SOS hépatites a initié en 2019 un projet dont l’objectif était, avec la collaboration d’associations de professionnels de santé et médico-sociaux, d’émettre des propositions afin de pallier certains manques dans la prise en charge de l’hépatite B, qui concerne plus de 250 millions de personnes dans le monde et environ 136 000 en France : souligner les conséquences de l’hépatite B en France, sensibiliser l’opinion et les autorités sanitaires aux difficultés rencontrées par les patients, améliorer des dispositifs déjà existants pour faciliter le parcours de soins des patients et leur suivi et suggérer des modifications de stratégies de santé publique spécifiques à cette pathologie.
Ce projet, auquel l’AFEF est associée, a été réalisé en 3 étapes successives. La première a permis de faire remonter les besoins et les attentes de patients en s’appuyant sur deux types de supports : une enquête « Vivre avec l’hépatite B » menée dans plusieurs centres prenant en charge ces patients et des tables rondes comprenant patients et professionnels de santé réparties dans différentes villes de France (incluant les DROM). Au cours de la deuxième étape, des propositions des différents acteurs basées sur les retours de la première étape ont été recueillies. Dans un troisième temps, les besoins et attentes des patients ont été analysés et réunis dans un document de synthèse.
Ce rapport a récemment été adressé au Ministre des Solidarités et de la Santé et au Directeur Général de la Santé et a fait l’objet d’un communique de presse le 24 février 2021.
Les propositions émises par ce rapport ont été regroupées en 6 axes prioritaires.
Le premier a pour objectif d’améliorer le regard sur l’hépatite B en améliorant les connaissances des intervenants, soignants et sociaux, mais aussi de la population générale sur cette maladie ; la méconnaissance de cette infection limite son dépistage et sa prévention, renforce la stigmatisation, isolant ainsi le patient, détériorant sa qualité de vie et rendant plus difficile sa prise en charge. Comment expliquer à son entourage et au cours des relations amoureuses qu’on est atteint d’une hépatite B qui passe souvent pour une maladie honteuse ? Comment expliquer dans son entreprise qu’on doit aller consulter même si on semble en bonne santé ? Des campagnes d’information et de sensibilisation au niveau du grand public et des populations à risque sur la facilité d’une protection efficace par le vaccin et de traitements efficaces permettant une vie familiale normale, l’utilité du suivi à vie pourraient répondre à ce besoin. L’élaboration, en collaboration avec les communautés concernées et la diffusion d’outils d’information simples et innovants sur les hépatites B (et delta), sur les moyens de prévention et la possibilité d’avoir une vie « comme tout le monde » est une autre piste.
Le second point concerne l’amélioration des connaissances des réalités épidémiologiques des hépatites B (et delta). En effet, le caractère asymptomatique et silencieux de cette pathologie rend cette maladie invisible, sous-estimée et sous-diagnostiquée. Favoriser le dépistage universel et soutenir l’objectif d’un dépistage de 90 % des hépatites B d’ici 2030 sont des défis à relever. Cela nécessite de s’adapter et d’aller au-devant des populations à risque, la réalisation d’enquêtes sur le dépistage et la vaccination effective de l’entourage des patients, la poursuite de publications régulières de données sur le dépistage, la prévalence, l’incidence, le taux de patients traités, le taux de complications et le nombre de décès liés à l’hépatite B ; il est nécessaire également de mener des enquêtes sociologiques sur les connaissances, les représentations de la maladie, les répercussions sur la qualité de vie des patients en fonction de leur spécificités individuelles.
Le troisième point a pour but le soutien et l’accompagnement des patients ayant une hépatite B (et delta). Cette pathologie est difficile à comprendre pour les patients et leur entourage, du fait d’une évolution peu prévisible et non linéaire, de marqueurs d’évolutivité multiples, de critères d’indication du traitement complexes ; ceci est encore plus vrai dans la population générale qui ne sent pas concernée. De même, l’adhérence au traitement, souvent annoncé comme « à vie » pour une maladie silencieuse peut être difficile à obtenir. Des solutions ont été évoquées comme des séances systématiques et répétées d’éducation thérapeutique, en plus de l’aide habituelle des associations de patients, le développement de la « pair-aidance» par des groupes d’échange, l’évaluation régulière de la qualité de vie des patients au niveau personnel, dans leur vie amoureuse, sexuelle et professionnelle, la distribution d’outils d’information simples et adaptés (traduits en plusieurs langues et construits en collaboration avec les populations concernées afin de s’adapter à la représentation de la maladie) et l’amélioration du recours à des interprètes pour des patients migrants ne parlant pas français.
La quatrième piste concerne l’amélioration du parcours de soins et de la prise en charge des patients atteints. Un point majeur est la prise en charge à 100 % de cette maladie chronique dès le diagnostic même sans indication thérapeutique, en raison des frais médicaux entrainés par la réalisation d’examens indispensables à la caractérisation initiale de la maladie et à son suivi, qui peut être hors de portée pour certains patients, et ce, d’autant plus si plusieurs membres d’une même famille sont atteints, comme c’est fréquemment le cas. Il faut aussi raccourcir le délai entre le diagnostic et la première consultation médicale pour diminuer l’inquiétude du patient et le nombre de « perdus de vue » pendant cette période en favorisant l’établissement de parcours de soins spécifiques entre les structures de dépistage et les structures de prise en charge. Il est nécessaire de favoriser les séances d’éducation thérapeutique (ETP), éventuellement dans le cadre d’un hôpital de jour permettant de faire le point sur l’hépatite virale et d’éventuelles comorbidités. Un des thèmes majeurs de l’ETP concerne la conduite à tenir nécessaire au cours de la grossesse (de façon à annuler le risque de transmission materno- fœtale), la connaissance des traitements contre-indiqués ou non et les circonstances qui indiquent un traitement pré-emptif. Dans certains groupes à risque et particulièrement chez les personnes migrantes, il faut diminuer, voire annuler, le délai de carence pour accélérer la prise en charge thérapeutique et garantir leur résidence sur le territoire français, puisque pour la plupart d’entre eux, le fait de quitter la France ne leur permettra pas une prise charge complète et appropriée. Il est nécessaire également d’étendre à l’hépatite B, l’arrêté relatif à la protection du secret des actes et des prestations pour les mineurs. Enfin, des systèmes de rappel systématiques sont recommandés pour rappeler aux patients l’importance de leur suivi.
