Les Éditos de l'AFEF

Agir pour la Santé Publique est un combat permanent : l’exemple du NutriScore.
Petit historique pour mieux le défendre.

Par : Hanslik Bertrand
Docteur - Montpellier

Dans notre spécialité, une place de plus en plus importante est accordée à la prise en charge des stéatopathies dysmétaboliques, à leur risques, hépatique, mais aussi et surtout cardio-vasculaire et de cancer. Nous partageons probablement tous les recommandations 2016 de l’EASL : l’évaluation de l’activité physique et du profil de régime diététique constitue un élément important du dépistage et de prise en charge de ces pathologies (Grade A1). La majorité de nos patients présentant une stéatopathie avec surpoids, s’attendent à nous voir « faire notre métier » : conseiller, parallèlement à la pratique d’une activité physique régulière, les modifications nutritionnelles utiles à un régime sain : moins de calories, de graisses saturées et d’hydrates de carbone raffinés, limiter les aliments transformés, riches en fructose, favoriser une répartition des nutriments répondant à celle de la diète méditerranéenne… « Oui, docteur, je sais : « manger, bouger… 5 fruits et légumes… ». Mais nous savons bien dans ce domaine qu’il est facile de dire, moins de faire…

La plupart des Français ne mangent pas leurs cinq fruits et légumes quotidiens, mais ils savent qu’ils ont tort (ce qui est déjà bien). Les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), mis en place en 2001, sont basées sur les connaissances scientifiques actuelles, et formulées de manière à être comprises par tous les citoyens. Ces conseils bien connus, réunis sous un même slogan, « manger, bouger », apparaissent depuis 2007, par obligation légale, dans toutes les publicités pour aliments et boissons. Malgré de nombreuses campagnes de communication, le problème du surpoids reste entier : près de 50% des Français adultes sont aujourd’hui en surpoids, et 15% sont obèses (Enquête Obepi 2012, cohorte Constances). La mise à disposition des informations nutritionnelles sur les emballages et la prise de conscience des enjeux de nutrition par les citoyens ne suffisant pas, c’est probablement sur leur environnement qu’il faut aussi avoir un impact. D’autres mesures prenant en compte toutes les dimensions de nos comportements alimentaires doivent être prises. Les logos informatifs sont une autre façon d’essayer d’améliorer la situation, et le NutriScore doit être soutenu, car c’est le plus efficace.

Des conflits underground à connaître… qui devraient intéresser tous les hépato-gastroentérologues.

Faut-il de nouveau subir, sans réagir, de nouvelles actions de lobbying des industriels de l’agro-alimentaire, allant à l’encontre des objectifs de santé publique ? Un combat est en cours entre fabricants, grande distribution, et nos confrères spécialistes de santé publique et de nutrition, notamment l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), Pr Serge Hercberg, (Université Sorbonnde Paris Nord). Il porte sur la manière la plus efficace d’informer les consommateurs sur la valeur nutritionnelle des produits.

Actuellement, les renseignements sont peu visibles, inscrits à l’arrière des emballages en petits caractères. Demain devrait figurer, sur le devant, en évidence, un logo distinctif pour reconnaître rapidement les produits les meilleurs pour la santé. L’association de consommateurs UFC–Que Choisir rappelle que ce qui est demandé à cette signalétique, c’est simplement d’aider le consommateur à faire les choix les plus favorables à sa santé.

Le NutriScore a été conçu par l’EREN, une équipe de chercheurs académiques indépendants (i.e. sans conflits d’intérêts) travaillant pour l’Inserm, l’Inra, le CNAM et l’Université Sorbonne Paris Nord. Destiné à être apposé sur la face avant des emballages (FOP -Front Of Pack- logo), il a pour objectif premier d’informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle globale des aliments. Il s’agit de les aider à comparer facilement les produits entre eux, afin d’orienter leurs choix vers les aliments les plus favorables à la santé. Le deuxième objectif du NutriScore est de pousser les fabricants à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs aliments, grâce notamment à des reformulations des produits existants

