liquide, représentent des challengers certains, notamment en pathologie tumorale. La biopsie hépatique, particulièrement invasive et dont le manque de reproductibilité et de représentativité concernant l’hétérogénité des lésions a été souvent souligné, a déjà subi au cours des dix dernières années, une perte de vitesse face au développement des méthodes sériques et radiologiques non invasives d’évaluation de la fibrose, mais aussi de l’activité nécrotico-inflammatoire, de la stéatose ou de la surcharge en fer au cours des maladies inflammatoires chroniques hépatiques.

Bien que la présence de cellules tumorales circulantes (CTC) puis d’acides nucléiques tumoraux circulants (ANtc) ait été décrite il y a bien longtemps, leur mise en évidence connaît ces dix dernières années un regain d’intérêt, en raison des avancées technologiques et de l’innocuité et de la répétabilité de la biopsie liquide. Les objectifs affichés de cet examen rapide et peu coûteux, réalisé à partir d’un prélèvement sanguin, sont multiples :

1/ diagnostic précoce des tumeurs ou de leur récidive,
2/ évaluation pronostique des tumeurs, la présence et la quantité de CTC ou d’ANtc constituant une signature de mauvais pronostic dans plusieurs cancers,
3/ apport d’informations sur la biologie de la tumeur par la détection précise d’anomalies génétiques et épigénétiques, reflet dynamique des modifications du génome intervenant au cours du temps et des thérapeutiques,
4/ analyse de la complexité et de l’hétérogénéité tumorale qui fait défaut aux prélèvements dirigés.

Les méthodes de détection des CTC et des ANtc (ADN, ARNm, miARN) ont rapidement progressé grâce aux recherches récemment développées sur les méthodes de capture et de purification/concentration de ce matériel cellulaire circulant, précieux et présent en quantité infime dans le plasma. Certaines sont à ce jour au point, permettant d’investiguer en recherche clinique plusieurs objectifs pré-cités. Le Cell Search CTC test a été récemment approuvé par la FDA en pratique clinique pour le suivi de certains carcinomes métastatiques (sein, colon, prostate), en association avec les méthodes usuelles de prise en charge et de suivi des patients atteints de cancer.

Pour étendre cette réflexion au carcinome hépatocellulaire (CHC), qui n’a pas échappé à ce développement technologique, plusieurs revues et méta-analyses sont parues récemment (Yin 2016, Tan 2016, Fan 2015) concernant les méthodes de détection actuelles, leur sensibilité et leur spécificité dans le diagnostic du CHC, la comparaison de leurs résultats avec les données issues des prélèvements tissulaires, la signification clinique. Les points forts sont résumés ci-dessous :

  1. la capture des CTC est basée sur des méthodes de purification, physiques (taille, densité, charges électriques, …), biologiques (interaction basée sur la liaison Ag-AC, avec des Ac dirigés contre EpCam principalement, HER2, PSA …) ou les deux combinées (CTC-Chip). La détection de CTC via un test EpCam/CD45/CK8-18-19 a montré dans le CHC une forte spécificité (96,7%) mais une sensibilité faible (42,6%) ; elle est corrélée à des critères histopronostiques d’agressivité tumorale comme le TNM et l’invasion vasculaire et à une diminution de la survie sans récidive (SSR) et de la survie globale (SG) (Guo 2014, Choi 2015, Fan 2015).
  2. l’analyse de l’ADNtc plasmatique issu des cellules tumorales viables, apoptotiques ou nécrotiques, permet la mise en évidence d’altérations génétiques (mutations, instabilité microsatellitaire, perte d’hétérozygotie …) et épigénétiques (anomalies de la méthylation), tout au long de l’histoire de la tumeur primitive ou métastatique. La présence d’ADNtc est corrélée négativement avec la SSR et la SG du CHC et positivement avec le degré de malignité histologique de la tumeur. La détection de combinaisons de gènes méthylés (APC, RASSFIA, GSTP1, SFRP1) a montré de bonnes sensibilité et spécificité, respectivement 92,7% et 81,9%, pour le diagnostic de CHC. L’analyse de profils de méthylation de l’ADNtc (APC, FHIT, p15, p16, e-cadhérine) ou de mutations géniques (TP53, CTNNB1, TERT) s’est également montrée concordante avec celle des prélèvements tissulaires tumoraux (Iyer 2010, Huang ZH 2011, Huang A 2016).

