Les Éditos de l'AFEF

L’hépatite D : le parent pauvre des hépatites virales

Par : Fontaine Hélène
Docteur - Unité d'Hépatologie Médicale - Pôle d'Hépato-Gastro-Entérologie Médico-Chirurgical, Paris

A l’heure où on guérit, grâce aux anti-viraux directs plus de 95 % des hépatites C, (à condition qu’elles soient diagnostiquées bien sûr : n’oublions pas le dépistage !), et où on parvient à obtenir un contrôle de la multiplication virale B chez la très grande majorité des patients pour lesquels l’évaluation virologique, biochimique et des lésions de fibrose a permis de poser l’indication thérapeutique, l’hépatite D fait figure de parent pauvre.

En effet, la coinfection par les virus des hépatites B et D est la plus sévère des hépatites chroniques en raison du pourcentage élevé d’évolution vers la cirrhose (4 à 7 % par année d’évolution de l’infection chronique), de sa survenue plus précoce (10 ans environ) par rapport aux patients monoinfectés B, expliquant une morbi-mortalité élevée (incluant celle liée au carcinome hépatocellulaire) (1). Elle concerne environ 70 millions de personnes, c’est-à-dire presque 1 % de la population mondiale (2).

L’autre obstacle à sa prise en charge est, selon des données épidémiologiques actualisées, le fait que cette infection touche majoritairement des régions dans lesquelles l’accès aux soins est difficile, voire inexistant pour cette pathologie, comme le bassin amazonien. Certains pays ont mis en place des procédures de dépistage et de traitement en population générale (Mongolie) mais malheureusement de façon trop exceptionnelle (3).

Et dans le meilleur des cas, lorsque l’hépatite est diagnostiquée et prise en charge, le seul traitement actuellement disponible reste l’interféron avec une réponse virologique soutenue clairement insuffisante puisque le contrôle virologique prolongé n’est obtenu qu’au maximum chez 25 % des patient (4).

Néanmoins, l’horizon thérapeutique est en train de s’éclaircir. Plusieurs molécules avec différents modes d’action sont actuellement en cours d’évaluation et ont fait l’objet d’essais thérapeutiques de phase II : des inhibiteurs d’entrée, des inhibiteurs de prénylation, des polymères d’acides nucléiques et l’interféron lambda.

Le bulevirtide (ex-Myrcludex), est un lipopeptide composé de 47 acides aminés de la région pré-S1, avec une terminaison N-terminale myristoylée qui bloque de façon compétitive la liaison entre le virus et les hépatocytes en bloquant son interaction avec le récepteur d’entrée des virus des hépatites B et D, le polypeptide co-transporteur du taurocholate de sodium (NTCP). De ce fait, il inhibe l’infection des hépatocytes non infectés. Ce mécanisme permet, au cours d’un traitement prolongé, de diminuer la quantité des cellules infectées, en fonction de leur vitesse de renouvellement (dépendant lui-même de la demi-vie des hépatocytes et de l’activité immunitaire T cytotoxique) et de la cinétique de multiplication des deux virus. Son mode d’administration consiste en 1 à 2 prises sous-cutanées quotidiennes. Cette molécule a été testée dans des études de phase II.

Dans une étude de preuve de concept de phase II, 21 patients (3 groupes de 7 patients, cirrhotiques ou non, sans décompensation), ont été traités pendant 6 mois par 2 mg/j de myrcludex ou 2 mg/j de myrcludex associé à de l’interféron-α ou interféron-α seul (5). L’objectif principal de cet essai, défini par une diminution de l’ag quantitatif HBs de plus de 0,5 log à la 12° semaine de traitement, n’a été observé chez aucun patient. Cependant, la diminution de la virémie D était significative, de 1 ,67 log et de 2,59 log (en médiane) en fin de la monothérapie par myrcludex et en fin de bithérapie, respectivement, en faveur d’une action synergique de ces 2 traitements.

Dans une autre étude, 20 patients, répartis en 4 groupes de 5, ont été traités en escalade de dose par 6 mois de myrcludex (2, 5 et 10 mg/j) en combinaison avec le tenofovir ou par tenofovir seul (6). Une diminution d’au moins 2 log en fin de traitement était observée chez 46, 47 et 78 % et 3 % des patients, respectivement et une normalisation des transaminases chez 43, 50 et 40 % des groupes recevant du Myrcludex, sans modification du dosage quantitatif de l’Ag HBs.