Validé par des publications dans des revues internationales à comité de lecture (Impact of Different Front-of-Pack Nutrition Labels on Consumer Purchasing Intentions: A Randomized Controlled Trial. Ducrot P. et al, Am J Prev Med. 2016), ce système utilise un score de qualité nutritionnelle calculé à l’aide d’informations qui sont pour la plupart déjà fournies obligatoirement par les industriels et producteurs lors de la mise sur le marché des produits. Ce sont les compositions en nutriments indiquées en face arrière des emballages alimentaires : énergie, protéines, sucres, acides gras saturés, sodium, fibres, auquel s’ajoute la teneur en fruits et légumes. Le score est ensuite utilisé pour classer les produits en 5 catégories (associant une lettre et une couleur, du vert au rouge) de qualité nutritionnelle décroissante. Il est synthétique, ne donnant au consommateur qu’un seul élément d’information. Il est également aisément compréhensible par les consommateurs les moins à l’aise avec les chiffres.

Un algorithme (scientifiquement validé, public et consultable sur le site de Santé Publique France) calcule une note utilisée pour attribuer une lettre de A à E au produit considéré. Parmi les facteurs positifs figurent notamment la part de fruits et de légumes, légumineuses, noix dans l’aliment considéré, sa teneur en protéines et en fibres (pour 100 g). Les facteurs à limiter sont les calories (l’énergie apportée), la présence d’acides gras saturés, de sel, de sucre. Les aliments moins bien notés ne doivent pas être consommés trop souvent ou en grosses quantités, mais il ne s’agit pas de les éliminer radicalement.

Un arrêté interministériel français (Santé, Agriculture, Economie) signé en octobre 2017 (https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2017/10/31/SSAP1730474A/jo/texte), recommande le NutriScore comme système d’information nutritionnelle officiel simplifié. Cependant, son affichage reste facultatif, car le règlement européen INCO (INformation COnsommateur, qui rend obligatoire le tableau des valeurs nutritionnelles au dos des emballages) interdit pour l’instant aux États européens de rendre obligatoire un système d’information nutritionnel complémentaire sur la face avant des emballages.

Tous les travaux menés dans le cadre de la concertation lancée en 2015 sur le sujet, ou indépendamment par des équipes de recherche publique de l’Inserm, de l’INRA, et de différentes universités, ont montré une supériorité du NutriScore par rapport aux autres signalétiques testées. Les études ont porté à la fois sur la perception des différents logos par les consommateurs, leur compréhension objective, et leur impact sur la qualité nutritionnelle des achats alimentaires mesurée soit dans un supermarché expérimental, soit dans de véritables magasins. Les résultats de ces travaux sont convergents et démontrent une efficacité supérieure du NutriScore.

Un débat avait eu lieu au sujet de la pertinence scientifique de ces études. En février 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses, chargée de l’évaluation des risques dans le domaine de l’alimentation, et travaillant depuis des années pour évaluer la valeur des différents nutriments (protéines, lipides, glucides, vitamines…) et définir des seuils de consommation optimale) a rendu un avis concluant que : « Rien ne prouve que les nouveaux systèmes d’étiquetage nutritionnel actuellement testés en France seront efficaces pour faire diminuer les maladies chroniques (obésité, diabète, etc.) » et « En l’état actuel des connaissances, la pertinence des systèmes d’information nutritionnelle (SIN) examinés, dans une perspective de santé publique, n’est pas démontrée ». (Systèmes d’information nutritionnelle : un niveau de preuve insuffisant pour démontrer leur pertinence au regard des enjeux de santé publique)

La Société française de santé publique (SFSP) ne partage pas les conclusions de l’Anses sur la non « pertinence » de ces logos. Elle réagit par l’intermédiaire de son président (Pr Pierre Lombrail, Sorbonne Paris Nord) (https://theconversation.com/experimentation-dans-les-supermarches-de-letiquetage-nutritionnel-quelle-transparence-73037). « Etiqueter les aliments selon leur valeur nutritionnelle est bon pour notre santé ; tout dépend de la manière dont on cherche à évaluer l’efficacité de cette mesure ». Avec une argumentation claire, il précise que les effets des logos sur une maladie comme l’obésité (ou des pathologies qui se développent sur plusieurs années) ne pourront pas être mesurés avant longtemps, sachant qu’un seul pays (l’Australie) a adopté un système comparable, et seulement en 2014. Or, l’ambition des créateurs de ces signalétiques est bien plus modeste que montrer une réduction de l’incidence de l’obésité, des cancers, du diabète ou des maladies cardiovasculaires dans l’ensemble de la population par l’intermédiaire de leurs effets sur les choix alimentaires. Des codes couleur ne peuvent, à eux seuls, produire des résultats aussi spectaculaires. Leur apposition sur les emballages favorise une meilleure nutrition, en mobilisant à la fois l’information, l’éducation, l’accès des familles les plus modestes aux bons produits, ou encore la réduction de la pression marketing et publicitaire (en particulier sur les enfants). De plus, tout le monde convient que l’alimentation n’est pas le seul grand axe de la politique nutritionnelle. Il en existe un second : l’activité physique !

