Les Éditos de l'AFEF

Les traitements du carcinome hépatocellulaire : un nouvel espoir, mais un casse-tête pour les cliniciens et les chercheurs

Par : Saltel Frédéric et Blanc Jean-Frédéric
Docteur Frédéric Saltel - INSERM U1053, Liver cancer and invasion, Université de Bordeaux

Professeur Jean-Frédéric Blanc - Service d'hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive, CHU de Bordeaux

Le carcinome hépatocellulaire (CHC), le cancer primitif du foie le plus fréquent, présente un taux de survie à 5 ans très bas. Il est assez variable selon les pays, notamment en fonction des politiques de dépistage. Il est aux alentours de 15% selon les études en France, et de 18% aux Etats-Unis, où seul le cancer du pancréas fait pire. Les traitements chirurgicaux comme la résection tumorale ou la transplantation sont les seules options thérapeutiques curatives et ne concernent que les phases précoces de la maladie. Pour des stades intermédiaires, des traitements loco-régionaux peuvent être utilisés comme la chimioembolisation ou la radio-embolisation. Cependant, pour les stades avancés définis classiquement par une invasion vasculaire macroscopique, et/ou des métastases extra-hépatiques, seuls les traitements systémiques sont envisagés, si la fonction hépatique le permet. Longtemps, trop surement, le Sorafenib, un inhibiteur tyrosine kinase (TKI) a été le seul agent thérapeutique autorisé en 1ère ligne suite à l’essai SHARP en 2008. Cet inhibiteur multikinase présente de nombreuses cibles, comme Raf, les VEGFR, PDGFR, Flt 3 et C-kit, pour une efficacité limitée, moins de 5% de réponse objective et des effets secondaire potentiellement invalidants (1).

Ce tableau plutôt sombre s’est éclairci avec l’arrivée sur le marché de nouveaux agents thérapeutiques de 1ère ligne. Tout d’abord avec un nouveau TKI, le Lenvatinib, qui cible également les VEGFRs, le PDGFR, Kit mais aussi RET et les FGFRs. Mais surtout, avec l’avènement de l’immunothérapie par la combinaison Atezolizumab + Bevacizumab, correspondant respectivement à un anticorps monoclonal dirigé contre PD-L1 (programmed death ligand A) et un anticorps dirigé contre le VEGF. Cette combinaison a été autorisée en première ligne grâce à l’étude IMbrave150, et elle correspond au premier traitement qui s’avère supérieur au Sorafenib s’imposant comme le nouveau traitement de référence de première ligne du CHC.

Ce traitement constitue un progrès majeur dans la prise en charge du CHC avec un taux de réponse objective impressionnant, jusqu’à 36% (2, 3). Cependant, ce taux qui devra être affiné et validé dans les prochaines années, pose tout de même des questions en termes de stratification des patients et de médecine de précision. En effet, il est à ce jour impossible de déterminer les bons répondeurs à cette combinaison. De nombreuses études démontrent en effet que selon les sous-groupes et ou l’étiologie, certaines tumeurs sont susceptibles de moins bien répondre à ce traitement. Il pourrait s’agir notamment des patients présentant une stéatohépatite non alcoolique sous-jacente ou des CHC avec une signalisation activée de la voie Wnt/β-caténine (4, 5). Les mécanismes moléculaires qui modulent cette réponse doivent être identifiés afin de proposer une alternative et élargir le nombre de patients pouvant bénéficier de cette approche thérapeutique. Ceci est d’autant plus crucial que d’autres combinaisons (TKI-immunothérapie ou bi-immunothérapie) devraient compléter l’arsenal thérapeutique de première ligne dans un futur proche.

La stratégie se complexifie également pour les traitements de seconde ligne, car là aussi de nombreuses nouvelles molécules sont validées (comme le Regorafenib, le Cabozantinib, le Ramucirumab) ou sont en cours d’évaluation. Pour les agents de seconde ligne, ici aussi, il y a un choix entre des inhibiteurs multikinase, des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire ou des combinaisons en tenant compte du type de première ligne utilisée, et ce choix va continuer de s’élargir. Il est simple de se rendre compte à la fois de l’intérêt de voir un tel arsenal thérapeutique se développer, mais aussi de la problématique soulevée : Quel traitement pour quel patient ?
C’est à ce stade que la recherche doit apporter des solutions aux cliniciens, leur permettant de mieux stratifier les patients et d’obtenir le maximum d’informations biologiques sur les tumeurs afin d’orienter le choix des traitements pour chaque tumeur et chaque patient.