Dans une dernière étude (MYR203) présentée à l’EASL il y a 2 mois, 60 patients (15 par bras) ont été traités pendant 48 semaines par interféron-α ou interféron-α et myrcludex 2 mg/j ou interféron-α et myrcludex 5 mg/j ou myrcludex 2 mg/j seul. Le schéma optimal était la bithérapie par interféron-α et myrcludex 2 mg/j avec une diminution de l’ARN VHD de 4,81 en fin de traitement et de 4,04 log 24 semaines après son arrêt,

associé à une indétectabilté de l’ARN VHD et une normalisation des ALAT dans 50 et 47 % des cas et une diminution de l’Ag HBs quantitatif d’au moins un log chez 40 % des patients, respectivement (7).
Enfin, la tolérance du myrcludex est bonne, en dehors de l’augmentation des acides biliaires non accompagnée de signes cliniques, expliquée par le fait que le récepteur ciblé par cette molécule est aussi un transporteur hépatocytaire des sels biliaires.

L’efficacité et la tolérance du lonafarnib, inhibiteur de transférase du farnesyl (25 à 300 mg/j pendant 3 à 12 mois) ont été analysées en monothérapie ou en association avec du ritonavir et de l’interféron alpha. Dans l’étude LOWR HDV-1, 20 patients ont été répartis dans 7 bras, recevant 8 à 12 semaines de traitement par lonafarnib, avec ou sans interféron alpha ou ritonavir (8). Les résultats suggèrent une meilleure efficacité et tolérance dans le bras utilisant de faibles doses de lonafarnib associées à de l’interféron ou du ritonavir. Dans l’étude LOWR HDV-2, 55 patients étaient traités par des doses différentes de lonafarnib en bithérapie (ritonavir) ou en trithérapie (ritonavir et interféron-α). La tolérance de fortes doses de lonafarnib (supérieure à 75 mg 2/j en association avec le ritonavir était médiocre, avec la description de certains effets secondaires, tels que, anorexie, nausées, diarrhée et perte de poids. En termes d’efficacité, cette étude a mis en évidence une synergie des 3 traitements. Le schéma optimal était une bithérapie de 6 mois associant lonafarnib 50 mg et ritonavir 100 mg, 2 fois par jour ; celle-ci permettait d’obtenir une diminution de l’ARN VHD chez près de 90 % des patients et une normalisation des transaminases chez 100 % des patients. En revanche, la bithérapie par lonafarnib et ritonavir n’avait pas d’impact sur le dosage quantitatif de l’Ag HBs (9). Enfin, des exacerbations virales et biochimiques parfois associées à une normalisation ultérieure des ALAT et une indétectabilité de l’ARN VHD ont été observées.

Dans une étude de phase II, réalisée chez 12 patients avec une hépatopathie compensée recevant du REP 2139-Ca (polymère d’acides nucléiques) en perfusion intra-veineuse hebdomadaire en monothérapie pendant 15 semaines, puis en bithérapie avec de l’interféron pégylé pendant 15 semaines puis 33 semaines d’interféron pégylé en monothérapie, une diminution de l’ARN VHD a été observée dans 100 % des cas, supérieure à 2 log chez 8 patients pendant la phase de monothérapie par REP, une indétectabilité chez 9 patients à la fin du traitement, persistante 18 mois après l’arrêt du traitement chez 7 patients, et une négativation de l’Ag HBs chez 5 patients après l’arrêt du traitement (10).

La tolérance est marquée par la survenue d’un syndrome pseudogrippal, une hyperthermie, et parfois une leucopénie et une thrombopénie ; à des doses élevées, il a été observé également une anorexie, une alopécie, une dysphagie et une dysgueusie dont le lien avec le traitement étaient discutables. Enfin, des exacerbations non sévères ont été observées. Le développement d’une forme sous-cutanée est en cours.

Dans une étude de phase II analysant l’efficacité et la tolérance de l’IFN lambda aux doses de 120 et 180 microg/semaine, chez 14 patients traités par interféron lambda pendant un an, l’ARN VHD diminuait de 2,3 log avec 6 mois plus tard, une diminution de l’ARN VHD suffisante pour que la virémie soit non quantifiable) (11).

Sur le plan pratique, que peut-on faire actuellement ?

