Les Éditos de l'AFEF

Cirrhose biliaire primitive : vers un potentiel traitement adjuvant à l’acide ursodésoxycholique ?

Par : Chazouillères Olivier
Professeur - AP-HP Saint-Antoine

Commentaires d’article
Hirschfield et al, Gastroenterology 2015 ; 148 : 751-761

L’acide ursodésochycholique (AUDC) est actuellement le seul médicament à l’efficacité prouvée dans le traitement de la cirrhose biliaire primitive (CBP). En effet, l’AUDC ralentit la progression histologique et améliore la survie sans transplantation. Cependant, la réponse à l’AUDC n’est pas constante et environ 1/3 des patients gardent, sous AUDC, des anomalies significatives des tests hépatiques (bilirubine, phosphatases alcalines et transaminases). La persistance de ces anomalies a une valeur pronostique péjorative en termes de survie sans complication hépatique. Un traitement adjuvant est donc hautement souhaitable chez les patients sans réponse biologique satisfaisante à l’AUDC.

Le farnesoid X recepteur (FXR) est un récepteur nucléaire dont la stimulation déclenche une réponse coordonnée permettant de protéger l’hépatocyte vis-à-vis de l’accumulation d’acides biliaires (diminution de leur synthèse et de leur captation, augmentation de leur sécrétion canaliculaire par l’hépatocyte). L’utilisation d’agonistes de FXR est donc potentiellement intéressante dans les maladies cholestatiques. En outre, dans des modèles expérimentaux, ces agonistes diminuent la synthèse des lipides et ont des propriétés anti-fibrosantes et anti-inflammatoires. L’acide obeticholique (AOB) est un acide biliaire synthétique ayant une activité agoniste FXR cent fois plus importante que l’acide chenodésoxycholique qui est le ligand naturel. Au sein de cette nouvelle classe thérapeutique, l’AOB est la molécule la plus avancée dans son évaluation clinique et a en particulier été étudié dans la NASH (Lancet 2015; 385: 956-965).

Cent soixante cinq CBP gardant des phosphatases alcalines (PAL) supérieures à 1,5 N sous AUDC ont été incluses dans cet essai multi-centrique contrôlé randomisé de phase 2. Quatre groupes ont été constitués (AOB : 10, 25 ou 50 mg/j et placebo) et le critère principal de jugement était l’évolution des PAL à 3 mois. Une diminution significative des PAL a été observée dans les 3 groupes AOB (21-25% en moyenne). Cette diminution était d’au moins 20% chez 69 % des patients AOB (vs 8% dans le groupe placebo, P<0,0003) et survenait dès le 1er mois. En outre, la γgt, les transaminases et les IgM ont significativement baissé (respectivement d’environ 50, 30 et 20%) ainsi que la concentration sérique des acides biliaires endogènes. L’effet secondaire principal a été la survenue ou la majoration d’un prurit (prurit sévère dans les groupes AOB : 16% (10 mg), 24% (25mg) et 37% (50 mg) vs 0% dans le groupe placebo). Il a en outre été observé des nausées (chez environ 10% des patients) et une diminution significative du HDL cholestérol. L’effet bénéfique sur les PAL a été maintenu chez 78 patients poursuivant la prise d’AOB en ouvert pendant un an (avec ajustement de la posologie en fonction de la sévérité du prurit).

Commentaires :

Cette étude confirme l’hypothèse de l’effet bénéfique adjuvant de l’AOB chez les CBP traitées par AUDC. Cet effet était attendu car les mécanismes d’action de l’AUDC sur la cholestase sont différents et, en particulier, l’AUDC n’a pas d’action agoniste FXR. Cet effet bénéfique biochimique n’était pas dose dépendant (10 à 50 mg/j) au contraire des effets secondaires et notamment du prurit. Un prurit a également été observé chez 25% des patients traités à la posologie de 25 mg/j dans l’essai NASH. Le mécanisme du prurit induit par l’AOB n’est pas connu. Quoiqu’il en soit, ce prurit constitue bien sûr une limitation importante à l’utilisation de l’AOB dans les maladies cholestatiques! Toutefois, une posologie de 10 mg/j semble en limiter l’incidence sans diminuer l’efficacité biochimique. Une autre potentielle limitation est constituée par la baisse du HDL cholestérol, observée également dans l’essai NASH (en outre associée à une augmentation du LDL cholestérol), bien que les évènements cardiovasculaires ne soient pas fréquents chez les CBP.

Clairement, des essais thérapeutiques plus longs évaluant l’AOB à la posologie de 10 mg/j avec des critères de jugement non exclusivement biochimiques sont nécessaires avant d’envisager son utilisation dans les CBP ne répondant pas (ou peu) à l’AUDC. Néanmoins, cette étude d’une classe thérapeutique innovante doit être saluée, d’autant plus que d’autres molécules de cette même classe sont en cours de développement. D’autres agents pour le traitement des maladies cholestatiques sont en cours d’évaluation : acide nor-ursodésoxycholique, agonistes PPAR (fibrates), inhibiteurs d’ASBT (permettant de limiter l’absorption intestinale des acides biliaires), modulateurs de TGR5 (récepteur des acides biliaires)… Il est hautement probable que certaines de ces molécules viendront seconder notre « bon vieil » AUDC dans les années à venir.