Les Éditos de l'AFEF

Monde d’Avant, Monde d’Après… Pensées Covidiennes

Par : Boursier Jérôme
Professeur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Centre Hospitalier Universitaire, Angers

Dans le Monde d’Avant c’était simple : quand on était malade on allait voir le Médecin, quand on voulait apprendre la Médecine on allait à la Fac, et quand on faisait la Recherche on croulait sous les procédures.

Puis le COVID-19 est passé par là. A l’occasion de cette pandémie, il nous a fallu redessiner, pour un temps, la prise en charge de nos patients avec pour objectif de limiter au maximum les interactions sociales sans que cela ne s’accompagne pour autant d’une diminution de chance pour les patients. Dans ce contexte, les propositions de l’AFEF nous ont été très utiles 1. Les patients les plus sévères (décompensation de cirrhose, cancer hépatique…) continuaient à être pris en charge à peu près « comme avant » mais avec les mesures barrière en plus, et les autres patients devaient patienter un peu comme leur nom l’indique. Cela revient-il à dire qu’il y a des patients « plus malades » et d’autres « un peu moins malades » ? Si on y réfléchit bien, on a toujours fait ça : c’est ce qu’on appelait les « urgences » et les « patients programmés ». Dans le Monde d’Avant, la difficulté était de trouver « une place » pour les urgences, le plus souvent ajoutée en surnombre à la fin d’une consultation déjà surchargée de patients programmés. Paradoxal… car les patients urgents devraient être gérés en priorité, comme nous l’avons fait pendant le confinement d’ailleurs. Parmi les patients « moins malades » qui pouvaient « patienter un peu », il y avait ceux qui devaient « patienter un peu moins » que les autres. Par exemple, l’échographie semestrielle de dépistage du carcinome hépatocellulaire chez les patients cirrhotiques pouvait être décalée de 1 à 2 mois, mais pas plus. Et puis, nécessité faisant loi, on a généralisé la « télémédecine » pour garder un certain contact avec les patients, tout en mettant le plus de barrière possible. Le terme télémédecine étant le plus souvent exagéré car il s’agissait d’un simple appel téléphonique. Il y avait donc les patients « un peu moins malades » mais qui ne pouvaient « pas trop patienter » et qui donc n’ont pas trop différé leurs examens paracliniques avec un suivi en télémédecine par téléphone. Une période vraiment compliquée…

En avons-nous terminé avec tout ceci maintenant que le déconfinement a eu lieu ? Non, car il faut continuer à respecter les gestes barrières afin d’éviter la résurgence de nouveaux foyers épidémiques. Arrive donc aujourd’hui une nouvelle problématique : reprendre l’activité pour prendre en charge les patients qui ont patienté, mais bien entendu sans possibilité de revenir au niveau d’activité étouffant du Monde d’Avant où seule la T2A faisait loi. Cette période transitoire va certainement durer plusieurs mois, et ce qui avait été imaginé comme temporaire pourrait devenir l’habitude. On en vient donc à la question que tout le monde se pose : Comment sera le Monde d’Après ? Va-t-on tout simplement revenir au Monde d’Avant, ou va-t-on se donner la chance d’inventer quelque chose d’un peu différent (et mieux si possible) ? La réponse ne sera pas donnée aujourd’hui car elle doit être imaginée et, au contact du terrain, nous devons être force de proposition. Un exemple : à force de faire le buzz sur la « maladie du foie gras » et compte tenu du nombre très important de patients (18% de la population générale adulte 2), on assiste à une flambée de demande de consultation spécialisées pour bilan de NAFLD que certains voudraient désormais appeler MAFLD 3. Avec le système actuel, une grande majorité des patients avec une hépatopathie dysmétabolique et/ou alcoolique référés au spécialiste n’ont pas de lésion hépatique significative et leur prise en charge consiste essentiellement en l’observance des règles hygiéno-diététiques 4. Ces résultats soulignent la nécessiter d’améliorer le parcours patient entre soins primaires/diabétologie et hépato-gastroentérologie. On pourrait imaginer la mise en place d’un bilan standardisé incluant un questionnaire AUDIT pour évaluer la consommation d’alcool, des sérologies des hépatites virales B et C (dépistage universel !), un coefficient de saturation de la transferrine (maladie génétique la plus fréquente en France), un bilan métabolique pour la NAFLD, et des tests non-invasifs de fibrose pour évaluer la sévérité de l’atteinte hépatique. L’ensemble des résultats serait transmis avec une interprétation au médecin qui déciderait alors si une prise en charge spécialisée est nécessaire. Une étude récente menée en Angleterre a montré que donner aux médecins généralistes un accès aux tests non-invasifs spécialisés permettait d’améliorer le dépistage de la fibrose avancée chez les patients NAFLD et de réduire le nombre de consultations « futiles » dans les centres spécialisés 5. Vous imaginez : les médecins généralistes anglais ont accès à des tests que les spécialistes français ne peuvent pas prescrire alors que notre pays est le berceau du diagnostic non-invasif hépatique… Voilà une piste de travail pour améliorer le Monde de Demain, et il y en a de nombreuses autres !