Le myrcludex ou bulevirtide sera disponible dans les prochaines semaines dans le cadre de protocole thérapeutique industriel MYR204 ou en autorisation temporaire d’utilisation (ATU) d’abord nominative (les premières demandes ont été adressées à l’Agence du Médicament) puis en ATU de cohorte, à priori, à partir de septembre 2019.

La commission d’évaluation initiale du rapport bénéfice-risque des produits de santé du 20 juin 2019 s’est prononcée en faveur de la demande d’Autorisation Temporaire d’utilisation de cohorte du bulévirtide chez les patients ayant une hépatite chronique D et présentant soit une cirrhose compensée ou une fibrose hépatique sévère (fibrose de grade 3 évaluée par biopsie hépatique ou Fibroscan), soit une fibrose hépatique de grade 2 (évaluée par biopsie hépatique ou Fibroscan) avec cytolyse hépatique persistante ( ALAT ≥ 2N depuis au moins 6 mois) à la dose de 2 mg, une fois par jour par injection sous-cutanée.
La Commission souhaite que la prise en charge thérapeutique des patients soit discutée de manière collégiale, si possible au sein d’une réunion de concertation pluridisciplinaire et insiste sur le fait que cette ATU ne doit pas limiter l’inclusion dans un essai clinique ce qui devra également faire l’objet d’une collégialité.

Avant de débuter le traitement, il faudra tenir compte de la nécessité d’un temps d’éducation thérapeutique du patient en raison de la voie injectable sous-cutanée du produit (une injection pour une posologie de 2 mg mais 2 si la posologie est supérieureIl sera possible d’y associer un traitement par interféron chez certains patients pour tenter d’améliorer l’efficacité thérapeutique tout en respectant les contre-indications représentées majoritairement par une intolérance à un traitement précédent par interféron, une cirrhose décompensée ou avec une thrombopénie inférieure à 90 000 plaquettes/mm3).

Enfin, en l’absence d’efficacité virologique, la décision d’une augmentation de la posologie du bulévirtide à 10 mg/j (en 2 injections) pourra être discutée au cas par cas et faire l’objet d’une demande d’autorisation

d’utilisation nominative.. La question pourra être soulevée en cas de diminution de l’ARN VHD de moins d’un log à la 12° semaine ou de moins de 2 log à la fin de la 24° semaine de traitement.
La durée du traitement n’est pas définie, en dehors d’un protocole thérapeutique, bien sûr. Le traitement est actuellement envisagé comme traitement virosuppresseur administré en monothérapie au long cours, ou comme traitement d’éradication en combinaison avec l’interféron.

En raison des nombreuses questions non résolues du traitement de la coinfection B-D par bulevirtide, l’agence Nationale pour la Recherche sur le Sida et les Hépatites Virales (ANRS), en collaboration avec l’Agence Nationale sur la Sécurité du Médicament (ANSM), a prévu d’analyser, dans un observatoire accolé à l’ATU (« BuleDelta »), l’efficacité virologique et la tolérance de ce traitement dans la vraie vie.
Si la définition actuelle de l’efficacité virologique au cours du traitement de l’hépatite D est une diminution d’au moins 2 log plus ou moins associée à une normalisation des ALAT à la 12° semaine de traitement (13), cet objectif à court terme est bien sûr insuffisant et l’observatoire sera poursuivi au moins 12 mois après l’arrêt du traitement afin de détecter des rechutes tardives.
Enfin, le traitement de l’hépatite D, s’il permet d’inhiber la réplication virale D, pourrait être à l’origine de réactivations virales B qu’il faudra dépister et prévenir par un traitement par analogues nucléosidiques ou nucléotidiques chez les patients qui ne reçoivent pas ce traitement. Il faut noter, cependant, que les patients qui seront traités dans le cadre de l’ATU de cohorte seront vraisemblablement traités par des analogues de nucléos(t)ides, en raison de lésions de fibrose sévères.

