Les Éditos de l'AFEF

Place du microbiote tissulaire dans le développement et la sévérité des complications hépatiques de l’obésité

Par : Gual Philippe
Docteur - INSERM U-1065-C3M, équipe 8 « complications hépatiques de l’obésité », Nice

Les bactéries intestinales qui nous colonisent seraient aussi, voire plus nombreuses que nos propres cellules [1]. En effet, près de 10 millions de gènes bactériens ont été identifiés à partir d’échantillons fécaux humains [2] et représentent des milliers d’espèces bactériennes dont la plupart ne sont actuellement pas encore identifiées. Ce microbiote intestinal contribue aux anomalies métaboliques et à la dysfonction du système immunitaire intestinal et pourrait promouvoir le développement des complications de l’obésité dont le diabète de type 2 et les stéatopathies métaboliques (NAFLD pour Non alcoholic Fatty Liver Diseases). La “dysbiose” intestinale, qui définit un déséquilibre dans la répartition des phyla bactériens, a été associé à l’obésité, au diabète de type 2 et aux NAFLD. Définir une signature bactérienne intestinale (entérotype bactérien) spécifique en fonction des atteintes hépatiques pourrait être un enjeu extrêmement intéressant et important dans la compréhension de la pathogenèse des NAFLD. Cependant, à ce jour, l’identification de groupes bactériens (appelés phyla) qui constitueraient une signature de la sévérité des NAFLD n’est pas encore bien établie. En effet, il existe une hétérogénéité inter-individuelle de la composition du microbiote et certains mêmes phyla sont aussi associés avec l’obésité et le diabète [3]. Il est aussi important de souligner que la plupart des études du microbiote chez l’homme concerne essentiellement les fèces, ce qui pourrait limiter la compréhension des mécanismes moléculaires responsables du développement des NAFLD. En effet, ce microbiote fécal n’est pas toujours représentatif de l’ensemble du microbiote intestinal. Les proportions relatives de chaque bactérie le long du tractus digestif peuvent varier en fonction du gradient d’oxygène, du pH, de la teneur en acides biliaires et des aliments ingérés.

La “dysbiose”, les modifications de l’inflammation (altération de la voie Th17…..) et structurale (diminution de la couche de mucus, des jonctions serrées……) de l’intestin, la diminution de la synthèse des facteurs antimicrobien et des IgA ont été associés, entre autres, à une diminution de l’intégrité de l’épithélium et une augmentation de la perméabilité intestinale [4]. L’enrichissement sanguin par des produits bactériens pourrait constituer un “pool” de Pathogen-associated molecular patterns (PAMPs), qui sont des importants régulateurs de l’inflammation. Par exemple l’enrichissement de lipopolysaccharides (LPS), constituants de la paroi des bactéries à Gram négatif (comme les protéobactéries) et les peptidoglycanes (composant de la paroi bactérienne, de plus grande taille chez les bactéries à Gram positif dont notamment les Bifidobacteriaceae et les Clostridiaceae) régulent l’inflammation via différents récepteurs (le toll-like receptor (TLR)-4 et le TLR2 ou les NLR (Nod-like receptor) 1 ou 2, respectivement) [5-7].

Des altérations du nombre et/ou de l’activité des cellules Natural Killer, Kupffer et T, l’augmentation des stress cellulaires (stress oxydatif et du réticulum endoplasmique), le profil altéré des adipokines pro-inflammatoires, une augmentation des DAMPs mais aussi des PAMPs mèneraient à une rupture de la tolérance hépatique physiologique aux antigènes du flux portal [8] et à l’évolution des complications hépatiques. L’identification des modifications quantitatives et qualitatives des débris bactériens tissulaires constituerait une avancée dans la compréhension de la physiopathologie des NAFLD. Il avait été récemment reporté la présence de fragments d’ADN bactériens circulants chez l’homme (évaluation chez plus de 3000 sujets) et certaines de ces séquences d’ADN pourraient être prédictives de l’apparition du diabète de type 2 [9] et d’autres associées à l’apparition d’événements cardiovasculaires [10]. Dans une étude récente publiée dans la revue Hepatology [11], les mêmes investigateurs ont récemment évalué le niveau du 16s rDNA circulant dans une cohorte observationnelle comprenant 50 patients espagnols et une cohorte de validation de 71 patients italiens. Tous les patients ont fait l’objet d’une biopsie hépatique. 11 patients (~15%) sur 71 présentés une fibrose (de F1 à F3) dans la première cohorte et 12 sur 38 (24%) sur la cohorte de validation. Les concentrations du 16 rDNA circulant étaient significativement plus élevées chez les patients avec une fibrose dans les deux cohortes. Le séquençage du 16 rDNA et l’analyse de la diversité bactérienne confirme la présence d’une “dysbiose” dans le sang. La recherche des taxons bactériens dans le sang et les fèces (44 sur 71 patients) indépendamment des complications hépatiques ont déjà permis de mettre en évidence une différence dans la composition du microbiote sanguin par rapport a celle trouvée dans les selles. Les phyla sanguins les plus représentés sont les Proteobacteria (87,9%) et Actinobacteria (7,3%) tandis que ceux des fèces sont les Firmicutes (56,8%) et Bacteroidetes (34,5% vs 3.7% de Firmicutes et 1.1% de Bacteroidetes dans le sang). Dans la cohorte d’étude, les auteurs ont aussi pu mettre en évidence que les proportions des phyla Actinobacteria (diminuées) et Proteobacteria (augmentées) varient avec la fibrose hépatique. Parmi ces phyla, les proportions des genres Sphingomonas, Bosea et Variovorax corrèlent avec la fibrose.

