Les Éditos de l'AFEF

Quelle évaluation du foie sous-jacent avant résection pour CHC ?

Par : Barbier Louise et Cauchy François
Docteur Louise Barbier - Chirurgie Hépato-Biliaire et Pancréatique, Transplantation Hépatique

Docteur François Cauchy - Service de chirurgie Hépato-Pancréato-Biliaire, Hôpital Beaujon APHP, Paris

L’évaluation du patient et de son hépatopathie est un élément clé dans la prise de décision thérapeutique d’un carcinome hépatocellulaire développé sur foie pathologique. Cette évaluation doit se faire en concertation entre chirurgiens, hépatologues, radiologues et anesthésistes car elle va reposer sur plusieurs facteurs : (a) le patient et ses comorbidités, (b) le type et l’étendue du geste envisagé, (c) la fonction hépatocellulaire sous-jacente, et (d) le degré d’hypertension portale (HTP).

Quel sera l’impact de cette évaluation multidisciplinaire ?

La résection hépatique pour CHC est associée à une morbidité et une mortalité significatives, comprises respectivement entre 20% et 60% et entre 2% et 8%[1,2]. Il est par ailleurs établi que les complications postopératoires ainsi que la qualité de la prise en charge chirurgicale globale impactent la récupération postopératoire et augmentent le risque de récidive tumorale[3]. Le principal enjeu de l’évaluation multidisciplinaire sera donc d’anticiper la morbidité globale et spécifique au foie, ainsi que la mortalité.

Il en résultera la décision de proposer une chirurgie de résection, ou de basculer vers un autre type de traitement, que ce soit la transplantation hépatique si le patient est éligible et que l’obstacle principal est une « réserve hépatique » insuffisante, ou un traitement loco-régional moins morbide (thermo-ablation, chimio-embolisation, radio-embolisation, radiothérapie stéréotaxique…).

Cette évaluation permettra également de déterminer quel geste est possible et jusqu’à quelle complexité et étendue de résection il est raisonnable de poser une indication chirurgicale: hépatectomie majeure, clampage cave, durée et type de clampage pédiculaire …

Enfin et surtout, lorsque la décision de chirurgie sera prise, l’évaluation permettra de proposer une préparation adaptée au patient, en particulier de modulation volumétrique pré-opératoire (occlusion portale +/- occlusion des veines hépatiques).

Quelles comorbidités en fonction du terrain ? Cas particulier du syndrome métabolique

Si la prise en charge chirurgicale des malades ayant un CHC sur cirrhose d’origine virale ou alcoolique fait l’objet d’une attention particulière de longue date, la gestion du risque péri-opératoire des malades ayant un CHC en contexte de syndrome métabolique (SM) reste pour l’heure moins évaluée et codifiée. Seulement de la moitié des malades ayant un CHC en contexte de SM présente une cirrhose au moment du diagnostic[4] et ces malades ont pendant longtemps été injustement considérés comme ayant un foie « sain » alors qu’ils arborent le plus souvent une stéatopathie hépatique d’origine dysmétabolique (NAFLD). Il est ainsi désormais démontré que l’existence d’une stéatohépatite non alcoolique (NASH) est associée à une moins bonne tolérance de la résection hépatique[5,6]. Par ailleurs, en plus du risque opératoire lié à leur hépatopathie sous-jacente, ces malades cumulent le risque lié à leur terrain (diabète, HTA, dyslipidémie, obésité s’accompagnant souvent de sarcopénie)[6,7] et les comorbidités cardio-vasculaires et respiratoires qui en découlent. Au total, le terrain à risque des malades ayant un SM requiert une prise en charge adaptée combinant (a) une caractérisation précise du foie sous-jacent devant conduire à une stratégie chirurgicale adaptée à l’histologie du foie sous-jacent ; (b) une prise en charge ciblée sur le terrain de ces malades, avec une détection et une optimisation du traitement des facteurs de risque cardiovasculaire.

Quelle stratégie d’évaluation du foie sous-jacent ?

Tous les patients ne seront pas évalués de la même façon. Les contre-indications « classiques » à la résection sont la présence d’une ascite pré-opératoire, un score de Child-Pugh B ou C, un score de MELD>11 et un taux de bilirubine >34 micromol/L, même si dans certains cas (tumorectomies, patients sélectionnés), ces limites peuvent être repoussées[8].

