Les Éditos de l'AFEF

Vers le traitement des «vrais immunotolérants » pour mieux prévenir l’émergence du carcinome hépatocellulaire (CHC) chez les (jeunes) patients infectées de manière chronique par le VHB ? 

Par : Durantel David
Directeur de Recherche au Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon (INSERM U1052)

Ce commentaire fait suite à la publication récente, dans le Journal « Gut » par Kim GA et collègues, d’une étude démontrant le risque augmenté de CHC chez les patients VHB positifs dit « immunotolérants » (http://gut.bmj.com/content/early/2017/11/09/gutjnl-2017-314904) , et fait écho au commentaire fait sur cet article le même journal (http://gut.bmj.com/content/early/2017/12/01/gutjnl-2017-315528).

Dans les recommandations internationales faites par les plus grandes sociétés savantes soutenant la recherche sur les maladies hépatiques (AASLD, EASL, APASL…), il n’est pas recommandé de traiter par analogues de nucléos(t)ides (ou Peg-IFNa) les patients ayant une infection chronique par VHB, mais pas d’évidence d’hépatite chronique histologiquement ou sérologiquement prouvé c’est à dire les patients « immunotolérants » (IT). Pour exemple, l’algorithme de l’EASL pour une recommandation de démarrage de traitement est le suivant 1 :

Si cette recommandation peut s’expliquer du point de vue d’un Hépatologue, pour qui la maladie hépatique est prioritairement à prendre en considération, du point de vue d’un Virologiste cette recommandation est beaucoup plus difficile à comprendre car elle permet au virus d’être potentiellement transmissible à d’autres individus et semble condamner à l’échec toute contribution à l’éradication virale par le biais du traitement, bien sûr combiné à la prophylaxie au niveau populationnel. Il faut bien le dire, la non-prise en charge des infections chroniques par le VHB, en l’absence d’atteinte hépatique, est en définitive une sorte de non-sens d’un point de vue virologique, surtout qu’il existe maintenant des médicaments (e.g. entécavir, ténofovir alafénamide), dont le profil de toxicité est excellent, qui pourraient être prescrits dès que le diagnostic d’une infection chronique est posé.

Ce qui ferait peut être évoluer ces recommandations, ce pourrait être la démonstration que, chez les patients IT, une forte réplication du virus non contrôlée pendant plusieurs années, et sans dégâts hépatiques apparents, est en fait associé à une « impression » (« imprinting ») pathologique sous-jacente qui pourrait augmenter à long-terme le risque hépatique, voir l’émergence du carcinome hépatocellulaire (CHC). Dans le reste de ce commentaire, je vais présenter les évidences qui tendent à montrer que cet « imprinting pathologique » est sans doute à l’œuvre chez les IT…

Tout d’abord il est nécessaire de définir ce qu’est un « immunotolérants »1. Il s’agit souvent d’une personne infectée à la naissance, ou peu après, qui présente des taux de réplication très élevé (virémie >>> 20 000 IU/mL, en fait plutôt > 200 000 IU/mL), qui est positif pour l’antigène HBe (AgHBe (+)), et chez qui le taux ALT est trouvé normal (ou à peine légèrement supérieur à la norme, mais < à 2N) de manière persistante. L’immunotolérance (IT) à l’égard du VHB peut aussi se rencontrer chez des personnes qui ont été infectées plus tardivement, mais dans ce cas la durée de cette période est plus courte que dans le cas des personnes infectées en périnatal, chez qui cette phase peut durer des décennies. Cette phase précoce de l’histoire naturelle de la maladie est suivie par une phase dite « immuno-active » où le taux d’ALT est perturbé et la virémie a tendance à fluctuer ou/et à diminuer progressivement, avec toujours une antigénemie AgHBe (+) ; c’est la phase d’hépatite chronique active (HCA). L’augmentation des ALT serait due à une activité immunologique retrouvé contre le virus et à une lyse hépatocytaire 1.

