Les Éditos de l'AFEF

Prise en charge des hépatites virales chez les patients vulnérables : la route est encore longue

Par : Rosa Isabelle
Docteur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, CHI de Créteil

La santé des migrants est un sujet concernant non seulement le domaine médical mais aussi le domaine politique. Nos sociétés sont celles de la mobilité des personnes, des migrations souhaitées mais aussi des migrations subies pour cause de conflits, et probablement pour des raisons climatiques dans le futur.

En France, le droit à protection de la santé pour tous permet à chacun, quelle que soit sa situation, d’accéder à la prévention et aux soins. Ainsi la protection maladie «universelle», l’aide médicale d’État, les soins urgents ou encore la procédure dite «étranger malade» sont des dispositifs fondamentaux pour permettre l’accès à la santé. La prise en charge des migrants nécessite souvent la mobilisation des professionnels et établissements de santé avec par exemple le développement de l’accès à l’interprétariat sanitaire ou encore le renforcement des liens avec les acteurs du secteur social. Comme le rappelle le directeur général de la santé le Professeur Salomon, la difficulté n’est pas uniquement celle de poser un diagnostic mais de prendre en compte la situation de vulnérabilité de ces patients, ne parlant pas ou peu français, sans ressources et sans logement.

En France, pour les hépatogastroentérologues, la prise en charge médicale des migrants concerne avant tout le dépistage, le traitement ainsi que le suivi des hépatites virales.

L’élimination de l’hépatite C en 2025 voulue par nos instances passe par le dépistage et le traitement des personnes migrantes, qui représentent un des derniers réservoirs du virus. L’expérience du Comède, des PASS ou du programme Precavir, a montré l’efficience d’un dépistage des hépatites B et C dans cette population et les résultats positifs d’une prise en charge thérapeutique adaptée.

S’agissant de l’hépatite C, sa prise en charge s’est considérablement modifiée et allégée. Les recommandations de l’AFEF ont permis la mise en place d’un parcours simplifié des patients infectés non sévères. La prescription de traitements courts, per os, bien tolérés permet un traitement en ambulatoire avec une surveillance minimale clinique et biologique. Cette facilité de prescription et d’administration des traitements a permis la prise en charge des patients les plus vulnérables : sans domicile fixe, migrants de la même façon que les autres patients. Le médecin peut ainsi prescrire le traitement sans se préoccuper de l’habitat, du cadre de vie et des difficultés sociales rencontrées par le patient….

La situation est identique pour l’hépatite chronique virale B. On sait que dans la population migrante et/ou précaire l’infection par le virus de l’hépatite B est beaucoup plus fréquente avec des taux atteignant jusqu’à 8 % de positivité de l’antigène HBs. Si le suivi de ces patients est parfois un peu chaotique, notamment pour ceux atteints d’une infection virale B inactive, celui des patients relevant d’un traitement oral par analogues nucléosidiques ou nucléotidiques est généralement correct avec une bonne observance du traitement. Il est à noter par ailleurs que la présence d’une infection chronique virale B active nécessitant la mise en place d’un traitement permet l’ouverture d’un dossier pour soins auprès de la préfecture.

Alors pourquoi cet éditorial pour reparler d’hépatites virales et migrants si le problème de l’accès au dépistage et au traitement est réglé ? C’est sans compter sur le retour de l’hépatite Delta. Depuis 2019 l’hépatite Delta fait son retour et revient au-devant de la scène hépatologique. On peut y voir deux bonnes raisons : la 1ère est la place laissée vacante par la diminution du nombre de d’hépatites chroniques virales C et surtout l’arrivée d’un traitement en 2020: le bulévirtide.

Jusqu’à présent l’hépatite Delta était l’hépatite oubliée : plus sévère, mais plus rare, pas de traitement ayant l’AMM, un nombre de guérisons limité avec l’interféron. L’augmentation de mouvements migratoires d’Afrique sub-saharienne et de l’ex URSS a provoqué une augmentation du nombre de patients migrants infectés par le Delta. L’article issu de la cohorte HEPATHER publié ce mois-ci dans Liver Int consacré à l’hépatite Delta chez les migrants rapporte les données recueillies entre 2013 et 2018 dans la cohorte ANRS CO22 HEPATHER. Dans ce papier les auteurs ont montré que 90,0 % des patients co-infectés par le VHB-VHD en France et atteints de VHD chronique étaient des migrants. Les résultats préliminaires d’une étude HEPATHER plus récente montrent également que le risque de mortalité toutes causes confondues est 3,55 plus élevé chez les migrants co-infectés par le VHB-VHD que chez leurs homologues mono-infectés par le VHB.

Mais encore faut-il penser au dépistage. Aux États-Unis et au Canada le dépistage de l’hépatite Delta n’est pas recommandé et n’est que rarement réalisé. En Europe, l’EASL recommande le dépistage systématique du Delta chez tous les patients ayant un AgHBs positif. Ce dépistage est loin d’être systématique en France, où on estime que 4% à 10% des personnes infectées par le VHB sont infectées par le Delta. Un travail rétrospectif présenté à l’AASLD réalisé dans un centre expert d’hépatites virales en France a montré que 51 % de sujets AgHBs positifs n’avaient pas été testés pour le VHD et soulignait l’intérêt de coupler systématiquement la recherche d’anticorps anti VHD chez tous les sujets AgHBs+ pour optimiser le diagnostic de cette maladie virale (« reflex testing »).

