Les Éditos de l'AFEF

Femmes et foie : La femme est-elle l’avenir de l’homme ?

Par : Bourlière Marc
Docteur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Hôpital Saint Joseph, Marseille

La plupart d’entre vous vont se demander pourquoi cet éditorial. Quelle mouche a piqué le président pour que brutalement le sort de nos moitiés attire son attention. Est-ce l’influence de Brigitte sa femme, de Nathalie la secrétaire générale ou simplement une prise de conscience tardive ?

La condition des femmes a été mise à l’épreuve par la pandémie que nous connaissons depuis 2 ans. Elles ont été sur tous les fronts mais ont été paradoxalement peu présentes dans le débat public. Leur rôle dans la gestion de la pandémie a été essentiel notamment dans les soins et les pays dirigés par les femmes (Nouvelle Zélande, Islande, Danemark, Finlande, Taiwan et Allemagne) ont accompli des résultats meilleurs dans la gestion de la pandémie. Le mouvement MeToo qui a libéré la parole des femmes, les règles de parité, qui sont vertueuses et qui s’appliquent avec plus ou moins de célérité dans beaucoup de pays, constituent une avancée dans le long combat pour l’égalité des sexes. Cependant, à contrario, le nombre de féminicides a bondi pendant le confinement et dans un certain nombre de pays sous la dépendance de régimes politiques ou religieux régressifs les droits des femmes acquis sont remis en question voire reculent comme en Turquie, aux Etats Unis ou en Pologne. Quelques chiffres mettent en perspective la situation des femmes : une femme sur trois est victime de violence dans le monde, une femme décède tous les 2 jours et demi sous les coups le plus souvent de son conjoint en France, 720 millions de femmes vivantes dans le monde ont été mariées précocement, 12 millions par an. 200 millions de femmes vivantes dans le monde ont été victimes de l’excision. Outre leur poids moral et sociétal, ces violences ont un coût important estimé en France à 3,6 milliards d’euros par an en aides sociales, en soins et en perte de capacité de production.

Les maladies du foie chez les femmes

Dans notre spécialité, certaines situations ont des spécificités chez les femmes dont nous mesurons sans doute mal les conséquences et que nous devons aborder avec une approche plus spécifique.
Dans toute les cultures, les femmes consomment moins souvent d’alcool et en quantité moindre que les hommes. Cette différence est plus marquée pour les consommations à risque et pour le « binge drinking ». Cependant notamment en Europe, cette différence semblent se réduire depuis quelques années notamment chez les jeunes et les adolescents et elle est moins importante dans les niveaux socio–économiques plus élevés (1).

Le mésusage d’alcool a augmenté avec le confinement lié à la pandémie. Les femmes sont de plus en plus concernées par les pathologies liées au mésusage de l’alcool et développent des maladies plus sévères pour un niveau d’exposition moindre que les hommes. Une méta analyse sur plus de 2 millions de patients montre que le risque de développer une cirrhose est toujours plus important chez la femme pour tous les niveaux de consommation d’alcool (2). Une étude américaine comparant les atteintes hépatiques liées au mésusage d’alcool en fonction de l’âge montre que les patients jeunes (<35 ans) admis pour une maladie hépatique liée au mésusage d’alcool avec ACLF étaient plus souvent des femmes, hispaniques et obèses (3). Une étude rétrospective sur 3 bases de données étasuniennes montre que l’hospitalisation pour cirrhose alcoolique a augmenté de 20% entre 2007 et 2014 avec une augmentation de 33,5% chez les femmes et de 14% chez les hommes (4). Le mode de consommation d’alcool peut rendre les femmes plus vulnérables. Une étude anglaise a montré que la consommation d’alcool en dehors des repas chez la femme était associée avec une incidence de cirrhose deux fois plus élevée (5). Par ailleurs une étude chez les patients avec une hépatite alcoolique aigue, sans cirrhose prouvée histologiquement, avec un suivi moyen de 1,7 ans, montre que les femmes abstinentes peuvent développer une cirrhose dans un délai de 1 à 2 ans alors que cela n’a pas été observé chez les hommes suggérant que les femmes peuvent garder un risque de maladie hépatique malgré l’abstinence en comparaison aux hommes (6). Pour les comorbidités, certaines comme l’obésité (22% des femmes en France) (7) semblent rendre les femmes plus susceptibles au développement d’hépatite alcoolique aigue (8). La chirurgie bariatrique concerne souvent les femmes et s’accompagne dans 20 à 50% des cas d’abus émotionnel, physique ou sexuel dans l’enfance (9) (10) (7). Après chirurgie bariatrique, le mésusage d’alcool semble augmenter passant de 5% à 28% (11). L’augmentation globale de la prévalence de l’obésité et l’augmentation de la chirurgie bariatrique chez les femmes peuvent contribuer à une augmentation des femmes avec des maladies hépatiques liées au mésusage d’alcool.