Le développement du CHC est provoqué par l’accumulation de nombreuses mutations génétiques. Ces mutations constituent la carte d’identité génétique de la tumeur. L’identification de ces mutations pourrait constituer une nouvelle stratégie de médecine de précision pour le CHC de stade avancé, appelée thérapie ciblée. Cependant, il est important de prendre en compte l’hétérogénéité des tumeurs et le microenvironnement des tumeurs. Ces deux éléments complexifient énormément, le pronostic, mais aussi l’aspect théranostique. Actuellement, en routine clinique, les mutations génétiques ne sont pas utilisées pour orienter le choix des traitements. Il est en effet important de noter que les cibles de tous les agents thérapeutiques de 1ère et de 2nde lignes ciblent des protéines. Et le protéome des tumeurs est la résultante de nombreux processus moléculaires, il est évidemment modifié par les mutations, mais aussi par les aspects épigénétiques, transcriptionnels, mais aussi par les régulations post-transcritonnelles, traductionnelles et post-traductionnelles, en autres. On pourrait aussi citer les différents ARNs dont les micro-ARNs qui eux aussi participent à ce processus imbriqué et complexe. Pour illustrer ces propos il suffit de citer les chiffres qui montrent les différences qui existent entre le transcriptome et le protéome d’une tumeur (6). Des protéines qui à le tour régulent l’expression génique pour créer un continuum.

Il n’est pas question d’instaurer une hiérarchie dans ce processus biologique, mais d’utiliser l’ensemble des informations et des approches omiques pour répondre à cette nouvelle problématique clinique dans la prise en charge du CHC. En effet, c’est l’association et l’intégration des informations sur le génome, le transcriptome et le protéome qui permettront d’identifier les signatures correspondant à une réponse objective pour tel ou tel traitement. Il sera important d’obtenir ces informations pour les cellules tumorales, mais il faudra aussi appréhender ce même niveau d’information pour les cellules non-tumorales (cellules immunitaires, fibroblastes, cellules endothéliales) qui participent aussi au contrôle de l’évolution tumorale et à la réponse au traitement. La liste ne serait pas complète si on n’incluait pas la matrice extracellulaire et les paramètres physico-chimiques associés. A cela, il faudra également probablement ajouter les informations du microbiote, qui conditionnera aussi pour partie la réponse aux différents traitements, présents et à venir. Tout ceci nécessite évidemment la coopération d’équipes multidisciplinaires ainsi que le soutien fondamental de la bioinformatique, de la biostatistique et de l’intelligence artificielle.

Il va donc être primordiale d’appréhender une tumeur dans son intégralité biologique et dans son micro et macro-environnement afin d’être le plus pertinent possible dans le choix et même la séquence thérapeutique pour le traitement du CHC.

Références

  1. Pinter M, Scheiner B, Peck-Radosavljevic M. Immunotherapy for advanced hepatocellular carcinoma: a focus on special subgroups. Gut 2021;70:204-214.
  2. Finn RS, Qin S, Ikeda M, Galle PR, Ducreux M, Kim TY, Kudo M, et al. Atezolizumab plus Bevacizumab in Unresectable Hepatocellular Carcinoma. N Engl J Med 2020;382:1894-1905.
  3. Yang X, Wang D, Lin J, Yang X, Zhao H. Atezolizumab plus bevacizumab for unresectable hepatocellular carcinoma. Lancet Oncol 2020;21:e412.
  4. Pfister D, Nunez NG, Pinyol R, Govaere O, Pinter M, Szydlowska M, Gupta R, et al. NASH limits anti-tumour surveillance in immunotherapy-treated HCC. Nature 2021;592:450-456.
  5. Ruiz de Galarreta M, Bresnahan E, Molina-Sanchez P, Lindblad KE, Maier B, Sia D, Puigvehi M, et al. beta-Catenin Activation Promotes Immune Escape and Resistance to Anti-PD-1 Therapy in Hepatocellular Carcinoma. Cancer Discov 2019;9:1124-1141.
  6. Haider S, Pal R. Integrated analysis of transcriptomic and proteomic data. Curr Genomics 2013;14:91-110.