Les Éditos de l'AFEF

La vie de l’hépatologue après l’élimination de l’hépatite C

Par : Fontaine Hélène
Docteur - Unité d'hépatologie médicale Pôle d'hépato-gastro-entérologie Médico-chirurgical, Paris

Les années récentes ont permis de mettre au point des combinaisons anti-virales C efficaces et bien tolérées. Fini le temps des effets secondaires de l’interféron voire ceux du telaprevir ou du boceprevir! Huit à douze semaines de traitement suffisent à guérir 95 % des patients infectés, y compris chez les patients cirrhotiques. Il suffit donc maintenant de dépister les sujets au moins une fois dans leur vie comme le préconisent les recommandations, puis de les traiter, si possible par le médecin le plus proche. Ceci permettra d’aboutir à l’élimination de l’hépatite C en 2025 selon les recommandations de l’AFEF ou en 2030 selon celles de l’OMS (2). Pour rappel, l’élimination correspond à une diminution de la mortalité de 65 % (de 2500 par an à 875 environ) et à une diminution de nouveaux cas de 90 %(500 cas par an au lieu des 5000).

Moins de patients, moins graves, moins de consultations, moins d’hospitalisations ? Les hépatologues vont-ils pouvoir ou devoir prendre une retraite anticipée, faire du jardinage, de la voile, de la cuisine ou du macramé ?
Ben… pas tout de suite.
Il reste encore du pain sur la planche.
En effet, tout d’abord, concernant l’hépatite C, les dernières modélisations estiment qu’il reste environ 120 000 patients à traiter dont 60 000 à dépister. Il faudra donc travailler à la généralisation du dépistage, idéalement par une campagne grand public, mais aussi en diffusant l’information à nos correspondants médicaux, par nos patients, leurs familles, leur entourage… et en insistant sur l’importance de faire abstraction en 1° intention de l’existence ou non de facteurs de risque (dont on tiendra compte pour les réinfections).
Chez les patients récemment dépistés, ceux qui n’ont pas de lésion sévère et pas de comorbidité peuvent être traités par le médecin habituel (généraliste ou un autre spécialiste) ; cela signifie cependant, que, si l’on considère 20 % de cirrhotiques, 10 % de patients avec une consommation d’alcool à risque et 23 % de stéatose métabolique, pas loin de la moitié seront à prendre en charge en milieu spécialisé, pour la prise en charge des comorbidités et le suivi de la cirrhose. En effet, n’oublions pas que, si la guérison virologique permet d’obtenir une diminution de la survenue de complications en particulier du carcinome hépatocellulaire avec une incidence de 1% au lieu de 3 % avant la guérison (1), le risque résiduel justifie la poursuite du dépistage échographique semestriel pour éviter toute perte de chance chez les patients. De plus, il faut continuer le dépistage de l’hypertension portale en l’absence de critères non invasifs fiables après la guérison virologique : les critères de Baveno ne sont pas validés dans cette indication.

Après le traitement, il faudra aussi dépister les réinfections chez les patients qui conservent des comportements à risque, en particulier chez les patients usagers de drogues, principal réservoir actuellement. Chez ces patients, les mesures nécessaires à l’élimination de l’infection sont encore insuffisantes : le dépistage doit être accentué et facilité, avec, l’utilisation de TROD, l’optimisation de l’usage de matériel d’injection à usage unique moins développé en France que dans d’autres pays voisins, sans oublier le traitement substitutif aux opiacés (2).

D’autre part, il ne faut surtout pas oublier que, si l’hépatite C a, à juste titre, en raison de ces progrès uniques dans leur intensité et rapidité, fait couler beaucoup d’encre, ce n’est pas la principale cause de morbi-mortalité de cause hépatique en France.

Le rapport HEPAHEALTH récemment publié par l’EASL (3) a décrit en quelques grandes lignes l’évolution épidémiologiques des principales hépatopathies en fonction de leur sévérité et de leurs étiologies. Ceci permet de faire l’état des lieux en France en 2016.

Ainsi, la prévalence des hépatopathies est actuellement en augmentation régulière depuis 1990 avec un chiffre estimé à 800-900 /100 000 habitants avec comme cause principale la maladie alcoolique du foie avant l’hépatite C, suivie de l’hépatite B et enfin des autres causes. La prévalence des cancers hépatiques augmente également ; elle est évaluée entre 6 et 16/100 000 habitants (3-4). La mortalité de cause hépatique est estimée à environ 14/100 000 habitants, dont une majorité liée à un cancer hépatique (toutes causes confondues), puis hors cancer, à l’alcool, à des causes autres que virales, NAFLD et auto-immunes, puis aux hépatites virales, aux NAFLD et maladies auto-immunes. La mortalité par hépatopathie sans cancer diminue légèrement depuis quelques décennies de façon globale, et par étiologie, elle diminue pour la maladie alcoolique du foie, pour les hépatites virales, mais reste stable pour la NAFLD.