Bien que des validations sur des cohortes indépendantes soient nécessaires, une caractérisation précise de ce microbiote sanguin pourrait permettre une meilleure stratification de l’atteinte hépatique et l’identification de groupe de bactéries “good and bad guys” participant à l’évolution des NAFLD. Les nouvelles stratégies en développement qui ciblent le microbiote intestinale (pré-biotiques, pro-biotiques, alimentation riche en fibre, thérapie fécale (transfert de microbiote…) et/ou la restauration de l’intégrité de la défense intestinale (anti-inflammatoire locaux…) comme traitement des NAFLD, pourraient aussi impacter sur cette “dysbiose” tissulaire de l’hôte et participer à l’amélioration des atteintes hépatiques. De plus, les avancées dans l’étude et la caractérisation de ce microbiote tissulaire pourraient permettre un ciblage plus spécifique de certaines familles de bactéries. Ces différentes stratégies thérapeutiques pourront être transposées sur d’autres maladies chroniques du foie comme les maladies alcooliques du foie pour lesquelles l’axe intestin-foie joue aussi un rôle très important [12].

Références

[1] Sender R, Fuchs S, Milo R. Are We Really Vastly Outnumbered? Revisiting the Ratio of Bacterial to Host Cells in Humans. Cell 2016;164:337-340.
[2] Li J, Jia H, Cai X, Zhong H, Feng Q, Sunagawa S, et al. An integrated catalog of reference genes in the human gut microbiome. Nat Biotechnol 2014;32:834-841.
[3] Ley RE, Turnbaugh PJ, Klein S, Gordon JI. Microbial ecology: human gut microbes associated with obesity. Nature 2006;444:1022-1023.
[4] Bluemel S, Williams B, Knight R, Schnabl B. Precision medicine in alcoholic and nonalcoholic fatty liver disease via modulating the gut microbiota. Am J Physiol Gastrointest Liver Physiol 2016;311:G1018-G1036.
[5] Carneiro LA, Magalhaes JG, Tattoli I, Philpott DJ, Travassos LH. Nod-like proteins in inflammation and disease. J Pathol 2008;214:136-148.
[6] Kufer TA, Sansonetti PJ. Sensing of bacteria: NOD a lonely job. Curr Opin Microbiol 2007;10:62-69.
[7] Tran A, Gual P. Non-alcoholic steatohepatitis in morbidly obese patients. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2013;37:17-29.
[8] Valenti L, Fracanzani AL, Fargion S. The immunopathogenesis of alcoholic and nonalcoholic steatohepatitis: two triggers for one disease? Semin Immunopathol 2009;31:359-369.
[9] Amar J, Serino M, Lange C, Chabo C, Iacovoni J, Mondot S, et al. Involvement of tissue bacteria in the onset of diabetes in humans: evidence for a concept. Diabetologia 2011;54:3055-3061.
[10] Amar J, Lange C, Payros G, Garret C, Chabo C, Lantieri O, et al. Blood microbiota dysbiosis is associated with the onset of cardiovascular events in a large general population: the D.E.S.I.R. study. PLoS One 2013;8:e54461.
[11] Lelouvier B, Servant F, Paisse S, Brunet AC, Benyahya S, Serino M, et al. Changes in blood microbiota profiles associated with liver fibrosis in obese patients: A pilot analysis. Hepatology 2016;64:2015-2027.
[12] Louvet A, Mathurin P. Alcoholic liver disease: mechanisms of injury and targeted treatment. Nat Rev Gastroenterol Hepatol 2015;12:231-242.