Il n’est donc pas certain que les logos nutritionnels aient un impact sur la santé, mais ils peuvent aider dans une stratégie globale. Inversement, si rien ne se fait, il n’y aura de fait aucun impact. Et être plus clairement informé est une raison suffisante pour ne pas s’en priver.

Des discussions sont en cours pour décider quel logo nutritionnel unique devrait être appliqué de manière obligatoire à partir de 2022 partout en Europe. Le Nutri-score est évidemment un candidat très sérieux, car il s’agit du seul logo ayant fait l’objet d’une validation scientifique approfondie (plus d’une quarantaine de publications)

L’intense lobbying et le mépris des industriels

Début 2021, environ 500 entreprises (industriels et distributeurs, ce qui représente près de 700 marques) se sont engagées en faveur du NutriScore, soit environ 50 % du marché alimentaire français. Mais plusieurs des plus grandes multinationales n’ont toujours pas rejoint ce mouvement positif, utile aux consommateurs. Selon l’ONG Oxfam, les 10 plus grandes firmes de l’agro-alimentaire détiennent près de 500 marques différentes, constituant ainsi une très grande partie de l’offre alimentaire à la disposition des consommateurs. Parmi ces 10 multinationales, plusieurs refusent toujours d’afficher le NutriScore (seules Danone, Nestlé, et récemment Kellogg ont accepté).

La fédération « Alliance 7 » regroupant des fabricants de céréales pour petit-déjeuner, bonbons ou biscuits voudrait développer au niveau européen un logo alternatif, s’alignant sur la position des « Big 6 » (les six multinationales, Mars, Mondelez, Nestlé, Coca-Cola, Unilever et PepsiCo), annoncée en mars 2017.

En dépit des preuves scientifiques, et au mépris des positions des associations de consommateurs qui réclament le NutriScore, ces lobbys agroalimentaires le rejettent, et veulent proposer un système alternatif « potentiellement moins pénalisant pour leurs intérêts, en le justifiant par son intérêt pour les consommateurs ».

Ainsi les industriels du Big 6 ont-ils proposé d’utiliser l’Evolved Nutrition Label, un système graphique avec des couleurs pour chaque nutriment, système alternatif dérivé du « feu tricolore multiple » utilisé en Grande-Bretagne, qui a pourtant été testé dans les différentes études et a montré des performances moindres par rapport au NutriScore. Pour choisir entre deux produits, le consommateur doit comparer dix informations, au lieu d’une avec le NutriScore. Ce système a donc tendance à compliquer et à parasiter le message apporté, car il faut hiérarchiser les informations indiquées. Quel produit choisir entre l’un à teneur élevée en sel et faible en gras, et l’autre à teneur élevée en gras et faible en sel ? Heureusement, dénoncé par les scientifiques et les consommateurs, ce projet a été « suspendu » par ses promoteurs en 2018.

3 façons d’informer sur la valeur nutritionnelle en « tirant vers le jaune » une barre Twix® :

Nutriscore pour une barre de Twix®

NutriCouleurs britannique

Evolved Nutrtion Label (hypothèse d’un (seuil à 20 % des apports de référence) Proposé par le groupe des « Big 6 » (« suspendu » depuis 2018)

Un nombre croissant de consommateurs cherche des informations nutritionnelles sur les produits qu’ils achètent, via des applis dédiées comme celle du site participatif Open Food Facts (https://fr.openfoodfacts.org) ou Yuka (https://yuka.io). Leurs bases de données permettent déjà d’établir le classement des produits industriels du Big 6 dans le système NutriScore. Une grande partie des produits de ces sociétés sont particulièrement sucrés, gras ou salés. Par exemple, pour les groupes Mars ou Ferrero, 100 % des aliments de la firme figurant sur Open Food Facts sont classés en orange ou en rouge (Mondelez : 86 %, Nestlé : 55% ; Unilever : 52%, Kellogg’s : 50% …).

