Les Éditos de l'AFEF

Nouveautés dans la prise en charge de la cirrhose décompensée : « When the going gets tough … the tough gets going »

Par : Thabut Dominique
Professeur - Paris Sorbonne Université, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière

Le pronostic des patients atteints de cirrhose s’est beaucoup amélioré depuis 30 ans … nos prédécesseurs ont défriché le terrain en mettant en place des stratégies de traitement, de prévention primaire et de prévention secondaire de l’hémorragie digestive sur hypertension portale assez simples, reposant sur des traitements médicamenteux et endoscopiques. Le dépistage du carcinome hépatocellulaire a montré son efficacité … enfin le traitement de la maladie causale, et en particulier l’obtention d’une virosuppression chez les patients atteints d’hépatites B et C, a permis de diminuer l’incidence de toutes les complications de la cirrhose. Cependant, le passage d’une cirrhose d’un stade compensé à un stade décompensé, que ce soit en raison d’une hémorragie ou de l’apparition d’une ascite, et même d’une infection, est un tournant dans la maladie1

Cet été, deux études sont parues, dont la philosophie était la même: après une décompensation, optimiser la prise en charge des patients afin d’améliorer encore la survie … La première, parue ce mois-ci dans Hepatology, est un observatoire multicentrique international sur la mise en place d’un TIPS de façon précoce chez les patients présentant une hémorragie digestive sur hypertension portale2. Rappelons-en le concept : il s’agit de poser l’indication d’un TIPS en semi-urgence, dans les 72 heures, et au mieux le plus tôt possible, chez les patients à fort risque de récidive hémorragique, c’est-à-dire présentant une cirrhose Child B avec saignement actif à l’endoscopie ou Child C … et ce lorsque le saignement est contrôlé, point très important. Il s’agit donc d’un concept complètement différent de celui du TIPS de sauvetage, où l’hémorragie est réfractaire aux traitements médicamenteux et endoscopique. Rappelons que cette stratégie permettait d’augmenter la survie chez les patients à haut risque, dans le seul essai randomisé publié3. Dans l’observatoire présent, la survie était significativement meilleure chez les patients Child C chez qui un TIPS avait été posé, confirmant les résultats de l’étude princeps (même si nous regardons là les résultats d’un observatoire et non d’un essai randomisé). Chez les patients Child B avec saignement actif, l’effet sur la survie n’était pas démontré … la valeur pronostique de la présence d’un saignement actif à l’endoscopie est en effet discutée, ce paramètre étant probablement mal défini4. Cependant le TIPS diminuait, comme on peut s’y attendre, l’incidence de la récidive hémorragique et de la survenue d’une ascite, suggérant que cette stratégie est adaptée chez ces derniers patients également. Cet observatoire sur 671 patients montre également que seuls 11% de ceux qui devraient bénéficier d’un TIPS selon les critères sus-cités ont finalement une mise en place de TIPS, faisant écho à l’observatoire français publié il y a moins d’un an, fruit d’une collaboration étroite entre l’ANGH et l’AFEF, où cette proportion était même inférieure puisque moins de 7% des patients bénéficiaient d’un TIPS5 … fait intéressant, dans l’étude française la distance médiane entre les centres accueillant les patients et un centre où un TIPS pouvait être posé était inférieure à 50 km, soulignant que la vraie raison de cette faible proportion était probablement ailleurs que dans le manque de disponibilité du TIPS5. A nous hépatologues de communiquer sur ces résultats, afin que le TIPS soit discuté pour tous les patients hospitalisés pour hémorragie sur hypertension portale, dans tous les centres en France.

Autre complication représentant un tournant dans la maladie, l’apparition d’une ascite1. Récemment les bénéfices de la mise en place d’un TIPS chez des patients présentant une ascite réfractaire ou récidivante ont été prouvés, plaçant en première ligne cette stratégie thérapeutique, qui augmente là encore la survie sans transplantation des patients6. Cependant lors de l’apparition d’une ascite, le premier traitement n’est évidemment pas le TIPS, et un traitement par diurétiques doit être instauré, efficace dans la grande majorité des cas (seules 10% des ascites seront considérées comme réfractaires, soit parce qu’elles résistent au traitement diurétique, soit parce que celui-ci est mal toléré.)

