Les Éditos de l'AFEF

Biopsies hépatiques dans le carcinome hépatocellulaire, un retour en arrière pour un bond en avant ?

Par : Saltel Frédéric
Docteur - INSERM U1053, Liver cancer and invasion, Université Bordeaux

Les indications de biopsie hépatique dépendent du type de pathologie et doivent obéir à une logique d’évaluation des bénéfices par rapport aux risques encourus. En effet, ce geste n’est pas anodin et peut engendrer des complications, parfois graves, comme le décès du patient. Dans le cadre du carcinome hépatocellulaire (CHC), cancer primitif du foie le plus fréquent, cet acte n’est pas systématique (1). En effet, l’enjeu majeur est le diagnostic de certitude de la malignité et, sous certaines conditions, l’imagerie médicale permet de faire le diagnostic de CHC de façon non invasive avec une excellente spécificité. D’un autre côté, l’histologie apporte des informations pronostiques et théranostiques susceptibles d’adapter au mieux la prise en charge individuelle.

Cependant, des difficultés subsistent et la réalité clinique n’est pas si simple dans l’établissement de diagnostic. On peut citer notamment les doutes qui peuvent apparaître entre les nodules régénératifs et les CHC très différenciés, et le diagnostic différentiel parfois difficile entre CHC et cholangiocarcinome ou hepato-cholangiocacinome, tumeurs dont le traitement est différent. La difficulté de diagnostic est d’autant plus grande que le nodule est petit. La décision de biopsie en routine dépendra donc de plusieurs facteurs incluant les niveaux de risque du geste (cirrhose décompensée, troubles de la coagulation..) d’une part et d’incertitude du diagnostic radiologique, particulièrement fréquent pour les tumeurs de petite taille, d’autre part. Le diagnostic formel reste primordial, car il conditionne des choix aussi importants que l’éligibilité à la transplantation (2).

Le rôle de la biopsie hépatique pour les patients atteint de CHC constitue un des débats les plus importants au sein de la communauté des experts du cancer primitif du foie. Ce débat dépasse le cadre de la clinique, car il touche tous les aspects de la recherche, tant translationnelle que fondamentale. La biopsie tissulaire présente de nombreux désavantages en plus du risque de morbidité déjà mentionné. En particulier, elle ne correspond qu’à un sous-échantillonnage de la tumeur ; elle ne représente qu’un état de la tumeur à un moment donné, ne permet pas de tester un grand nombre de biomarqueurs par des techniques classiques et ne permet pas un suivi de l’évolution de la tumeur qui nécessiterait des prélèvements itératifs avec un risque accru de survenue de complications. Elle soulève également la question du mode de conservation, fixé ou congelé, qui conditionne différentes problématiques, de capacités de stockage par exemple et de faisabilité pour les analyses qu’on souhaite réaliser.

Alors pourquoi ce débat, alors qu’il existe des pistes alternatives prometteuses aux biopsies tissulaires comme les biopsies liquides ou l’utilisation de l’intelligence artificielle pour traiter les données d’imagerie. Ces perspectives sont effectivement attrayantes et elles concernent de multiples composants biologiques. En effet, à partir d’un prélèvement sanguin, facilement accessible et réalisable, sans réel risque et que l’on peut répéter, on peut extraire et analyser de nombreux éléments. On peut citer, les cellules cancéreuses circulantes (CTCs), l’ADN circulant, les microARNs, les microparticules associées aux tumeurs (exosomes, oncosomes, etc..) qui sont autant d’éléments qui vont pouvoir donner des informations cruciales sur la tumeur (3). Les données extraites et combinées de ces différents éléments vont nous renseigner sur la biologie de la tumeur, les voies de signalisation activées et donc permettre de mieux comprendre et de mieux traiter la tumeur. Cependant, ces approches comme toutes les approches ne sont pas parfaites, ici aussi l’information est parcellaire et noyée dans tous les composants sanguins issus du reste de l’organisme. Il est par conséquent délicat d’extraire les informations pertinentes de cet échantillon biologique complexe.