Tout ceci ne se mettra pas en place en un jour. Le confinement nous a montré qu’il était possible de travailler différemment : il ne faudra en garder que le meilleur, car bien entendu tout n’a pas été rose… Un travail mené dans la cohorte des vétérans américains a montré que le nombre d’hospitalisations de patients cirrhotiques a très significativement diminué durant la crise sanitaire COVID19 6. Une des explications avancées était la mise en place de règles très strictes d’hospitalisation par les autorités de santé, mais une autre était la réticence des patients à se rendre à l’hôpital où étaient concentrés les patients COVID avec pour corolaire une augmentation de la sévérité des patients hospitalisés. Il semble que le déconfinement se passe bien pour le moment, mais il est bien trop tôt pour tirer des conclusions. La 2ème vague sera peut-être celle des patients qui se sont aggravés faute de prise en charge adéquate durant cette période troublée. Soyons vigilants.

Quelques pensées également au sujet de l’enseignement et de la recherche, en écho aux premières lignes de cet édito. Les facultés sont fermées jusqu’à la fin de l’année universitaire et pour maintenir l’enseignement, on a appris à faire cours, tout seul, dans son bureau, devant un écran d’ordinateur qui nous renvoyait froidement notre propre image… une sorte de cours à soi-même en fait. Impossible de voir la mine déconfite de l’étudiant qui n’a pas tout compris et pour lequel on pouvait réexpliquer (ce qui profitait à beaucoup d’autres, d’ailleurs), plus de question pointue des étudiants du premier rang, plus de discussion informelle à la fin du cours avec ceux qui restaient un peu plus. La médecine s’apprend par compagnonnage. Si les cours en ligne venaient à se généraliser dans le Monde d’Après, il y a fort à parier qu’on en reviendra et cette vidéo l’illustre très bien (https://vimeo.com/57814889).
La recherche quant à elle n’est pas restée inactive : quand on fait une recherche PubMed avec le terme « COVID-19 », au 23 mai le moteur de recherche identifie le chiffre pharaonique de 15493 références. Seulement quelques mois après l’apparition du virus, on en est déjà rendu au niveau des méta-analyses pour décrire l’atteinte hépatique au cours de l’infection ! 7 Des essais thérapeutiques ont été montés en quelques semaines seulement alors que, dans le Monde d’Avant, il fallait jusqu’à un an de procédures administratives avant d’envisager les visites de mise en place. Il est donc possible d’alléger le processus tout en maintenant les prérequis d’éthique et un haut niveau de qualité. Dans le Monde d’Après, ce serait autant de temps et d’énergie qui pourraient être employés pour élaborer de nouveaux projets, de nouvelles collaborations. Au passage, l’AFEF a mis en place le Registre COVID et foie, pensez à y inclure vos patients.

La crise est loin d’être terminée, et il va falloir continuer à nous adapter. Gardons le meilleur de cette adaptation, et rendez-vous dans le Monde d’Après !

Références

  1. Ganne-Carrie N, Fontaine H, Dumortier J, et al. Suggestions for the care of patients with liver disease during the Coronavirus 2019 pandemic. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2020.
  2. Nabi O, Lacombe K, Boursier J, et al. Prevalence and Risk Factors of Nonalcoholic Fatty Liver Disease and Advanced Fibrosis in General Population: the French Nationwide NASH-CO Study. Gastroenterology 2020.
  3. Eslam M, Sanyal AJ, George J, et al. MAFLD: A Consensus-Driven Proposed Nomenclature for Metabolic Associated Fatty Liver Disease. Gastroenterology 2020;158:1999-2014 e1.
  4. Broussier T, Lannes A, Zuberbuhler F, et al. Simple blood fibrosis tests reduce unnecessary referrals for specialized evaluations of liver fibrosis in NAFLD and ALD patients. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2019.
  5. Srivastava A, Gailer R, Tanwar S, et al. Prospective evaluation of a primary care referral pathway for patients with non-alcoholic fatty liver disease. J Hepatol 2019;71:371-378.
  6. Mahmud N, Hubbard RA, Kaplan DE, et al. Declining Cirrhosis Hospitalizations in the Wake of the COVID-19 Pandemic: A National Cohort Study. Gastroenterology 2020.
  7. Parohan M, Yaghoubi S, Seraj A. Liver injury is associated with severe Coronavirus disease 2019 (COVID-19) infection: a systematic review and meta-analysis of retrospective studies. Hepatol Res 2020.