Le constat est que l’émergence de nouvelles technologies (PCR digitale, séquençage de 3ème génération…), de plus en plus performantes, rapides et précises, devrait dans un avenir proche améliorer encore l’extraction et l’analyse de ces biomarqueurs circulants, réduisant parallèlement le nombre de faux négatifs.

De tels progrès suscitent cependant plusieurs réflexions, concernant d’une part l’utilisation de ces technologies et la nécessité d’une standardisation des méthodes de capture et de purification pour une utilisation en pratique clinique, et d’autre part l’utilité/l’utilisation de la biopsie liquide en pratique clinique.

Son intérêt semble évident pour le suivi d’un cancer évolué et pour le monitoring thérapeutique : l’instabilité génétique des tumeurs, spontanée ou sous traitement(s), ainsi que leur hétérogénéité pouvant expliquer l’émergence de clones agressifs ou résistants, pourraient être appréhendées plus rapidement et leur traitement adapté régulièrement.

Son apport semble moins intéressant pour le dépistage des cancers : d’une part, en raison d’un risque de sur-traitement car tous les cancers microscopiques n’évoluent pas et certains sont éliminés par les défenses immunitaires de l’organisme, et d’autre part, par un manque de précision dans la localisation d’une tumeur débutante. Un diagnostic trop précoce qui identifierait une tumeur que l’imagerie ne repèrerait pas encore, ne permettrait pas un traitement curateur chirurgical.

Son apport apparaît limité à des informations concernant les cellules tumorales et elle ne semble pas prête à remplacer la pratique de biopsies tissulaires dont un atout majeur est de fournir des informations sur le microenvironnement tumoral, notamment immunitaire, qui pourrait avoir une valeur théranostique.

En conclusion :

Ces biomarqueurs circulants émergents représentent des outils moléculaires prometteurs dans le suivi des patients atteints de cancer, permettant l’analyse répétée du génome tumoral, de son hétérogénéité et de ses modifications, capable de prédire une réponse ou une résistance à un traitement ciblé dans le cadre de traitements de plus en plus personnalisés. La biopsie liquide souffre cependant encore d’un manque de sensibilité, attribué aux faibles quantités de CTC ou d’ADNtc et aux méthodes d’extraction, dont la standardisation est une nécessité avant une utilisation en pratique clinique. Enfin, son utilité dans la prédiction/le dépistage du cancer est plus discutée et probablement prématurée, laissant encore toute leur place aux échantillons tissulaires dont les atouts majeurs sont, outre d’apporter une certitude diagnostique permettant de déclencher un traitement curatif, l’évaluation de certains critères histo-pronostiques particulièrement péjoratifs comme la transition épithélio-mésenchymateuse, l’immunoscreening en prévision de thérapies ciblées, ou l’analyse du microenvironnement immunitaire, à l’ère de l’immunothérapie.

Bibliographie

Yin CQ, Yuan CH et al. Disease Markers (2016) Tang JC, Feng YL et al. Cell Biosci (2016)
Fan JL, Yang YF et al (2015)
Guo W, Yang XR et al. Clinical Cancer Research 2014 Choi GH, Kim JE et al. Ann Surg Oncol (2015)
Iyer P, Zekri AR, et al. Exp Mol Pathol (2010) Huang ZH, Hu Y et al. Exp Mol Pathol (2011) Huang A, Zhang X et al. Journal of Cancer (2016)