Le refus du logo officiel par ces industriels est bien sûr dicté par leurs intérêts commerciaux. Or, les consommateurs sont demandeurs de transparence sur les questions de santé et l’alimentation. Nous constatons chaque jour dans nos consultations les difficultés qu’ont les patients quand on leur conseille d’obtenir une perte pondérale. Il ne s’agit pas seulement de comparer des choux et des chips, mais aussi de choisir entre 2 paquets de chips ou 2 paquets de céréales au petit déjeuner. Les logos ne diminueront probablement pas à eux seuls les maladies chroniques, mais une information transparente et des repères un peu plus clairs devraient participer à aider nos patients.

En juillet 2021, 417 scientifiques et 30 associations d’experts (représentant des centaines de scientifiques et de professionnels de la santé) travaillant dans 32 pays européens dans les domaines de la nutrition, de l’obésité, de l’endocrinologie, de la santé publique, de la médecine préventive, de la cancérologie, de la cardiologie, de la pédiatrie et du marketing social,.. ont lancé un appel (texte scientifique documenté dans Vitamin and Nutrition Research : https://doi.org/10.1024/0300-9831/a000722), précédé par une prise de position de Prise de position de l’European Academy of Paediatrics (EAP) et du European Childhood Obesity Group (ECOG) (Ann Nutr Metab 2021;77:23–28), demandant à la Commission européenne, dans l’intérêt des consommateurs et de la santé publique, d’adopter Nutri-Score dès que possible en tant que logo nutritionnel harmonisé et obligatoire pour être apposé sur la face avant des emballages des aliments en Europe.

Après son adoption en France en 2017, le Nutri-Score a été adopté par d’autres pays européens (Belgique, Allemagne, Suisse, et bientôt Espagne, Pays-Bas et Luxembourg). Une évaluation intéressante a été réalisée en France après 3 ans d’utilisation (https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/nutriscorebilan3ans.pdf).

Mais les industriels et leurs lobbyistes poursuivent une lutte acharnée, en utilisant une argumentation toujours travaillée et démagogique. NutriScore inclus, aucun système d’affichage ne sera parfait. Les questions fréquemment posées (notamment à travers les réseaux sociaux), comme par exemple les raisons du calcul sur la base de 100g et non par portion (comme demandé par les industriels), doivent être entendues et les explications inlassablement fournies. Beaucoup d’informations sont disponibles sur https://nutriscore.blog/2021/

Depuis quelques mois, à côté du lobbying anti NutriScore des industriels, apparait celui de certains secteurs agricoles (fromages, notamment Roquefort, huiles d’olive, charcuteries, souvent classés D ou E…), gênés pour l’exploitation de l’image d’aliments « traditionnels » de qualité, faisant partie d’un patrimoine culinaire national ou régional. Malheureusement, même avec un signe de qualité ou d’origine (AOC/AOP, IGP, Bio, Label Rouge…), un produit gras, sucré ou salé reste un produit gras, sucré ou salé.

Le Nutri-score sera amené à évoluer. Il ne se focalise que sur les aspects nutritionnels (sucre, sel, fibres, etc.) car à ce jour, ce sont les facteurs pour lesquels le niveau de preuve scientifique est le plus fort en termes d’impact sur la santé. La présence d’additifs ou de pesticides n’est pas intégrée, pour l’instant, les niveaux de preuve restant encore limités. Un groupe de travail international a été mis en place pour proposer des améliorations à apporter au Nutri-score, en fonction de l’évolution des connaissances. Toutefois, qu’il s’agisse d’additifs ou de contaminants environnementaux comme les pesticides, on sort du cadre purement nutritionnel. L’idéal serait donc, à terme, de faire évoluer l’étiquetage vers un logo composite renseignant sur les trois dimensions complémentaires pouvant influer sur l’impact santé des aliments : qualité nutritionnelle avec le Nutri-score, et également additifs et contaminants environnementaux.

Difficile pour nous, hépato-gastroentérologues, de ne pas se sentir concernés et de ne pas soutenir activement le NutriScore !