Le cinquième axe prioritaire porte sur la prévention par l’amélioration du dépistage et de la vaccination. Une des actions préconisées est le remboursement à 100 % des trois marqueurs sérologiques contre deux actuellement dans les centres de dépistage, afin d’identifier d’emblée les personnes éligibles à la vaccination. Il est aussi nécessaire de former les acteurs de soins pour généraliser la réalisation des TROD hépatite B et permettre la délivrance des informations nécessaires en fonction du résultat. Une mention « En cas d’augmentation des transaminases, il est conseillé de faire un test de dépistage des hépatites virales ; la mention « parlez-en à votre médecin » pourrait être systématiquement rajoutée à la suite de tout résultat de bilan hépatique réalisé dans un laboratoire. De même, il serait nécessaire de permettre aux laboratoires d’effectuer systématiquement un dosage d’ADN viral B devant un résultat positif d’antigène HBs et un dosage d’ARN delta en cas de positivité de la sérologie delta sans prescription médicale préalable afin d’accélérer la prise en charge du patient. Dans les établissements de dons du sang, les patients non prélevés en raison d’un facteur de risque viral devraient être systématiquement orientés vers un dépistage des hépatites virales. Des actions nationales combinant dépistage et vaccination pourraient être mises en place de façon régulière (par exemple, sous la forme d’une semaine donnée une fois par an, de dépistage et de vaccination gratuites). La médecine préventive pourrait être développée dans les CeGIDD, les PASS et les associations de populations à risque par des actions combinées dépistage/vaccination et prise en charge de santé globale en mettant en place de protocoles de délégation de tâches aux acteurs de prévention. La vaccination peut être promue par le port d’un badge « Je suis vaccinée contre l’hépatite B » par les professionnels de santé (comme pour la grippe et la COVID, par exemple). Des fiches d’information sur l’hépatite B pourraient être distribuées aux services de médecine du travail et de médecine universitaire destinées aux professions à obligation vaccinale, avec des informations sur les conditions nécessaires à remplir chez les sujets ayant une hépatite B chronique pour pratiquer la profession de leur choix. Afin de prévenir les patients avec une hépatite chronique B avant de leur engagement dans une formation professionnelle de ce type, une information et des séances de prévention devraient être réalisées dans les collèges et une alerte « information » créée sur la plate-forme ParcourSup au moment du choix d’une de ces filières.
Enfin, le sixième axe concerne la collaboration Nord-Sud. La première action concerne la prévention de la transmission materno-fœtale par le dépistage des femmes avant et pendant la grossesse, le traitement des femmes enceintes avec une charge virale élevée et la vaccination des enfants dès le jour de leur naissance. Les autres actions préconisées au niveau mondial sont l’accès pour tous les citoyens du monde à l’information, la prévention, au dépistage des hépatites virales B, C et D et du VIH, sans stigmatisation, l’inclusion de l’hépatite B dans les pathologies du fond mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme avec un accès au vaccin et aux traitements dans tous les pays. Les mesures recommandées en France concernant les migrants sont l’amélioration de la protection de l’enfance notamment des mineurs non accompagnés, le droit à l’information et à la santé (globale et sexuelle), le droit à la connaissance de leur statut par rapport aux hépatites virales B, C, D et au VIH, le droit à la vaccination chez les sujets non immunisés et le droit pour tous à un accompagnement leur permettant de rester acteur de leur santé. L’accès des migrants au dispositif de soins urgents et vitaux, et à un parcours de soins dédié, spécialisé en hépatologie, devrait être possible dès le diagnostic de l’hépatite. La dernière action préconisée est de garantir un droit effectif au séjour pour les étrangers malades et leurs proches sur tout le territoire.
En conclusion, ce travail d’enquête montre les besoins attendus des patients atteints d’hépatite B, au cours des étapes de dépistage, de prévention et de prise en charge, le côté toujours stigmatisant de cette maladie peu connue et considérée comme « honteuse » par beaucoup, dans la population générale, les conséquences en termes de prise en charge médicale mais aussi en termes de qualité de vie. Certaines mesures peuvent paraitre difficiles à mettre en place mais sont importantes à initier ou à améliorer, en particulier la prévention de la transmission materno-fœtale et la diffusion de la vaccination dans le monde entier ; d’autres plus simples à réaliser, pourraient diminuer rapidement la vulnérabilité médicale et sociale des sujets atteints en particulier par la sensibilisation de tous les acteurs de santé et le développement de la vaccination pour les personnes non immunisées, la prise en charge à 100 % dès le diagnostic, l’accompagnement et l’éducation thérapeutique, l’information des patients, de leur entourage et de la population générale.