L’élimination de l’infection par le virus de l’hépatite C devrait permettre dans l’avenir d’améliorer ces chiffres mais la charge représentée par les hépatopathies va dépendre également de l’évolution épidémiologique des autres étiologies et de leur dépistage. De la même façon, le nombre de patients transplantés pour une hépatite C va certes diminuer, mais, étant donné le pourcentage actuel important de patients sortis de liste pour aggravation, il y aura une diminution relative de l’indication pour hépatite C et une augmentation relative des autres étiologies sans diminution du nombre total de patients transplantés hépatiques.

La maladie alcoolique du foie tient toujours la 1° place dans les causes d’hépatopathie, même si la consommation a diminué en France à 12 l d’alcool pur par an et par habitant de plus de 15 ans (quand même …). L’arsenal thérapeutique reste limité malgré l’accès à plusieurs traitements de l’alcoolo-dépendance et le diagnostic à des stades tardifs trop fréquents.

La morbidité liée à la stéatose métabolique est liée à l’épidémiologie des facteurs de risque qui sont principalement l’obésité et le diabète de type 2. Or, si la prévalence du diabète de type 2 reste stable à environ 5 %, celle de l’obésité a augmenté de 5 % à 15 % entre 1990 et 2016 selon les chiffres de ce même rapport. Les possibilités thérapeutiques sont en plein développement et pourraient aboutir à des traitements efficaces sur la fibrose et la stéatose, mais pas avant quelques années et le principal traitement actuel réside dans les règles hygiéno-diététiques avec une adhérence incertaine et une efficacité partielle.

Enfin, l’hépatite B (avec une prévalence d’environ 0,5 %) pour laquelle les analogues permettent d’obtenir un contrôle prolongé de la réplication virale associée à une amélioration biochimique, histologique et du pronostic, dont le dépistage reste insuffisant et les traitements suboptimaux en l’absence de thérapeutique permettant une vraie guérison (disparition de l’ADN intra-hépatocytaire superenroulé). L’infection par le virus de l’hépatite delta reste une pathologie rare mais avec une forte charge médicale en raison d’une évolution précoce vers la cirrhose, en l’absence de traitement efficace (l’interféron ne l’est que chez 25 % des patients) et nécessitant fréquemment le recours à la transplantation chez des patients jeunes.

Au final, si on analyse le pourcentage de patients ayant une hépatite C sans fibrose sévère et sans comorbidité de nos consultations, il est probable que le nombre de patients diminuera mais pas dans des proportions importantes. De plus, les patients ayant une pathologie liée à une stéatose métabolique ou alcoolique, une infection B ou une autre pathologie plus rare (D, hémochromatose,
auto-immune…), insuffisamment dépistes et diagnostiqués de façon trop souvent tardive pourraient
bénéficier indirectement du dépistage universel de l’hépatite C, qui devrait être associé à celui de
l’hépatite B et devrait sensibiliser patients et médecins aux hépatopathies d’une façon générale. Une
augmentation de la demande de suivi hépatologique chez ces patients est probable. D’autre part, pour des raisons non médicales, mais de démographie, il n’y a pas que le nombre de patients qui diminue
mais aussi celui des spécialistes en gastro-entérologie et hépatologie.

Le nombre d’hospitalisations dans les services d’hépatologie reste en progression entre 2013 et 2017,
malgré le fait que la majorité des hépatites C sévères aient été traitées dès les premières autorisations
temporaires d’utilisation fin 2013 (au total, de près de 9000 en 2014 avec une augmentation progressive à près de 20 000 en 2017). Le principal motif d’hospitalisation reste la maladie liée à
l’alcool. L’hépatite C représente moins de 10 % des causes d’hépatopathie hospitalisée tant en nombre
de séjours, nombre de jours d’hospitalisation ou nombre de patients (données PMSI nationales).
La guérison virologique des hépatites C ne suffira donc pas à vider ni les salles d’attente de
consultation, et encore moins les lits d’hospitalisation.

Il est donc probable que la retraite anticipée ne nous concerne pas. Tant pis pour les adeptes du macramé, il faudra attendre encore un peu !

Références :

Nahon P, Bourcier V, Layese R, Audureau E, Cagnot C, Marcellin P, et al. Eradication of Hepatitis C Virus Infection in Patients with Cirrhosis Reduces Risk of Liver and Non-Liver Complications. Gastroenterology. 2017 Jan;152(1):142-156
Fraser H, Martin NK, Brummer-Korvenkontio H, Carrieri P, Dalgard O, Dillon J, et al. Model projections on the impact of HCV treatment in the prevention of HCV transmission among people who inject drugs in Europe. J Hepatol. 2018 Mar;68(3):402-411.
Rapport Hepahealth www.easl.eu/discover/events/detail/2017/hepahealth
Goutté N, Sogni P, Bendersky N, Barabre JC, Falissard B, Farges O. Geographical variations in incidence, management and survival of hepatocellular carcinoma in a Western country. J Hepatology 2017; 66: 537-544.
Lens S, Alvarado E, Marino Z, Martinez J, Londono MC, Llop E, et al Long-term impact of HCV eradication after all-oral therapy in patients with clinical significant portal hypertension. PS-150. EASL 2018
Les anti-viraux directs (AVD) diminuent la mortalité de l’hépatite chronique C-Résultats de la cohorte française ANRS CO22 Hepather. JFHOD 2018.