En première intention, un bilan biologique simple (ALAT, ASAT, plaquettes, bilirubine, albumine, créatinine, TP) permettant le calcul de scores et une imagerie en coupes permettront d’orienter la suite du bilan nécessaire.
En cas de cytolyse, un traitement anti-viral ou l’obtention d’un sevrage doivent permettre d’obtenir des transaminases au plus proches de la normale, même si la résection est toujours possible chez des patients porteurs d’hépatite virale s’ils sont sélectionnés[9]. Un taux de plaquettes < 150 000/ mm3 doit faire rechercher une cirrhose avec HTP cliniquement significative en l’absence d’autre cause de thrombopénie. Le taux de bilirubine est en lui-même un indicateur simple : il doit être normal pour autoriser une hépatectomie majeure, tandis qu’au-delà de 25 micromol/L seules les tumorectomies sont possibles, un taux > 34 micromol/L contre-indiquant, en principe, la chirurgie[10]. Des scores biologiques simples comme le score APRI (ratio ASAT/plaquettes) et le score ALBI (basé sur les taux d’albumine et de bilirubine) combinés[11] sont également utiles. Le score de MELD, basé sur l’INR, la bilirubinémie totale et la créatininémie, est également utile : un score >9 augmente la morbi-mortalité, tandis qu’un score >11 est associé à un risque prohibitif de mortalité[12].

L’imagerie en coupes, réalisée de manière systématique dans le cadre du bilan diagnostique et d’extension permettra de: (a) déterminer l’étendue du geste de résection nécessaire, (b) réaliser une volumétrie du futur foie restant (un volume minimum de 40% étant souhaité en cas de cirrhose sous-jacente), (c) chercher une thrombose tumorale ou cruorique associée, (d) chercher des signes indirects d’HTP (voir plus bas « marqueurs non invasifs »).

En deuxième intention, une mesure d’élasticité hépatique peut être réalisée. Un résultat < 20 kPa associé à un taux de plaquettes >150 000/ mm3 permettra d’éliminer une HTP cliniquement significative, tandis qu’un résultat ≥20 kPa et/ou un taux de plaquettes <150 000/mm 3 suggérera un risque d’HTP cliniquement significative et la poursuite des investigations (Baveno VI). La ponction-biopsie hépatique en foie non tumoral sera faite si une biopsie de la tumeur est nécessaire ou si une prise sanglante des pressions est réalisée, ou en cas de doute sur une hépatopathie ou si le la mesure d’élasticité hépatique échoue (obésité, par exemple).

En troisième intention, des évaluations plus poussées peuvent être nécessaires, à la fois de la fonction hépato-cellulaire et de l’HTP.
La fonction hépato-cellulaire peut être évaluée de façon globale par la clairance au vert d’indocyanine. Cette mesure est très fréquemment réalisée en Asie où elle s’intègre à l’arbre décisionnel de la prise en charge chirurgicale[10,13]. Elle consiste en la mesure de l’index colorimétrique par un capteur transcutané après injection du vert d’indocyanine, métabolisé uniquement par le foie. Chez les patients avec une bilirubinémie normale, un taux de rétention à 15 min <10-12% autorise une hépatectomie majeure, tandis qu’un taux >20-40% ne permet que des résections limitées. La scintigraphie hépato-biliaire (à l’HIDA, à la mébrofénine au Tc99m…) permet quant à elle de coupler la fonction à l’anatomie et donne la clairance hépatique en fonction des segments du foie, de façon à évaluer la fonction du futur foie restant[14].

L’HTP est classiquement évaluée par la mesure sanglante du gradient entre la pression sus-hépatique bloquée et la pression sus-hépatique libre. Cette technique transjugulaire de référence n’est néanmoins pas réalisée dans tous les centres en raison de son caractère invasif et de l’expertise technique nécessaire. Ainsi, il existe de nombreuses stratégies visant à évaluer l’HTP de manière moins invasive. Les stratégies combinent le plus souvent les marqueurs sus cités à savoir des paramètres biologiques (plaquettes, APRI), une mesure de l’élastométrie, une endoscopie digestive (recherche de varices œsophagiennes), une analyse de l’imagerie en coupes à la recherche de signes indirects d’HTP (voies de dérivation, volumétrie splénique, nodularité hépatique[15]). Par ailleurs, de nouvelles techniques de prise de pression par voie endoscopique sont en cours d’évaluation et pourraient permettre de limiter l’agressivité de la prise de pression tout en couplant cette mesure avec un examen endoscopique (voir à ce sujet le point de vue du club de l’HTP, https://clubfrancophone-hypertensionportale.fr/recommandations/).

Si un gradient de pression supérieur à 10 mmHg (correspondant à une HTP cliniquement significative) a longtemps été considéré comme une contre-indication formelle à la résection hépatique, plusieurs études récentes ont remis en question ce dogme et montré que près de 25% des malades ayant un gradient > 10 mmHg pouvaient être opérés sans sur-risque en termes de morbi-mortalité[16,17]. Par ailleurs, il semblerait que l’approche laparoscopique puisse permettre de limiter la morbidité liée à l’HTP pour les malades ayant un CHC résecable[18]. Au total, il est actuellement admis qu’un gradient de pression > 10 mmHg (mais inférieur à 15 mmHg) ne représente une contre-indication absolue à la résection qu’en cas de résection majeure droite (hépatectomie droite, hépatectomie droite élargie) ou de résection nécessitant un geste de reconstruction vasculaire associé. Pour les autres résections, l’indication opératoire devra prendre en compte l’étendue de la résection, la possibilité de la réalisation d’une approche laparoscopique, les comorbidités du malade et le bénéfice oncologique attendu[19].