L’impact de la consommation d’alcool sur la morbidité et la mortalité est plus élevé chez les femmes. Cette toxicité accrue, bien connue est en partie expliquée par une activité alcool deshydrogénase gastrique moins importante, par un volume de distribution plus faible et par un impact hormonal possible chez les femmes (12) (13) (14).

Les femmes ont cependant un accès restreint aux traitements des maladies hépatiques liées aux mésusages d’alcool et sont sous représentées dans la littérature sur les interventions comportementales ou pharmacologiques contre l’addiction à l’alcool, alors que les données de la littérature montrent que le bénéfice de ces interventions est équivalent quel que soit le sexe. Une étude américaine montre que pour les femmes l’accessibilité et la disponibilité des programmes de sevrage sont les barrières majeures au soin. Cette même étude montre que les femmes avec mésusage d’alcool ont plus fréquemment que les hommes des antécédents de violences physiques ou sexuelles (15). Il est donc important de développer des programmes d’intervention dédiés aux femmes afin de tenter de réduire les barrières d’accès au soin (14).

Le traitement des hépatites virales chroniques B et C est aussi un domaine où persistent des inégalités entre homme et femme alors que l’efficacité des traitements est indépendante du genre. Dans un travail canadien conduit à Toronto en médecine générale les hommes éligibles au traitement VHC avaient 1,6 fois plus de chance d’être traités que les femmes (16). Dans la population des patients injecteurs de drogue, une méta analyse montre que les femmes sont plus souvent dépistées que les hommes (17), mais aussi que les femmes sont moins souvent traitées que les hommes (18) y compris chez les patients engagés dans les traitements de substitution (19). Les études sur les facteurs conduisant à ces inégalités à l’ère des interférons suggèrent que l’évolution de la fibrose plus lente du fait de l’effet protecteur des oestrogènes et le risque de tératogénicité de la ribavirine expliquent en partie cette inégalité d’accès aux soins. Une discrimination et une stigmatisation plus importante associées à une faible connaissance de la maladie et une prévalence plus élevée de dépression sont les autres facteurs individuels retrouvés. Il existe aussi des barrières structurelles à l’accès aux soins liés à l’absence de réponse des souhaits des femmes avec par exemple des centres discrets, spécifiques pouvant accueillir les enfants. Tous ces éléments suggèrent qu’il y a une nécessité à augmenter l’information auprès de cette population et à créer des structures d’accueils spécifiques adaptés aux besoins des femmes.

Dans la cohorte HEPATHER, l’analyse des 4307 patients porteurs d’une hépatite chronique B montre que le risque de ne pas être traité pour le VHB est 1,54 plus élevé chez les femmes en analyse multivariée, notamment chez les patientes de moins de 50 ans (20).

Toutes ces données montrent que dans notre spécialité il existe des domaines pathologiques où la discrimination des femmes persiste et il est nécessaire de mettre en place des structures spécifiques d’accueil et de prise en charge.

Les femmes en Hépatologie : une parité lente et progressive

En 2018 sur les 3842 hépato-gastroentérologues (HGE), 35,6 % sont des femmes avec plus de 50% chez les 30-40 ans. Les projections démographiques montrent qu’en 2028, 53% des HGE seront des femmes. Dans le système hospitalo-universitaire (HU), 30% des HU sont des femmes mais une large majorité exercent en tant que MCU-PH (22% PUPH, 48% MCU-PH). En hépatologie, 23% des HU en activité sont des femmes dont 6 PUPH dont 3 de plus de 65 ans en 2021 et 8 MCU-PH. Ces données nous montrent que notre marge de progression vers la parité reste importante dans notre pays.

En Espagne où les femmes représentent 56% des praticiens, seules environ 20% d’entre elles ont une position élevée en terme de carrière avec une situation hétérogène selon les structures hospitalières (plus basse dans les hôpitaux non universitaires) (21). Pour la participation aux congrès, 60% des femmes hépatologues y participent mais seulement 19% sont modératrices ou intervenantes. Cette disparité est également observée dans les réunions avec l’industrie pharmaceutique.

Dans les sociétés savantes, la parité semble mieux observée. 33% des membres de l’AASLD sont des femmes, 33% et 36% des éditeurs ou des membres du « governing board » respectivement sont des femmes. Pour l’AFEF, 34% des membres sont des femmes et 31% des membres du conseil d’administration sont des femmes.

Pour les publications médicales, une étude publiée en 2016 montre une amélioration depuis 20 ans de la place des femmes avec un plateau depuis 2010 (22). 34% des premiers auteurs sont des femmes, 36% pour les articles originaux mais seulement 29% pour les éditoriaux et les revues de la littérature qui sont souvent des invitations des comités éditoriaux des journaux. Pour les auteurs séniors (dernier auteur) 20% sont des femmes.

