Les Éditos de l'AFEF

Transplantation hépatique chez des personnes migrantes ou quand social et médical se rencontrent au chevet du greffon

Par : Rémy André-Jean
Service Expert de Lutte contre les Hépatites Virales, Centre Hospitalier de Perpignan

Il n’existe aucune règle ou limitation sociale à l’attribution de greffons en France selon les règles communes éditées par l’Agence de Biomédecine (1). Une couverture sociale de base semble cependant indispensable pour la prise en charge des soins et peut toujours être obtenue en quelques mois pour des personnes migrantes arrivant sur le territoire national. La difficulté survient quand, même en cas d’acquisition de droits sociaux, les droits au séjour ne sont pas validés. Il appartient désormais aux seuls services du Ministère de l’Intérieur de régulariser ou non une personne migrante, y compris via leur service médical auquel est transmis depuis 2017 par la personne demandeuse le certificat médical selon la procédure suivante.

La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France modifie la procédure relative aux personnes étrangères malades sur le territoire français. Conformément aux préconisations d’une mission conjointe de l’inspection générale de l’administration et de l’inspection générale des affaires sociales, la loi confie depuis le 1er janvier 2017 le nouveau dispositif aux médecins de l’OFII (Office Français de l’Immigration et de l’Intégration), l’ancienne procédure était dévolue aux médecins des agences régionales de santé (ARS) et au médecin-chef de la préfecture de police de Paris. A la préfecture sont remis au patient demandeur, un certificat médical vierge à faire remplir par son médecin habituel (et non plus uniquement un médecin agréé ou un praticien hospitalier), une notice qui explique la procédure et une enveloppe « SECRET MÉDICAL » comportant l’adresse du service médical de l’OFII. Aucune information médicale ni aucun certificat médical ne doivent être communiqués ou remis en préfecture (Article L. 1110-4 du Code de la santé publique). Le patient demandeur doit donc se rendre au cabinet du médecin qui le suit habituellement ou à l’hôpital pour faire remplir le certificat médical. Ce certificat médical doit fournir au médecin de l’OFII les informations les plus complètes possible. Depuis le 1er mars 2019, le certificat médical est envoyé à l’OFII dans un délai d’un mois. Le médecin de l’OFII qui examine le dossier peut, dans le respect du secret médical, demander des informations médicales complémentaires auprès du médecin qui a établi le certificat médical. Ces compléments d’informations, demandés par le médecin de l’OFII, doivent lui parvenir dans un délai de quinze jours à compter de la date de la demande. Le médecin de l’OFII peut convoquer le patient pour un examen médical s’il le juge nécessaire ; cet examen médical est à la charge de l’OFII. A défaut de répondre aux demandes du médecin de l’OFII, le récépissé prévu à l’article R. 311-4 n’est pas délivré par la préfecture et le patient voit sa demande rejetée. Le rapport médical est transmis à un collège de médecins de l’OFII qui, après délibération, rend son avis au préfet du lieu de résidence. Le collège de médecins de l’OFII peut demander à entendre le patient et à faire procéder à des examens complémentaires, en présence, le cas échéant, d’un médecin de son choix et d’un interprète. Le patient est informé que lorsqu’il ne se présente pas à la convocation du médecin de l’office ou du collège de médecins de l’office, ne justifie pas de son identité, ou ne produit pas les examens complémentaires demandés, le préfet en est informé directement. La décision concernant la demande de titre de séjour est prise, après cet avis, par le préfet et notifiée par la Préfecture et non par l’OFII. Ces démarches administratives sont chronophages et peuvent de fait, retarder la prise en charge d’un patient nécessitant une transplantation hépatique. Elles imposent aussi aux patients n’habitant dans une ville siège d’une antenne de l’OFII, essentiellement les capitales régionales, des déplacements longs et épuisants. Pour ces personnes migrantes, il n’y a pas de contre-indication sociale mais des barrières administratives qui découragent patients et soignants.

Dans un autre grand pays industrialisé se pose également la question du nomadisme médical et de l’immigration pour raisons de santé qui permettrait à des patients d’accéder à des prises en charge non disponibles dans leur pays d’origine et par là même, dans la représentation populaire (populiste ?) de consommer des ressources médicales à la place de la population d’origine. Dans un article d’HEPATOLOGY (3), Lee et Terrault, de l’Université de San Francisco, rapportent l’état de la transplantation hépatique chez les migrants illégaux aux Etats-Unis de 2012 à 2018, soit durant le 2ème mandat présidentiel de Barack OBAMA et la 1ère moitié de celui de Donald TRUMP. Première donnée essentielle : les migrants illégaux qui sont 11 millions (3% de la population totale) représentent 0.4% des receveurs mais… 3% des donneurs, soit un apport positif « illégal » de 2.6% des greffons ! La législation fédérale permettant la transplantation hépatique chez ces migrants illégaux, les auteurs ont voulu en étudier les caractéristiques et la répartition géographique. Sans surprise, 47% de ces greffes sont faites en Californie et 18% dans l’état de New York, où la proportion de migrants est plus importante et la législation plus libérale. Il y avait quand même une surreprésentation des greffés migrants illégaux en Californie (+20%) à comparer avec la sous-représentation au Texas (-12%), les 2 états étant pourtant tout autant frontaliers du Mexique. Le Mexique, premier pays d’origine de ces migrants greffés (52%), devant le Guatemala (7%), la Chine (6%), le Salvador (5%) et l’Inde (5%). Les caractéristiques cliniques de ce sous groupe de patients greffés par rapport à la population globale des transplantés hépatique étaient les suivantes : plus jeunes, ayant un IMC moindre, plus souvent d’ethnie hispanique et asiatique (évidemment), de niveau éducatif plus élevé mais plus souvent pris en charge par MEDICAID, un score de MELD plus élevé (29 versus 21), une indication plus fréquente de greffe pour hépatite B, moins souvent pour hépatite C ou hépatocarcinome et un temps d’attente inférieur (56 jours versus 108). Le taux de rejet du greffon et la survie étaient identiques par rapport à la population de référence.

L’union Européenne (UE) comptait pour sa part parmi ses habitants 2.2 millions de migrants illégaux en 2015 (4). Sur les 512,4 millions de personnes vivant dans l’UE au 1er janvier 2018, 22,3 millions (4,4 %) étaient des ressortissants de pays tiers, dont 2.4 millions avaient immigré en 2017 (5). A ma connaissance et après une recherche PubMed (11-09-2019) et sur les sites de l’Agence de Biomédecine et d’Eurotransplant, il n’existe aucune étude publiée sur le même sujet en Europe. La publication de données basiques sur le % de donneurs et de receveurs issus de l’immigration illégale permettrait de tordre le cou à des idées reçues.

Références

  1. https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/regles_repartition_organes_decembre2013.pdf
  2. Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France
  3. Liver Transplantation in Unauthorized Immigrants in the United States. Brian P. Lee, Norah A. Terrault. Hepatology 2019, Sep 5. doi: 10.1002/hep.30926.
  4. European Commission. Progress report on the Implementation of the European Agenda on Migration.
  5. https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Archive:Statistiques_sur_la_migration_et_la_population_migrante