Cependant des études récentes ont montré que la phase d’IT ne se distingue pas de la phase HCA d’un point de vue des réponses lymphocytaires T-CD8 HBV-spécifique 2 et que la mesure des taux d’ALT est une marqueur plutôt médiocre de cette activité immunologique, et notamment de sa puissante et de sa spécificité3. De plus, le dogme selon lequel les événements conduisant à des lésions hépatiques significatives ne pouvaient se produire que pendant la phase d’HCA, est partiellement tombé avec la démonstration que des évènements d’intégration du VHB dans le génome cellulaire et une expansion clonale d’hépatocytes pouvaient se produire de manière très précoce au stade de l’IT4. Sachant que le VHB cause des mutations insertionnelles pouvant être à l’origine des CHC5, la démonstration de la précocité de ces évènements d’insertion du génome viral dans l’histoire naturelle de l’infection chronique, qui se fait indépendamment de l’hépatite chronique, est un élément majeur pour dire que la phase IT n’est pas dépourvu d’aspects pathologiques et plaide déjà en faveur d’une prise en charge thérapeutique précoce.

Mais le travail de Kim GA et collègues publiée très récemment dans le journal Gut6, permet de renforcer ce point de manière très significative. Dans ce travail, l’objectif principal était de mesurer le risque de CHC chez des patients (n= 413) en phase d’IT suivie pendant 10 années. L ‘étude montre que les patients IT peuvent développer un CHC dans 12% des cas pendant cette période et montre que ce risque de développer un CHC est supérieur à celui d’un patient en HCA (seulement 6% en 10 ans). De manière intéressante, le niveau de virémie est trouvé plus significativement associé à ce risque augmenté que les niveaux d’ALT, confirmant que ce marqueur, pourtant utilisé pour distinguer les IT des HTA, est loin d’être idéal, et confirmant les études faites sur de très grandes cohortes (notamment REACH7). Par conséquent, le traitement des patients IT par des analogues de nucléos(t)ides (ANs) pourrait permettre de limiter ce risque, et c’est bien ce qui a été montré dans une autre cohorte de patients Taiwanais par Chang et collègues8.

Cependant l’étude de Kim GA et collègues soulève de nombreuses questions. En effet en y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit que dans la catégorie des patients définis comme IT, ce sont ceux qui ont la virémie la plus basse et une taux d’ALT légèrement supérieur à la normale (bien que <2N) qui ont le plus de risque de développer un CHC, suggérant ainsi que chez les patients IT, de légères perturbations baissières de la virémie associées à une très légère augmentation des ALT (même si < à 2N) pourraient être un signe d’appel d’une progression de la maladie « sous le radar », et pourquoi pas un signal pour commencer un traitement. Ce qui pourrait expliquer l’observation selon laquelle les patients avec une virémie juste au-dessus de 20 000 IU/mL et un taux d’ALT légèrement supérieur à la norme sont ceux avec le facteur de risque de CHC le plus élevé au sein des IT, c’est peut-être une activité anti-HBV résiduelle des lymphocytes T-CD89, finalement associé à une « fatigue » (exhaustion) de ces derniers moins prononcé chez les IT que chez des patients plus avancés dans l’histoire naturelle. Ainsi la lyse hépatocytaire résiduelle chez les IT, expliquant la très faible élévation des ALT, pourrait être due à une action spécifique des LT, alors que plus tard dans la maladie le taux élevé des ALT viendrait d’une action moins spécifique, plus chaotique, expliquant in fine que le taux d’ALT est moins préditif du développement du CHC que ne peut l’être la virémie élevé.

Donc une des complexités de cette étude c’est qu’elle définit au final plusieurs sous catégories de patients IT. Les « vrai IT » et ceux qui sont en transit vers la phase HCA, même si cette évolution peut prendre des années. Ce qu’il manque finalement c’est une capacité de détecter ces patients au sein des IT qui seraient plus à risque de développer un CHC. C’est pourquoi dans cette étude, il manque des données sur les autres marqueurs virologiques que sont le taux d’AgHBs, ou encore le taux AgHBcr (AgHBcr = l’ensemble des capsides enveloppées, contenant ou pas d’acide nucléique viral, sécrétées)10, ou enfin le taux des ARN viraux circulants11. En effet la quantification et l’étude de l’évolution de ces différents marqueurs virologiques, dont l’importance commence à être montrée dans le contexte des traitements11, pourraient permettre aussi de mieux identifier les IT qu’ils seraient utile de traiter, car à l’évidence la virémie et le dosage des ALT ne sont pas suffisants.

