Les Éditos de l'AFEF

Transplantation hépatique : des solutions existent pour répondre à la pénurie de greffons

Par : Vibert Eric
Professeur - Centre Hépato-Biliaire, Hôpital Paul Brousse, Paris

La transplantation hépatique est un traitement essentiel des maladies du foie à un stade avancé ainsi que des cancers localisés au foie. L’Agence de Biomédecine (ABM) qui a en charge l’allocation des greffons hépatiques nous alerte, par la voix du Pr Olivier Bastien sur une diminution des dons d’organes dans un article du « Le Monde » du 2 Octobre 2018 alors qu’il n’existe pas d’augmentation du taux de refus au prélèvement en France.

L’aggravation de la pénurie d’organes est liée à deux progrès heureux : la diminution du nombre d’accidents de la route et les innovations dans la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux qui ont pour conséquences une diminution du nombre et une augmentation de l’âge des patients en mort cérébrale susceptibles d’être donneurs d’organes. Devant cette pénurie d’organes, nous, sommes conduits à greffer des organes de moins bonne qualité ou provenant de donneurs de plus en plus âgés.

Depuis 2014, le prélèvement d’organes chez des donneurs après arrêt cardio-circulatoire en situation programmée est autorisé en France. Cette modalité dite « Maastricht 3 » consiste à prélever des organes (foie, reins et poumons) chez des personnes en réanimation pour lesquelles un arrêt des soins est acté par la famille et le corps médical. L’ABM a mis en place un protocole pour encadrer rigoureusement cette pratique. Cette modalité de prélèvement concerne plus de 50% des cas des greffons hépatiques en Angleterre ou aux Pays-Bas, mais seulement 5% des transplantations hépatiques en France en 2018. Cette technique qui demande un investissement important des équipes de réanimation n’a permis de réaliser que 50 transplantations hépatiques en 2017 sur un total de 1372. En 2018, les chiffres sont similaires.

Même s’il faut évidemment continuer à encourager nos collègues réanimateurs et augmenter le nombre de centres où le prélèvement « Maastricht 3 » est autorisé en France, il est nécessaire d’évaluer d’autres pistes. Il faut apporter une réponse chirurgicale innovante aux circonstances qui ont fait diminuer le don d’organes. Ces solutions existent, on les connait, c’est la transplantation de foies partiels et l’utilisation des machines de perfusions.

La transplantation de foies partiels permet de greffer 2 personnes avec un seul organe séparé en 2 parties ou de transplanter un malade avec un hémi-foie issu d’un don du vivant. C’est la modalité de transplantation hépatique principale en Asie alors qu’elle représente moins de 5% des cas en Europe. Si le risque que représentait le prélèvement de foie chez un donneur il y a 10 ans pouvait expliquer les réticences de l’ABM à promouvoir cette solution, la situation actuelle impose de reconsidérer cette attitude. Aujourd’hui le don du vivant, en particulier de la partie gauche du foie, peut s’effectuer par voie mini-invasive (coelioscopie) avec des suites opératoires moins lourdes que le prélèvement par voie ouverte qui était la règle jusqu’à présent. Aujourd’hui, nous avons amélioré nos techniques chirurgicales et appris à mieux sélectionner les donneurs. Les greffons hépatiques issus d’un partage de foie issu d’un donneur décédé ou d’un don vivant ne doivent plus être anecdotiques en France.

L’autre réponse à la pénurie d’organes est l’utilisation de machines de perfusion qui permettent de sélectionner les organes prélevés avant de les transplanter. Ce sont des machines sur lesquelles on perfuse un greffon avec du sang oxygéné afin d’évaluer son fonctionnement. Pendant 8 heures de perfusion, ces machines permettent d’évaluer la fonction de foies dits « limites », en particulier des foies « gras » dits stéatosiques. Cette période permet aussi de sélectionner le receveur ayant le morphotype et l’âge le plus adapté. Ces machines diminuent de moitié le nombre de greffons considérés comme non utilisables et non greffés, comme rapporté en 2018 dans la revue Nature. Le financement de ces machines est actuellement le seul facteur limitant mais le nombre de transplantation qu’elles peuvent apporter en plus justifie une politique volontariste en France à l’instar de celle menée par d’autres pays européens.

L’Agence de Biomédecine a répondu à la pénurie de greffons avec la promotion du « Maastricht 3 » auprès des réanimateurs. Les résultats récents des transplantations hépatiques adultes à partir d’un hémi-foie issu d’un don du vivant, et la possibilité d’augmenter le nombre de greffons hépatiques transplantés par l’utilisation de machines de perfusion, devraient conduire l’Agence de la Biomédecine à encourager et financer ces solutions. L’énergie que nous déployons pour proposer des solutions à nos malades repose sur le rapport singulier qui existe entre l’équipe soignante et ses patients en attente d’une greffe hépatique. Utilisons cette énergie ! En 2017, 170 personnes sont décédées sur la liste d’attente de transplantation hépatique.