En conclusion, si l’hépatite D est l’infection virale chronique la moins fréquente, elle reste néanmoins la plus sévère. Son élimination pourra être réalisée seulement si le dépistage de l’hépatite B est généralisé, si le dépistage de l’hépatite D chez les patients avec une hépatite B chronique est systématique, et si des traitements permettant d’obtenir un contrôle virologique sont disponibles et accessibles.
Après des années d’interféron comme seul traitement, l’évolution thérapeutique est très attendue avec comme étape la plus proche dans le temps, l’accès au myrcludex bientôt dans le cadre d’un essai thérapeutique ou en ATU de cohorte prochainement. Il faut, comme à l’ère des traitements par anti-viraux directs de 1° génération de l‘hépatite C, améliorer nos connaissances sur l’efficacité et la tolérance de ce traitement dans la vraie vie pour optimiser la prise en charge des patients. L’observatoire de l’ATU mis en place par l’ANRS en collaboration avec l’AFEF est le seul moyen d’atteindre cet objectif.

Il est important que la communauté des hépatologues et infectiologues français y participe de façon soutenue, en incluant les patients directement dans la trentaine de centres investigateurs décrits dans la carte ci-dessous ou en collaboration avec l’un de ces centres en partageant le suivi et ces données afin de mettre en commun le maximum d’informations. L’analyse des données aidera tous les patients et tous les centres prenant en charge ce type de maladie Toutes les informations sont disponibles sur le site de l’ANRS.

Références

  1. Wranke A, Serrano BC, Heidrich B et al. Antiviral treatment and liver-related complications in hepatitis delta. Hepatology 2017; 65: 414-425).
  2. Chen HY, Shen DT, Ji DZ, et al. Prevalence end burden of hepatitis D virus infection in the global population: a systematic review and meta-analysis. Gut 2018)
  3. Rizzetto M. Hepatitis D virus: introduction and epidemiology. Cold Spring Harbor Perspect Med 2015: 5a021576)
  4. Wedemeyer H, Yurdaydin C, Dallkos GN et al. Peginterferon plus adefocvir versus either drug alone for hepatitis delta. N Engl J Med 2011; 364:322-331)
  5. Bogomolov P, Alexandrov A, Voronkova N, Macievich M, Kokina K, Petrachenkova M et al. Treatment of chronic hepatitis D with the entry inhibitor myrcludex B: first results of a phase Ib/IIa study. J Hepatol 2016; 65:490-98).
  6. Wedemeyer H, Bogomolov P, Blank A, Allweiss L, Dandri-Petersen M, Bremer B et al. Final results of a multicenter, open- label phase 2b clinical trial to assess safety and efficacy of Myrcludex B in combination with tenofovir in patients with chronic HBV/HDV coinfection. J Hepatol 2018; 68:S3.)
  7. Wedemeyer H, Schoneweis K, Bogomolv PO, Voronkova W, Chulanov V, Stepanova T et al. Final results of a multicenter, open-label phase 2 clinical trial (MYR203) to assess safety and efficacy of myrcludex with PEG-interféron alpha 2a in patients with chronic HBV/HDV coinfection. J Hepatol 2019; 70: e80.)
  8. Yurdaydin C, Keskin O, Kalkan C, Karakaya F, Caliskan A, Karatayli E et al. Optimizing lonafarnib treatment for the management of chronic delta hepatitis: the low HDV-1 study. Hepatology 2018; 67:1224-1236.)
  9. Yurdaydin C, Kalkan C, Karakaya F, Caliskan A, Karatayli E, Keskin O, et al. Subanalysis of the LOWR HDV-2 study reveals high response rates in patients with low viral load. J Hepatol 2018; 68: S89.
  10. Bazinet M, Pantea V, Cebotarescu V, Cojuhari L, Jimbei P, Albrecht J et al. Treatment of HBV/HDVco-infection with REP-2139 and pegylated intrefreon. Lancet Gastroenterol Hepatol 2017; 2:877-889.)
  11. Etzion O, Hamid SS, Lurie Y, Gane E, Bader W, Yardeni D et al. End of study from LIMT HDV study: 36 % durable virologic response at 24 weeks post-tretament with pegylated interferon lambda monotherapy in patients with chronic hepatitis delta virus infection. J Hepatol 2019:270;32:PS052.
  12. Retour sur la séance de la Commission d’évaluation initiale du rapport benefice/risque des produits de santé du 20 juin 2019. https://www.ansm.sante.fr/L-ANSM/Commissions-consultatives/Commission-d-evaluation-initiale-du-rapport- benefice-risque-des-produits-de-sante/(offset)/1
  13. Yurdaydin C, Abbas Z, Buti M, Cornberg M, Esteban R, Etzion O, et al. Treating chronic hepatitis delta: The need for surrogate markers of treatment efficacy. J Hepatol. Mai 2019;70(5):1008-15.