Dans notre discipline, les femmes sont donc de plus en plus nombreuses et bientôt majoritaires. Cependant elles sont plus rarement en position hiérarchique élevée et moins souvent première ou dernière signataire des articles publiés. Le plafond de verre reste à être brisé dans ce domaine.

L’égalité des sexes est un long combat contre une discrimination dont l’origine remonte à la nuit des temps dans la plupart des cultures. Olympe de Gouges publia en 1791 la première déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Depuis les progrès ont été lents mais se sont accélérés depuis 40 ans. Quelques dates clefs méritent d’être retenues : 1881, l’enseignement primaire obligatoire pour les filles comme pour les garçons, 1886 rétablissement du droit de divorce, 1907 les femmes mariées peuvent percevoir leur salaire, 1944 le droit de vote est accordé aux femmes, 1965 les femmes mariées peuvent exercer une profession, ouvrir un compte bancaire et gérer leur bien sans l’autorisation de leur mari, 1967 la loi Neuwirth autorise la vente de contraceptifs, 1972 principe de l’égalité salariale, 1975 la loi Veil autorise l’interruption volontaire de grossesse, 1992 la loi pénalise les violences conjugales et le harcèlement sur les lieux de travail, 2006 la loi porte l’âge légal de mariage de 15 à 18 ans afin de lutter contre les mariage forcés, 2012 la loi définit le harcèlement sexuel.

Nous devons nous sensibiliser aux violences et aux inégalités subies par les femmes dont nous sommes trop souvent, à tort, les témoins impuissants. La création de structures de prise en charge des femmes comme les maisons des femmes réparties sur le territoire nous aide à avoir des ressources à qui nous adresser pour la prise en charge des femmes en danger. Par ailleurs on doit s’efforcer de mettre en place des structures plus adaptées pour une prise en charge plus sexuée des pathologies hépatiques.

Références

  1. Rehm J, Mathers C, Popova S, Thavorncharoensap M, Teerawattananon Y, Patra J. Global burden of disease and injury and economic cost attributable to alcohol use and alcohol-use disorders. Lancet. 2009;373(9682):2223-33.
  2. Roerecke M, Vafaei A, Hasan OSM, Chrystoja BR, Cruz M, Lee R, et al. Alcohol Consumption and Risk of Liver Cirrhosis: A Systematic Review and Meta-Analysis. Am J Gastroenterol. 2019;114(10):1574-86.
  3. Singal AK, Arora S, Wong RJ, Satapathy SK, Shah VH, Kuo YF, et al. Increasing Burden of Acute-On-Chronic Liver Failure Among Alcohol-Associated Liver Disease in the Young Population in the United States. Am J Gastroenterol.
    2020;115(1):88-95.
  4. Dang K, Hirode G, Singal AK, Sundaram V, Wong RJ. Alcoholic Liver Disease Epidemiology in the United States: A Retrospective Analysis of 3 US Databases. Am J Gastroenterol. 2020;115(1):96-104.
  5. Simpson RF, Hermon C, Liu B, Green J, Reeves GK, Beral V, et al. Alcohol drinking patterns and liver cirrhosis risk: analysis of the prospective UK Million Women Study. Lancet Public Health. 2019;4(1):e41-e8.
  6. Pares A, Caballeria J, Bruguera M, Torres M, Rodes J. Histological course of alcoholic hepatitis. Influence of abstinence, sex and extent of hepatic damage. J Hepatol. 1986;2(1):33-42.
  7. Cooper AJ, Gupta SR, Moustafa AF, Chao AM. Sex/Gender Differences in Obesity Prevalence, Comorbidities, and Treatment. Curr Obes Rep. 2021.
  8. Naveau S, Giraud V, Borotto E, Aubert A, Capron F, Chaput JC. Excess weight risk factor for alcoholic liver disease. Hepatology. 1997;25(1):108-11.
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  18. Pearce ME, Bartlett SR, Yu A, Lamb J, Reitz C, Wong S, et al. Women in the 2019 hepatitis C cascade of care: findings from the British Columbia Hepatitis Testers cohort study. BMC Womens Health. 2021;21(1):330.
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  20. Bourliere M, Fontaine H, Luzivika-Nzinga C, Dorival C, Carrat F, Pol S, et al. Are all HBV patients treated according to guidelines in the HEPATHER cohort, and is there a place for improvement with new regimen (Abstract). Hepatology. 2020;72 (suppl 1):476A.
  21. Serrano T. Spanish women hepatologist: Breaking the glass ceiling? (Abstract). Hepatology. 2017;66 (suppl 1):407A.
  22. Filardo G, da Graca B, Sass DM, Pollock BD, Smith EB, Martinez MA. Trends and comparison of female first authorship in high impact medical journals: observational study (1994-2014). BMJ. 2016;352:i847.