Une étude italienne est parue il y a un mois dans le Lancet (étude ANSWER), s’intéressant à ces patients sous diurétiques au long cours7. Il s’agit cette fois d’une étude prospective, multicentrique, randomisée, non contrôlée, ouverte, testant l’impact des perfusions d’albumine itératives (80g puis 40g par semaine) en plus des diurétiques, qui étaient administrés à bonne dose (minimum 200 mg/j d’anti-aldostérone et 25 mg/j de furosémide). Un total de 440 patients ont été inclus : la mortalité globale à 18 mois était significativement diminuée dans le groupe Albumine, et le traitement par albumine était le seul facteur protecteur indépendant de mortalité d’origine hépatique en analyse multivariée. Les complications de la cirrhose (infections, encéphalopathie, syndrome hépato-rénal) étaient significativement diminuées dans le groupe Albumine, et la qualité de vie améliorée. Ces résultats méritent d’être confirmés car il s’agit d’une étude en ouvert, et que les patients avaient reçu des doses de diurétiques supérieures à ce que nous utilisons habituellement (patients de l’étude traités en moyenne par 230 mg/j d’anti-aldostérone et 50 mg/j de furosémide). L’approche physiopathologique est séduisante, puisque l’albumine pourrait améliorer la prise en charge de l’ascite grâce à une action anti-inflammatoire et par une vasodilatation splanchnique avec amélioration de la volémie efficace artérielle, sans pour autant occasionner de surcharge volémique potentiellement délétère. Mettons ces résultats en parallèle avec la publication américaine récente des résultats du registre américain de la cirrhose NACSELD, montrant une efficacité de l’albumine chez les patients présentant une hyponatrémie < 130 mmol/l8. L’ascite sous diurétiques pourrait donc représenter une nouvelle indication de l’albumine, qui rappelons-le est actuellement recommandée uniquement en prévention de la dysfonction circulatoire après paracentèse de volume supérieur à 5L, et en traitement de l’infection spontanée du liquide d’ascite et du syndrome hépatorénal.

Une autre complication représente un véritable tournant dans la maladie chez les patients atteints de cirrhose : il s’agit de l’apparition d’une première infection, quel qu’en soit le site, chez les patients ayant une cirrhose compensée9. Là, des stratégies d’antibiothérapie préventive à large échelle semblent à une option déraisonnable, tant les résultats du registre international des infections chez les patients atteints de cirrhose (étude GLOBAL), présentés à l’EASL cette année, sont inquiétants : plus d’un tiers des patients présentant une infection sont infectés par des germes multirésistants, cette proportion augmentant à 70% dans des pays comme l’Inde (Piano S, EASL 2018). Nous ne sommes pas épargnés … Cependant, d’autres possibilités s’offrent à nous : le microbiote intestinal apparaît comme un facteur majeur de survenue d’une décompensation et d’une infection10, et les stratégies de modulation de celui-ci sont immenses : allant de la simple modification de l’alimentation ou de la pratique sportive … à la transplantation fécale11.

Nul doute qu’en France nous avons assez d’expertise dans ce domaine, ainsi que dans celui de la maladie grave du foie, pour contribuer largement aux avancées futures … reprenant ainsi le flambeau de nos ainés. Les années à venir seront productives …

« When the going gets tough … the tough gets ready ! »

Références

  1. D’Amico G, Morabito A, D’Amico M, et al. Clinical states of cirrhosis and competing risks. J Hepatol 2018;68:563-576.
  2. Procopet B, Giraldez A, Amitrano L, et al. Preemptive-TIPS improves outcome in high-risk variceal bleeding: An observational study. Hepatology 2018.
  3. Garcia-Pagan JC, Caca K, Bureau C, et al. Early use of TIPS in patients with cirrhosis and variceal bleeding. N Engl J Med 2010;362:2370-9.
  4. Rudler M, Bureau C, Carbonell N, et al. Recalibrated MELD and hepatic encephalopathy are prognostic factors in cirrhotic patients with acute variceal bleeding. Liver Int 2018;38:469-476.
  5. Thabut D, Pauwels A, Carbonell N, et al. Cirrhotic patients with portal hypertension-related bleeding and an indication for early-TIPS: a large multicentre audit with real-life results. J Hepatol 2017.
  6. Bureau C, Thabut D, Oberti F, et al. Transjugular Intrahepatic Portosystemic Shunts With Covered Stents Increase Transplant-Free Survival of Patients With Cirrhosis and Recurrent Ascites. Gastroenterology 2017;152:157-163.
  7. Caraceni P, Riggio O, Angeli P, et al. Long-term albumin administration in decompensated cirrhosis (ANSWER): an open-label randomised trial. Lancet 2018;391:2417-2429.
  8. Bajaj JS, Tandon P, O’Leary JG, et al. The Impact of Albumin Use on Resolution of Hyponatremia in Hospitalized Patients With Cirrhosis. Am J Gastroenterol 2018.
  9. Nahon P, Lescat M, Layese R, et al. Bacterial infection in compensated viral cirrhosis impairs 5-year survival (ANRS CO12 CirVir prospective cohort). Gut 2017;66:330-341.
  10. Bajaj JS, Vargas HE, Reddy KR, et al. Association Between Intestinal Microbiota Collected at Hospital Admission and Outcomes of Patients with Cirrhosis. Clin Gastroenterol Hepatol 2018.
  11. Bajaj JS, Kakiyama G, Savidge T, et al. Antibiotic-Associated Disruption of Microbiota Composition and Function in Cirrhosis is Restored by Fecal Transplant. Hepatology 2018.