Alors, pourquoi ce débat autour des biopsies tissulaires persiste et suscite l’intérêt à la fois des cliniciens et des chercheurs ? L’émergence de technologies moléculaires à haut débit permet désormais d’accéder, à partir des biopsies, aux mécanismes moléculaires impliqués dans le CHC. Ces données sont primordiales pour atteindre la mise en place d’une véritable médecine de précision (4). D’ores et déjà, la biopsie est, par l’analyse des anatomopathologistes, un outil précieux pour aboutir à un diagnostic et peut venir en appui de l’imagerie médicale. Les pathologistes peuvent analyser la morphologie tissulaire et visualiser l’expression de biomarqueurs par immunohistochimie. L’analyse par multiplexage, c’est à dire de plusieurs dizaines de biomarqueurs en même temps, notamment par différentes techniques de multiplexage comme par exemple l’Hyperion, pourront donner accès à des données complexes et plus complètes à partir d’une seule coupe de tissu. Les images obtenues pourront être combinées à l’intelligence artificielle pour extraire le maximum d’informations à partir d’une quantité incroyable de données générées. En plus des données immunohistologiques et d’analyse d’images, il est possible de réaliser des analyses « omiques » sur les biopsies tissulaires. Là aussi, les progrès technologiques permettent à partir de de biopsies congelées de réaliser des analyses génomiques (NGS) et transcriptomique (NanoString, par exemple) très avancées, de « Single cell RNA sequencing ». Ce type de données va également permettre d’établir de manière très précise la carte d’identité de la tumeur. Même si ces techniques ne sont pas parfaitement adaptées à des biopsies fixées, là aussi des alternatives existent. En effet, des analyses de biologie moléculaire peuvent être réalisées sur biopsies fixées afin de déterminer la présence de mutations ou de certains transcrits. De plus, la fixation des biopsies n’altère pas l’intégrité des protéines qui peuvent être identifiées et quantifiées par spectrométrie de masse. Ainsi les profils protéomiques des biopsies pourront peut-être prédire le traitement le plus adapté à donner au patient.
En effet, toutes ces données, en plus d’un aspect diagnostique et pronostique doivent permettre de développer la théranostique. Ceci n’avait jusque-là qu’un intérêt limité dû à un arsenal thérapeutique réduit uniquement au sorafenib pour les CHC avancés. Mais la donne a changé, les traitements de 1ère et 2ème ligne se multiplient, posant le problème du choix du traitement le plus adapté. Il est évident que l’analyse en profondeur des biopsies sera un atout majeur dans l’aide à la décision thérapeutique (5) .

Tout ceci démontre le potentiel des biopsies dans le CHC. Un matériel sous-estimé, sous utilisé et qui manque trop souvent sur le plan clinique et sur le plan de la recherche. En effet, dans les autres types de cancer notamment le cancer du sein, les biopsies sont restées un standard et se sont avérées des outils formidables pour des découvertes importantes sur le plan de la recherche fondamentale, translationnelle et clinique. Elles sont aussi utilisées pour une application théranostique.
Faut-il de nouveaux préconiser la réalisation de biopsies diagnostiques systématiques pour les CHC, dans un contexte de risque maitrisé ? Est-ce que ce retour en arrière, ne nous permettrait pas d’aller plus loin dans le traitement de ce cancer ?

Références

  1. Villanueva, A. (2019). Hepatocellular Carcinoma. N. Engl. J. Med. 380, 1450–1462.
  2. Di Tommaso, L., Spadaccini, M., Donadon, M., Personeni, N., Elamin, A., Aghemo, A., and Lleo, A. (2019). Role of liver biopsy in hepatocellular carcinoma. World J. Gastroenterol. 25, 6041–6052.
  3. Wu, X., Li, J., Gassa, A., Buchner, D., Alakus, H., Dong, Q., Ren, N., Liu, M., Odenthal, M., Stippel, D., et al. (2020). Circulating tumor DNA as an emerging liquid biopsy biomarker for early diagnosis and therapeutic monitoring in hepatocellular carcinoma. Int. J. Biol. Sci. 16, 1551–1562.
  4. Rebouissou, S., Nault, J.-C. (2020). Advances in molecular classification and precision oncology in hepatocellular carcinoma. J. Hepatol. 72, 215–229.
  5. Rastogi, A. (2018). Changing role of histopathology in the diagnosis and management of hepatocellular carcinoma. World
    J. Gastroenterol. 24, 4000–4013.