Les Éditos de l'AFEF

Qui va-t-on greffer dans la prochaine décennie 2020 ?

Par : Dumortier Jérôme
Professeur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Hôpital Edouard Herriot, Lyon

Pendant des décennies, l’hépatite virale, et surtout l’hépatite C a régné sur l’activité de transplantation hépatique (TH) dans le monde. Tout le monde ? Non, un village gaulois ….. vous connaissez la suite, et on y reviendra. Au cours des 5 dernières années, et l’avènement des antiviraux modernes, le VHC a chu. Et très vite ! Plus vite que les modélisations l’avaient modélisé… Récemment, les données d’activité rapportées par le registre européen de TH, l’ELTR, ont été publiées 1 et amènent à se poser la question de l’avenir de la TH, en particulier en France.
Tout d’abord, il faut rappeler que la ressource est limitée, et sont réalisées environ 1300 TH en France chaque année depuis quelques années, sans grand espoir d’augmenter le nombre de greffons disponibles, même si le prélèvement de donneurs décédés d’arrêt circulatoire devrait apporter un surplus de greffons hépatiques.
Commençons par le roi déchu VHC. En Europe, il représentait presque 30% des indications en 2002, contre actuellement environ 10%. La mise à disposition des antiviraux modernes a conduit à la quasi disparition des indications pour cirrhose décompensée (l’éradication du virus conduisant régulièrement à une amélioration de la fonction hépatique lorsqu’elle n’est pas trop dégradée), et persistent essentiellement les indications pour carcinome hépato-cellulaire (CHC). La situation est identique en France (Agence de la Biomédecine) et va s’accentuer encore jusqu’à éradication de la maladie (qui sera (très) décalée dans le temps par rapport à l’éradication du virus…).
La nature ayant horreur du vide, le VHC a été « remplacé » par une indication émergente, la cirrhose dysmétabolique. En raison du lien étroit entre la maladie et l’épidémie mondiale d’obésité et de diabète, les USA ont été les premiers à observer ce changement de paysage. Ainsi la « NASH », raccourci fréquemment utilisé, est devenu la deuxième indication de TH aux USA en 2013 (le VHC régnant encore à l’époque), représentant environ 20% des malades 2. En Europe, cette indication a également rapidement émergé et atteint presque 10% des indications désormais (contre un peu plus de 1% en 2002), plus proche de 6% en France 3. Notons que l’analyse de ces données épidémiologiques doit tenir compte de l’existence de nombreux cas de cirrhose « mixte », la cirrhose dysmétabolique étant souvent incluse dans ces cas (en particulier avec la maladie alcoolique). Point important, dans l’indication de cirrhose dysmétabolique (par comparaison aux autres maladies du foie), les malades européens sont inscrits à un âge plus avancé (60 vs. 55) et plus souvent pour CHC (40% vs. 30%).

Last but not least, la maladie alcoolique du foie (qui change souvent de nom, mais c’est toujours la même maladie !!) est indéniablement l’indication la plus fréquente en France (depuis toujours ou presque, une cohorte de femmes quinquagénaires cholestatiques ayant fait les beaux jours des débuts de la greffe en France comme ailleurs), représentant plus de 40% des malades, et maintenant en Europe, et probablement aussi aux USA. Depuis bientôt 10 ans l’hépatite alcoolique aiguë réfractaire aux corticoïdes a enrichi la cohorte des malades inscrits dans cette indication mais de façon extrêmement minoritaire (<1%). Des résultats, en particulier à long terme, seront disponibles dès cette année dans cette indication particulière (PHRC QuicktransHAA en particulier).

