Les Éditos de l'AFEF

La téléconsultation en hépatologie : retour d’expérience

Par : Chagneau-Derrode Carine
Docteur - Pôle d’Hépato-Gastro-Entérologie Bordeaux Rive Droite

La téléconsultation vise à faciliter la communication déjà existante entre un patient et son médecin. Cette pratique permet de raccourcir les délais de prise en charge et d’améliorer l’accès aux soins, notamment pour les patients vivant dans des régions éloignées ou à faible densité médicale. Elle permet par ailleurs de réduire les coûts de santé, de diminuer le recours aux urgences et prévient d’éventuelles hospitalisations.

En France, patients comme médecins ont longtemps boudé cette forme de consultation, seulement envisagée comme une solution aux déserts médicaux. Mais, la crise sanitaire a fait décoller les chiffres en flèche. En effet, en mars 2020, nos ARS nous ont conseillé de cesser toute consultation en présentiel et de mettre en place des téléconsultations. En libéral, nous avons réussi à la mettre en place en un temps record. Effectivement, l’outil informatique est performant et les sociétés qui commercialisent ces logiciels ont été réactives voire harcelantes surtout au déconfinement de mai pour que l’on poursuive la téléconsultation.

Mais est-ce aussi simple côté patient ? Bien sûr que non, l’équipement informatique et la connexion internet du patient doivent être également performants.

En hépatologie, tous nos patients n’ont pas l’équipement numérique nécessaire et surtout un débit internet suffisant. Entre les personnes âgées, les patients ne parlant pas français, les patients défavorisés et ceux qui habitent en zone rurale où il n’y a pas la fibre, il n’en reste pas beaucoup qui peuvent faire une téléconsultation de qualité.

Voici quelques exemples fréquents de téléconsultation en hépatologie :

• Un patient qui téléconsulte pour anomalies du bilan hépatique mais n’a pas pu scanner le bilan, c’est la vraie galère. Nous voilà donc à énumérer les paramètres biologiques que le patient doit nous lire … Cela fait déjà 15 minutes qu’on consulte et on est toujours au déchiffrage de la biologie… C’est cela notre métier ? Bien sûr que non.
• Un patient qui vous demande votre avis pour une lésion hépatique en ayant pris en photo une image du scanner, c’est une médecine pertinente et de qualité ? C’est tout simplement n’importe quoi.

Je pourrais vous citer plein d’autres mésaventures de la téléconsultation lors de cette période de confinement !
Vous l’aurez compris je ne suis pas une adepte de la téléconsultation car je n’ai pas fait médecine pour m’occuper de mon patient à travers un écran d’ordinateur.

Pour nous médecins, il s’agit littéralement de travailler autrement, que l’on soit généraliste ou spécialiste.

Dans un cabinet médical, beaucoup de choses se disent aussi au-delà des mots. La posture, les yeux, les silences sont sources d’informations. L’observation nous permet de savoir à quel type de personnalité on a à faire et nous guide dans notre attitude pour que le patient accepte le diagnostic, adhère au traitement…

Tout cet aspect subjectif, intuitif, émotionnel de la consultation est annihilé par l’écran de notre ordinateur. La consultation devient en quelque sorte déshumanisée.

Nous sommes réduits à une fonction administrative où nous envoyons des ordonnances et des feuilles de soins par télétransmission.

Avons-nous fait médecine pour exercer de la sorte ? Personnellement, non.

Une médecine de qualité est une médecine où on interroge le patient, on l’examine, ce qui nous permet de faire un diagnostic. On est une oreille attentive pour le patient. Ces relations humaines entre le patient et le médecin font toute la richesse de notre métier.

La téléconsultation se heurte à des obstacles culturels car elle remet en cause les fondamentaux de la relation patient médecin ainsi que les habitudes de travail ancrées de longue date dans la culture médicale. Elle est surement mieux admise par les nouvelles générations de patients ou de médecins plus à l’aise dans l’utilisation des nouveaux outils informatiques.

Malgré ma réticence à l’utilisation de cet outil, je suis consciente que la téléconsultation peut avoir un intérêt en hépatologie.

En effet, quand toutes les conditions techniques sont réunies à la fois chez le médecin mais surtout chez le patient, ce type de consultation peut éventuellement être envisageable en alternance avec des consultations en présentiel dans certaines pathologies et uniquement lors du suivi.

Je pense que la téléconsultation n’a pas sa place lors d’une première consultation en hépatologie.

La téléconsultation s’adapterait très bien au suivi des hépatites B traitées ou non, des hépatites C traitées, des hépatopathies chroniques parfaitement équilibrées sur un plan thérapeutique voire les cirrhoses compensées peu sévères. Si le patient cirrhotique entre dans un circuit de téléconsultation, il me parait indispensable de travailler en concert avec le généraliste et de s’assurer que le patient consulte son généraliste régulièrement en présentiel.

Les téléconsultations ne doivent pas prendre la place de la consultation présentielle qui reste indispensable au moins une fois par an. Il est important que le patient soit examiné. En effet, l’hépatologue dans les pathologies chroniques est souvent considéré comme le généraliste par le patient et nous avons ainsi un rôle important dans l’éducation thérapeutique pour les NASH, les pathologies alcooliques et le dépistage des maladies extra-hépatiques.

Soyons vigilants car en médecine dès que cela devient uniquement virtuel, de façon inconsciente, le patient a tendance à banaliser cette consultation. En effet, il n’a pas fait la démarche de se déplacer pour aller au cabinet voir tel ou tel médecin qu’il a choisi. La téléconsultation devient alors un mode de « consommation de médecine ». On change plus facilement de spécialiste car le virtuel ne crée pas le lien comme celui qui se crée dans un bureau de consultation car il n’y a plus « l’affect ».

On observe la même chose pour la prise de rendez-vous sur internet, les consultations non honorées sont généralement les rendez-vous pris sur internet et non ceux pris par la secrétaire. Le patient n’a pas échangé avec une personne donc ne sent pas impliqué. Pour certains, c’est tout simplement de la consommation … et ce n’est plus une prise de rendez-vous réfléchie mais impulsive à l’instant « t » ou on est mal soit psychologiquement ou physiquement.

En tant que professionnels de santé, nous ne devons pas oublier non plus qu’il y a aussi un enjeu commercial derrière tous ces logiciels de téléconsultation…

En revanche, il est certainement nécessaire de développer la télé-expertise (même en libéral) où dans cette situation, nous pouvons exercer notre métier en tant que référent pour certaines pathologies. Cela pourrait bien sûr être très utile à nos confrères qui nous contacteraient pour des avis concernant des patients qu’ils ont vus en présentiel, interrogés et examinés.

La pandémie actuelle nous a permis de se faire un avis sur la téléconsultation en hépatologie et de maintenir le suivi de nos patients malgré le confinement. Il est certainement nécessaire de déterminer quelle sera sa place exacte en hépatologie après la pandémie.

Cependant, nous ne devons pas oublier que la télémédecine facilite la communication entre le patient et le médecin à condition qu’elle s’inscrive dans une relation de confiance déjà bien établie et qu’elle ne se substitue pas au suivi face à face lorsque cela est indiqué.