Les Éditos de l'AFEF

Octobre rose ou octobre noir ?

Par : Rémy André-Jean
Docteur - Service Expert de Lutte contre les Hépatites Virales, Centre Hospitalier de Perpignan

Quand il faudra faire le bilan de ce mois d’octobre 2020 dans les livres d’histoire (ou plutôt maintenant dans des sites web dédiés !), faudra t’il le colorer de rose, comme la campagne annuelle de dépistage du cancer du sein, ou de noir, comme celui des manifestations meurtrières de l’année 1961 ? Commençons par le noir pour ce mois d’octobre ou plutôt le rouge comme ces différentes nuances de rouge des villes ou départements en alerte sanitaire simple, renforcée ou maximale. Ensuite est venu le couvre-feu, imposé depuis le 17 octobre à 20 millions d’habitants de France métropolitaine au début des vacances scolaires de la Toussaint. La veille, l’assassinat d’un professeur de collège à Conflans Sainte Honorine s’ajoute à ce mois très noir…

Rose est aussi octobre 2020 comme les 87èmes Journées de l’AFEF, un des rares congrès nationaux d’hépatologie en présentiel de cette année 2020. Après une incertitude prolongée jusqu’à 36 heures avant le début officiel des sessions, le congrès annuel de notre société savante a eu lieu aux dates et à l’endroit prévus. Et ce fut une réussite ! Tout d’abord le lieu, le Beffroi de Montrouge, magnifique bâtiment art-déco, avec le retour tant attendu du congrès « à Paris ». La formule mixte du congrès, en présentiel ou en virtuel a séduit et rassuré. Les sessions scientifiques et la formation médicale continue étaient de très bon niveau, les participants nombreux et studieux. Bien sûr, il n’y avait pas, pour des raisons sanitaires, de pauses café ou de stands de l’industrie pharmaceutique mais le congrès a eu lieu et c’était ça le principal. Nous avons retrouvé ces si précieux échanges informels qui font la richesse d’une réunion « en vrai » et que webinars et autres visioconférences ne peuvent pas assurer. Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour les 89èmes Journées à Biarritz en 2021 !

La même semaine que ces Journées de l’AFEF a eu lieu l’annonce des lauréats 2020 du 111ème Prix Nobel de médecine (et de physiologie) qui a été attribué à Harvey J. HALTER, Michael HOUGHTON et Charles M. RICE pour leurs travaux sur l’hépatite C, ceci en pleine pandémie de COVID19. Nous attendions tous « ce prix Nobel Hépatite C », tant la prise en charge de cette pathologie a été révolutionnaire. Avec ce trio anglo-saxon, c’est l’histoire de l’identification du virus de l’hépatite C qui est mise à l’honneur. Un virus apparu dans les années 1970, qui se transmet par le sang, responsable de cirrhose et d’hépatocarcinome et qui provoque 400 000 décès environ chaque année dans le monde. L’américain Harvey J. ALTER, le premier lauréat, né en 1935, découvrait ce nouvel agent pathogène responsable d’une forme particulière d’hépatite virale chronique, qu’il appellera « hépatite non A, non B ». A la fin des années 80, l’anglais Michael HOUGHTON, né en 1949, utilisera une nouvelle approche de clonage moléculaire et parvient à identifier le génome complet du virus. Pour finir, en 2004, l’américain Charles M. RICE, né en 1952, percera les secrets de sa réplication virale qui aboutiront ensuite à l’émergence du premier agent antiviral direct, le sofosbuvir. Ce sont ces travaux combinés que l’Académie Suédoise du Prix Nobel récompense cette année pour chacun dans son rôle, à des années d’écart, qui ont apporté leur « contribution décisive à la découverte du virus de l’hépatite C ». Le Prix Nobel 2020 est le premier directement lié à un virus depuis celui de 2008, qui avait récompensé les découvreurs français du sida, François BARRE-SINOUSSI et Luc MONTAGNIER. Depuis un premier Prix Nobel (celui-là en Chimie) à deux virologues en 1946, ce Nobel vient s’ajouter aux 17 Prix Nobel directement ou indirectement liés à des travaux sur des virus. Grâce aux lauréats 2020, l’hépatite non A non B enseignée aux externes de ma génération, maladie chronique traitée par interféron 3 fois par semaine avec un taux de guérison de 16-20% et des effets indésirables (pas si secondaires que ça pour les patients) est devenue une pathologie traitée plus efficacement et plus rapidement que la tuberculose ! Nous avons découvert le concept de régression de la cirrhose, de guérison de maladie virale « chronique » et surtout le changement de vie de nos patients les plus anciens, étiquetés non répondeurs à l’interféron et guéris avec un traitement tout oral. Merci messieurs les prix Nobel !