Le décor étant planté, quels sont les enjeux pour l’avenir des équipes de TH ? Comme nous l’a douloureusement appris le VHC (et avant lui le VHB), une des problématiques majeures est celle de la récidive de la maladie initiale après la TH. Pour ce qui concerne la maladie du foie liée à l’alcool (voyez, j’y arrive), on admet qu’environ 20% des malades reprennent une consommation excessive, dont l’effet sur le greffon est dramatique, conduisant à la récidive de la cirrhose et au décès (comme je l’ai écrit récemment « fast and furious » 4). L’enjeu est de sélectionner mieux les malades, d’abord, et aussi de prévenir la récidive, même si peu de données convaincantes sont disponibles sur ce point précis (suivi addictologique, médicaments). Mais la situation est bien pire pour la « NASH », et même bien pire que le VHC autrefois, puisqu’on arrivait à l’éliminer parfois, non sans mal… En effet, le contexte dysmétabolique persiste, chez tous les malades ou presque, après la TH, et pourrait même s’aggraver à cause des traitements immunosuppresseurs (HTA, diabète, dyslipidémie sont leurs effets secondaires les plus fréquents avec la dysfonction rénale). Les données disponibles concernant la récidive après TH sont encore très partielles, mais déjà inquiétantes lorsqu’on analyse les cohortes dont le suivi repose sur une analyse histologique du greffon, avec jusqu’à 30% de fibrose sévère à 5 ans 5, 6. Au passage, s’ajoute le poids du dysmétabolique dans la morbidité et la mortalité extra-hépatiques dans cette indication, plus que les autres. Y a-t-il une solution ? Pour l’instant, en attendant le miracle pharmacologique tel qu’on l’a vécu pour le VHC, reste à faire maigrir nos candidats à la greffe ou nos greffés, et on connait la méthode (chirurgicale), la diététique n’ayant habituellement pas d’effet suffisant et/ou durable (Abraracourcix je pense à toi). Pourtant, pas plus d’une centaine de cas (américains) de chirurgie bariatrique en TH ont été rapportés jusqu’ici 3.

Pour finir, et puisque plus d’un tiers des malades sont greffés avec un CHC (c’est donc la complication des maladies chroniques du foie qui conduit à la TH le plus fréquemment), l’enjeu dans ce contexte reste indiscutablement une meilleure sélection des malades les moins à risque de récidive. La France y a brillamment participé, et il reste encore un peu de chemin à faire (raffinement de la place de l’AFP, imagerie métabolique, caractéristiques tumorales histologiques et moléculaires). Et pourquoi pas, verra-t-on émerger au sein des nouveaux traitements du CHC des traitements adjuvants efficaces (et tolérables).
En conclusion, notre quotidien de transplanteur hépatique devrait être très riche au cours de la prochaine décennie qui commence, à la fois dans le soin quotidien, mais aussi en recherche clinique. Mais tous les hépato-gastro-entérologues gaulois seront concernés !! Cervoise et sangliers, …par Toutatis !!.

Références

  1. Haldar D, Kern B, Hodson J, Armstrong MJ, Adam R, Berlakovich G, Fritz J, Feurstein B, Popp W, Karam V, Muiesan P, O’Grady J, Jamieson N, Wigmore SJ, Pirenne J, Malek-Hosseini SA, Hidalgo E, Tokat Y, Paul A, Pratschke J, Bartels M, Trunecka P, Settmacher U, Pinzani M, Duvoux C, Newsome PN, Schneeberger S. Outcomes of liver transplantation for non-alcoholic steatohepatitis: A European Liver Transplant Registry study. J Hepatol 2019;71:313-322.
  2. Wong RJ, Aguilar M, Cheung R, Perumpail RB, Harrison SA, Younossi ZM, Ahmed A. Nonalcoholic steatohepatitis is the second leading etiology of liver disease among adults awaiting liver transplantation in the United States. Gastroenterology 2015;148:547-55.
  3. Erard-Poinsot D, Villeret F, Dumortier J. La cirrhose dysmétabolique : le prochain défi pour les équipes de transplantation hépatique ?
  4. Erard-Poinsot D, Dharancy S, Hilleret MN, Faure S, Lamblin G, Chambon-Augoyard C, Donnadieu-Rigole H, Lassailly G, Boillot O, Ursic-Bedoya J, Guillaud O, Leroy V, Pageaux GP, Dumortier J. Natural History of recurrent alcohol-related cirrhosis after liver transplantation: Fast and Furious. Liver Transpl 2019.
  5. Bhati C, Idowu MO, Sanyal AJ, Rivera M, Driscoll C, Stravitz RT, Kohli DR, Matherly S, Puri P, Gilles H, Cotterell A, Levy M, Sterling RK, Luketic VA, Lee H, Sharma A, Siddiqui MS. Long-term Outcomes in patients undergoing liver transplantation for nonalcoholic steatohepatitis-related cirrhosis. Transplantation 2017;101:1867-1874.
  6. Vallin M, Guillaud O, Boillot O, Hervieu V, Scoazec JY, Dumortier J. Recurrent or de novo nonalcoholic fatty liver disease after liver transplantation: natural history based on liver biopsy analysis. Liver Transpl 2014;20:1064-71.