Deux options seraient envisageables quant à la prévention du CHC chez les IT par un traitement avec des ANs. Si c’est l’hypothèse immunologique, c’est à dire celle d’une activité minimale, mais suffisante, de lyse hépatocytaire liée à de la microinflammation (non détectable) qui domine pour expliquer le développement du CHC chez les IT, alors un traitement avec des ANs vers l’âge de 30 ans, qui correspond à l’âge où incidence du CHC commence à augmenter, pourrait être suffisant pour réduire le risque. Si c’est l’hypothèse de l’accumulation des évènements virologiques très précoces en phase de forte réplication (ex : insertion du génome viral4, pouvoir oncogénique direct de protéines virales selon le génotype5 ) qui domine pour expliquer le développement du CHC chez les IT, alors il faudrait peut-être traiter tous les patients par ANs à partir du moment où ils sont diagnostiqués. Mais en attendant de nouvelles études qui viendront confirmer (ou infirmer) les résultats déjà obtenus et discutés ici, et qui permettront peut-être de modifier les recommandations quant au traitement des IT, il faut dans tous les cas garder à l’esprit que le risque de CHC chez les IT n’est pas nul et que le VHB est un « vrai oncovirus »!

Références

  1. Lampertico, P. et al. EASL 2017 Clinical Practice Guidelines on the management of hepatitis B virus infection. Journal of hepatology 67, 370-398, doi:10.1016/j.jhep.2017.03.021.
  2. Kennedy, P. T. F. et al. Preserved T-cell function in children and young adults with immune-tolerant chronic hepatitis B. Gastroenterology 143, 637-645, doi:10.1053/j.gastro.2012.06.009 (2012).
  3. Bertoletti, A. & Kennedy, P. T. The immune tolerant phase of chronic HBV infection: new perspectives on an old concept. Cellular & molecular immunology 12, 258-263, doi:10.1038/cmi.2014.79 (2015).
  4. Mason, W. S. et al. HBV DNA Integration and Clonal Hepatocyte Expansion in Chronic Hepatitis B Patients Considered Immune Tolerant. Gastroenterology 151, 986-998 e984, doi:10.1053/j.gastro.2016.07.012 (2016).
  5. Levrero, M. & Zucman-Rossi, J. Mechanisms of HBV-induced hepatocellular carcinoma. Journal of hepatology 64, S84-S101, doi:10.1016/j.jhep.2016.02.021 (2016).
  6. Kim, G. A. et al. High risk of hepatocellular carcinoma and death in patients with immune-tolerant-phase chronic hepatitis B. Gut, doi:10.1136/gutjnl-2017-314904 (2017).
  7. Yang, H. I. et al. Risk estimation for hepatocellular carcinoma in chronic hepatitis B (REACH-B): development and validation of a predictive score. The Lancet. Oncology 12, 568-574, doi:10.1016/S1470-2045(11)70077-8 (2011).
  8. Chang, Y. et al. Nucleos(t)ide Analogue Treatment for Adult Patients with HBeAg-positive Chronic Infection with Genotype C Hepatitis B Virus: A Nationwide Real-life Study. The Journal of infectious diseases, doi:10.1093/infdis/jix506 (2017).
  9. Webster, G. J. et al. Longitudinal analysis of CD8+ T cells specific for structural and nonstructural hepatitis B virus proteins in patients with chronic hepatitis B: implications for immunotherapy. Journal of virology 78, 5707-5719, doi:10.1128/JVI.78.11.5707-5719.2004 (2004).
  10. Bertoletti, A., Kennedy, P. T. F. & Durantel, D. HBV infection and HCC: the ‘dangerous liaisons’. Gut, doi:10.1136/gutjnl-2017-315528 (2017).
  11. van Bommel, F. et al. Serum hepatitis B virus RNA levels as an early predictor of hepatitis B envelope antigen seroconversion during treatment with polymerase inhibitors. Hepatology 61, 66-76, doi:10.1002/hep.27381 (2015).