En conclusion, l’évaluation avant chirurgie doit être multi disciplinaire et comprend l’évaluation du patient, de son hépatopathie sous-jacente en fonction du geste chirurgical envisagé. Le but est la diminution du risque de décompensation hépatique post-opératoire qui passe par des indications chirurgicales pondérées et la préparation à l’intervention. Le bilan nécessaire doit être adapté à chaque patient et commence par des examens simples (imagerie, bilan biologique, mesure d’élasticité hépatique). L’association de marqueurs non-invasifs semble prometteuse pour l’évaluation du risque opératoire.

Références

[1] Dokmak S, Ftériche FS, Borscheid R, Cauchy F, Farges O, Belghiti J. 2012 Liver resections in the 21st century: we are far from zero mortality. HPB (Oxford) 2013:908–15.
[2] Torzilli G, Belghiti J, Kokudo N, Takayama T, Capussotti L, Nuzzo G, et al. A Snapshot of the Effective Indications and Results of Surgery for Hepatocellular Carcinoma in Tertiary Referral Centers. Ann Surg 2013;257:929–37.
[3] Hobeika C, Nault JC, Barbier L, Schwarz L, Lim C, Laurent A, et al. Influence of surgical approach and quality of resection on the probability of cure for early-stage HCC occurring in cirrhosis. JHEP Reports 2020;2:100153.
[4] Ertle J, Dechêne A, Sowa JP, Penndorf V, Herzer K, Kaiser G, et al. Non-alcoholic fatty liver disease progresses to hepatocellular carcinoma in the absence of apparent cirrhosis. Int J Cancer 2011;128:2436–43.
[5] Reddy SK, Marsh JW, Varley PR, Mock BK, Chopra KB, Geller DA, et al. Underlying steatohepatitis, but not simple hepatic steatosis, increases morbidity after liver resection: A case-control study. Hepatology 2012;56:2221–30.
[6] Cauchy F, Zalinski S, Dokmak S, Fuks D, Farges O, Castera L, et al. Surgical treatment of hepatocellular carcinoma associated with the metabolic syndrome. Br J Surg 2013;100:113–21.
[7] Seror M, Sartoris R, Hobeika C, Bouattour M, Paradis V, Rautou P-E, et al. Computed Tomography-Derived Liver Surface Nodularity and Sarcopenia as Prognostic Factors in Patients with Resectable Metabolic Syndrome-Related Hepatocellular Carcinoma. Ann Surg Oncol 2021;28:405–16.
[8] Troisi RI, Berardi G, Morise Z, Cipriani F, Ariizumi S, Sposito C, et al. Laparoscopic and open liver resection for hepatocellular carcinoma with Child-Pugh B cirrhosis: multicentre propensity score-matched study. Br J Surg 2021;108:196–204.
[9] Lai C-Y, Wu C-C, Wang J, Yu C-C, Cheng S-B, Yeh D-C, et al. Is liver resection for hepatocellular carcinoma in cirrhotic patients with high preoperative serum alanine aminotransferase level unadvisable? Hepatogastroenterology 2014;61:2068–76.
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[11] Shi J-Y, Sun L-Y, Quan B, Xing H, Li C, Liang L, et al. A novel online calculator based on noninvasive markers (ALBI and APRI) for predicting post-hepatectomy liver failure in patients with hepatocellular carcinoma. Clin Res Hepatol Gastroenterol 2020:101534.
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[13] Shirata C, Kokudo T, Arita J, Akamatsu N, Kaneko J, Sakamoto Y, et al. Albumin-Indocyanine Green Evaluation (ALICE) grade combined with portal hypertension to predict post-hepatectomy liver failure. Hepatol Res 2019;49:942–9.
[14] de Graaf W, van Lienden KP, Dinant S, Roelofs JJTH, Busch ORC, Gouma DJ, et al. Assessment of future remnant liver function using hepatobiliary scintigraphy in patients undergoing major liver resection. J Gastrointest Surg 2010;14:369–78.
[15] Hobeika C, Cauchy F, Sartoris R, Beaufrère A, Yoh T, Vilgrain V, et al. Relevance of liver surface nodularity for preoperative risk assessment in patients with resectable hepatocellular carcinoma. Br J Surg 2020;107:878–88.
[16] Cucchetti A, Cescon M, Golfieri R, Piscaglia F, Renzulli M, Neri F, et al. Hepatic venous pressure gradient in the preoperative