Les Éditos de l'AFEF

Les mécanismes de mort cellulaire des hépatocytes

Par : Samson Michel
Docteur - IRSET U.1085, Institut de Recherche en Santé, Environnement et Travail, Inserm, EHESP, Université de Rennes 1

Alors que le dosage des transaminases hépatiques, ASAT et ALAT, est systématiquement demandé par un médecin lors d’un bilan hépatique dans le cas d’une suspicion de maladie du foie, les mécanismes cellulaires mis en œuvre au cours de la libération de ces transaminases dans le sang circulant, restent méconnus.

Il est évidemment connu que le dosage des transaminases reflète la cytolyse des hépatocytes et est un très bon voire le meilleur marqueur de la souffrance des hépatocytes et des dommages ou des lésions que subit le parenchyme hépatique.

Cependant, longtemps la communauté médicale et scientifique est restée sur l’idée que la lyse des hépatocytes était la résultante d’une mort par nécrose dite « accidentelle ». Il apparait en effet très intuitif de penser qu’une lésion mécanique comme un déchirement d’un muscle va détruire physiquement les cellules musculaires et ainsi permettre de libérer dans la circulation sanguine les ASAT, qui étaient contenus dans le cytoplasme des cellules musculaires. De même, lors d’une forte toxicité par certaines substances xénobiotiques, la destruction de la membrane plasmique des hépatocytes permet ainsi le déversement des transaminases hépatiques dans la circulation sanguine. Une caractéristique de cette nécrose est qu’en même temps de libérer les transaminases hépatiques, les hépatocytes vont libérer une grande quantité d’autres protéines ou de molécules, comme les fragments d’ADN, d’ARN, ou les molécules regroupées sous le terme de DAMP qui vont engendrer une inflammation importante du tissu hépatique. A l’élévation des transaminases hépatiques est donc associée une hépatite.

Au cours des 10 dernières années, de nouvelles voies de mort cellulaire des hépatocytes ont été décrites et permettent en partie de mieux comprendre la libération des transaminases hépatiques. Ces nouvelles voies de mort sont regroupées sous le concept de nécrose programmée, qui au contraire de la nécrose accidentelle, fait intervenir des molécules ou des cellules qui vont entrainer par leur action la lyse des hépatocytes.

Il existe quatre principales nouvelles voies de nécrose cellulaire programmée que sont la nécroptose, la ferroptose, la pyroptose et la parthanatose. Ces 4 voies ont en commun le fait que les tissus vont produire des facteurs solubles ou vont activer des voies de signalisation des cellules, qui induiront la mort des cellules cibles, par activation de molécules formeuses de pores qui créent des trous dans la membrane plasmique.

La nécroptose

La nécroptose peut être induite par le TNF-α, lorsque certaines caspases intracellulaires sont inhibées. D’autres stimuli tels que l’activation des récepteurs de mort TRAIL et FasL, des TLR3 et 4, le récepteur des lymphocytes T, la voie des interférons, les stress génotoxiques ou oxydatifs ou les DAI (pour “DNA-dependent activator of IFN regulatory factors”) sont des effecteurs capables d’induire la nécroptose. Via leurs récepteurs spécifiques exprimés à la surface de la cellule cible, ces stimuli vont induire l’activation des protéines “Receptor Inducing Protein Kinase” (RIPK) 1 et 3 qui, suite à leurs phosphorylations, vont former le nécrosome (appelé également nécroptosome) et activer des substrats tels que la protéine “Mixed Lineage Kinase Domain Like” (MLKL) conduisant à la mort de la cellule. L’activation de MLKL aboutit à la formation d’un oligomère qui interagit avec la membrane plasmique et conduit à l’influx d’ions calcium et sodium dans la cellule, entraînant une augmentation de la pression osmotique et la rupture de la membrane. La nécroptose semble être particulièrement importante dans la stéatose hépatique non alcoolique, la stéatohépatite non alcoolique et le cancer du foie.

La ferroptose

Parce que le foie est l’organe qui stocke le plus abondamment le fer sous la forme de ferritine au sein des hépatocytes, la ferroptose est une voie de mort cellulaire qui peut survenir dans le foie. Ainsi, la ferroptose se déroule sans activation des caspases mais lors d’un stress oxydant intense conduisant à la perte de la viabilité cellulaire. Le fer libre permet la transformation des espèces oxydantes faiblement actives (telles que le peroxyde d’hydrogène, H2O2) en des oxydants très puissants, comme le radical hydroxyle (OH) capable d’oxyder la plupart des constituants cellulaires comme les protéines, les acides nucléiques et les lipides insaturés déclenchant ainsi la mort de la cellule. La glutathion peroxydase (GPX4) en piégeant les ROS et les espèces réactives aux lipides produites par les peroxisomes et la libération de fer de la mitochondrie, joue un rôle déterminant dans le processus de mort de la cellule. Des études suggèrent que la ferroptose a lieu dans plusieurs maladies du foie, notamment la stéatohépatite non alcoolique, la maladie hépatique alcoolique, les lésions hépatiques d’origine médicamenteuse, l’hépatite virale et l’hémochromatose.

La pyroptose

La pyroptose, qui survient principalement lors d’une infection par des agents pathogènes se caractérise par une implication des caspases 4 et 5 chez l’homme et une libération des cytokines IL-1β et IL-18. Un acteur clé et biomarqueur de cette voie de mort cellulaire est la gasdermine D (GSDM D) qui a été identifiée comme un exécuteur de la pyroptose capable de former des pores dans la membrane plasmique. Ainsi le déclenchement de cette voie commence par l’activation du complexe de l’inflammasome qui reconnaissent divers signaux de danger exogènes et endogènes, y compris les DAMP et les modèles moléculaires associés aux agents pathogènes (PAMP) et nécessite l’activation des inflammasomes comme NLRP1b, NLRP3, NLRC4, AIM2 et Pyrine. Au niveau hépatique, une activation excessive et incontrôlée des inflammasomes s’observe dans de nombreuses maladies du foie avec par exemple l’inflammasome NLRP3 qui est activée dans les hépatocytes en réponse à un challenge par des endotoxines, une condition facilitée par la consommation d’alcool.

La parthanatose

La parthanatose est une mort cellulaire dépendante de la Poly (ADP-ribose) polymérase 1, ou PARP-1, impliquée dans la réparation de l’ADN. PARP-1 est activée au cours d’un stress génomique important et va produire des chaines de poly(ADP-ribose) (PAR) qui entraineront une fragmentation nucléaire, une condensation de la chromatine et au final la mort de la cellule. Le rôle de la parthanatose est fortement suspecté dans les maladies du foie due à l’implication connue de PARP-1 dans la mort des cellules hépatiques, toutefois les évidences restent encore à démontrer.

En conclusion, plusieurs voies de mort cellulaire sont enclenchées simultanément et co-existeront au cours d’une hépatopathie d’étiologie virale, alcoolique, non liée à l’alcool, médicamenteuse, etc. La résultante de l’ensemble se traduira par une rupture de la membrane plasmique et une libération des transaminases hépatiques dans la circulation sanguine.

Pour en savoir plus :

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