Malheureusement, les campagnes de prévention du VHB et du VHD en Europe sont quasiment inexistantes pour les migrants. Cette population est confrontée à l’accumulation de formes de vulnérabilité et d’exclusion dans le nouveau pays d’accueil. Les résultats préliminaires d’HEPATHER montrent que la majorité (61,6%) de cette population vit en situation de pauvreté. La moitié des personnes diagnostiquées et un quart de celles qui ont initié un traitement contre le VHB étaient en France depuis 2 ans au maximum, ne parlant pas le français et sans logement stable.

On imagine donc bien la difficulté de prise en charge thérapeutique de ces patients avec les nouveaux traitements. Le bulevirtide, disponible depuis le 14 Septembre 2020 a obtenu une autorisation de mise sur le marché dont la dispensation est hospitalière. Selon l’AMM, le bulévirtide à la dose de 2mg quotidienne par voie sous cutanée est indiqué dans le traitement de l’infection chronique par le VHD chez les patients adultes présentant une maladie hépatique compensée ayant un ARN du VHD positif.

Ce traitement ne peut être correctement administré que lorsque le patient peut bénéficier d’un logement et avoir accès sans contrainte à un réfrigérateur pour pouvoir conserver le médicament. Il faut également qu’il puisse avoir un degré de compréhension du français suffisant pour pouvoir réaliser la reconstitution du produit et les injections. Ces conditions ne sont malheureusement pas présentes chez la grande majorité des patients migrants infectés par l’hépatite delta. Ainsi au mieux ils sont hébergés chez des amis ou dans la famille mais l’annonce d’une infection virale chronique provoquerait invariablement l’exclusion du patient du domicile de peur d’une contamination. Ainsi ces patients refusent de révéler leur pathologie et ne peuvent utiliser le réfrigérateur pour stockage des médicaments. Certains patients vivent dans la rue et refusent les centres d’hébergement, en raison de la violence et des vols, sans parler des puces de lit… Comment débuter un traitement dans ces conditions ?

En France, le patient migrant est censé être traité de la même façon que les autres patients. La mise en place des consultations PASS obligatoires permet la prise en charge des migrants sans papier avec un relais par l’aide médicale d’état au bout de 3 mois de présence sur le territoire. Cette aide médicale état permet alors la prescription de traitements quels qu’ils soient, y compris les plus coûteux comme ceux actifs contre le virus de l’hépatite C ou contre le virus de l’hépatite delta. En revanche ces patients n’ont pas d’autorisation de travail tant qu’ils n’ont pas un récépissé en règle. Sans travail pas de logement et sans logement, pas de traitement. L’étude Parcours a montré qu’il fallait environ 7 ans pour obtenir une régularisation des papiers et un permis de travail pour un patient ayant une hépatite chronique B.

En 7 ans, l’hépatite delta aura fait ses dégâts et le patient aura potentiellement évolué vers une cirrhose et/ou un cancer primitif du foie. Sur le papier, les solutions existent tels que les appartements thérapeutiques que l’on pourrait proposer à ces patient de la même façon qu’aux patients infectés par le VIH. Malheureusement dans certaines régions telles que l’île de France l’accès aux appartements thérapeutiques est très restreint avec un temps d’attente d’au moins 2 ans et souvent, ces logements sont situés très loin du lieu de prise en charge médicale. De nombreux textes légaux existent sur le droit au logement des patients migrants et la DGS a récemment publié les recours possibles proposés par la France.

… En attendant, je n’ai rien pu faire ni dire aux trois derniers patients vus en consultation pour une cirrhose Delta.

Références

  1. Françoise Roudot-Thoraval, Isabelle Rosa-Hézode, Isabelle Delacroix-Szmania. Prise en charge des populations précaires fréquentant les permanences d’accès aux soins de santé, atteintes d’hépatites et ayant bénéficié d’une proposition systématique de dépistage : étude Précavir 2007-2015. BEH N° 14-15 – 20 juin 2017
  2. https://www.gouvernement.fr/pole-migrants-acces-au-logement-des-refugies
  3. Marta Lotto , Hélène Fontaine, Fabienne Marcellin et al. Hepatitis Delta virus in migrants: The challenge of elimination (ANRS CO22 HEPATHER cohort). Liver Int. 2022 Jan;42(1):249-252.
  4. ANRS-Parcours – Enquête ANRS- PARCOURS « Parcours de vie, VIH et hépatite B chez les migrants africains vivant en Ile de France » Desgrées du Loû Annabel , Centre Population et développement, UMR 196 Université Paris Descartes-IRD, Paris, France Lydié Nathalie, Santé publique France
  5. Jérôme Salomon, Magali Guégan, Julie Bouscaillou. Politique de santé en faveur des migrants : enjeux et défis. Direction générale de la santé. adsp n° 111 juin 2020