Les Éditos de l'AFEF

Congrès de l’EASL 2017… ou comment démêler le Vrai du Faux à propos de 3 idées reçues.

Par : Thabut Dominique
Professeur - UPMC Sorbonne Université, Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière

Le congrès de l’EASL 2017, qui s’est déroulé à Amsterdam dans une ambiance pré-électorale électrique pour nous tous, a été comme chaque année l’occasion de mettre à jour nos connaissances et d’être tenus au courant des dernières nouveautés de la spécialité. L’actualité a été riche, dominée par les avancées spectaculaires des traitements antiviraux. Le recul que nous avons maintenant sur les pathologies hépatiques virales a permis aussi de réviser nos classiques et de démêler le vrai du faux sur certaines idées reçues concernant les patients atteints du virus de l’hépatite C ou sur ces nouveaux traitements puissants et d’une efficacité … parfois redoutable ? Voici quelques quizz, et l’éclairage que le congrès a pu nous apporter.

QUIZZ 1 : Vrai ou Faux : chez les patients co-infectés VIH-VHC, la progression de la fibrose est plus rapide et la probabilité de développer un carcinome hépato-cellulaire plus importante.

Réponse : FAUX

Voilà une «vérité » que nous avons répété à nos étudiants maintes fois … En effet, jusqu’à maintenant, il était fait état d’une histoire naturelle de la cirrhose différente chez les patients co-infectés VIH-VHC par rapport aux patients mono-infectés VHC, avec un risque de décompensation accrue de la maladie hépatique, et une incidence plus élevée de survenue du carcinome hépato-cellulaire (CHC). D’ailleurs, ces patients ont très rapidement eu accès au traitement antiviral, quel que soit leur stade de fibrose, pour cette raison …
Le meilleur contrôle de l’infection VHC par les agents antiviraux directs (AADs) a modifié complètement ce concept, et nous suspections que le contrôle de la maladie virale, comme cela avait été le cas pour la maladie virale B, rétablirait l’égalité entre les patients mono-et co-infectés concernant le pronostic de la maladie hépatique. Ici, une étude comparative entre patients mono-et co-infectés inclus dans les cohortes prospectives de patients cirrhotiques mises en place par l’ANRS (CirVir et HEPAVIH), apporte enfin une réponse scientifique à cette question. Ce sont 1253 patients mono-infectés et 175 co-infectés qui ont été appariés au moyen d’une technique statistique rigoureuse utilisant un score de propension. Quatre-vingt-quinze patients dans chaque groupe ont été suivis pendant 5 ans. Le résultat est clair : les incidences cumulées de CHC et de décompensation de la cirrhose n’étaient pas statistiquement différentes entre patients mono- et co-infectés. Par contre, la mortalité globale restait trois fois plus élevée chez les patients co-infectés. Ceci s’explique probablement par les comorbidités extra-hépatiques qui caractérisent cette population : cancers, maladies cardio-vasculaires … le virus C étant maintenant souvent soupçonné d’être un facteur de risque de ce type de complications aussi, voilà une raison de plus pour traiter rapidement les malades co-infectés qui ne l’ont pas encore été … et pour rassurer ceux qui sont guéris !

Référence: Salmon D, France, Abs. PS-131

QUIZZ 2 : Vrai ou Faux : le traitement antiviral C par AADs augmente le risque de CHC.

Réponse : FAUX

Voilà la plus grosse controverse à propos des nouvelles combinaisons antivirales puissantes sans interféron. Et ce depuis la parution d’une étude espagnole et d’une étude italienne non contrôlées (Reig M, J Hepatol 2016 et Conti F, J Hepatol 2016), incluant un faible nombre de patients, suggérant un lien entre traitement antiviral et récidive d’un CHC. Les cohortes françaises ANRS avaient encore une fois apporté une réponse à cette question, dans une élégante réponse dans Journal of Hepatology l’an dernier, à l’occasion d’un très beau travail collaboratif entre les cohortes Hepather, CirVir et Cupilt (ANRS, J Hepatol 2016). Cette fois, les patients étaient bien comparables, suivis prospectivement, et il était constaté que l’incidence du CHC était moindre chez les patients guéris par AADs. Cependant, le lien entre le traitement des patients cirrhotiques par AADs et CHC était encore discuté, notamment en raison d’une communication particulièrement agressive des équipes espagnoles sur le sujet.

Dans les dernières recommandations AFEF sur la prise en charge de l’hépatite virale C publiées en mars 2017, il était écrit : “Chez les patients cirrhotiques à haut risque de CHC (antécédent de carcinome hépatocellulaire, âge > 50 ans, hypertension portale, syndrome métabolique, consommation d’alcool, co-infection virale, score de Child B ou C), une imagerie en coupe avant traitement doit être discutée ».

Au cours du congrès de l’EASL 2017 à Amsterdam, de très nombreuses communications ont évalué le
risque de survenue d’un CHC chez les patients traités par agents antiviraux directs.
-Six études (2 prospectives et 4 rétrospectives) et une méta-analyse ont étudié le risque de récidive du
CHC après AADs, sur 3009 patients en tout, presque tous cirrhotiques : aucune n’a montré de risque
accru de récidive de CHC après traitement.

Références:
Huang A, USA, Abs. LBP-508
Cabibbo G, Italie, Abs. THU-096
Telep LE, USA, Abs. FRI-275
Kolly P., Suisse, Abs. SAT-080
Virlogeux V, France, Abs. SAT-289
Yasui Y, Japon, Abs. SAT-296
Waziri R, Abs. PS-160

-Quatre études (2 prospectives et 2 rétrospectives) et une méta-analyse ont étudié le risque de survenue d’un CHC de novo après AADs, sur 16948 patients en tout, presque tous cirrhotiques : aucune
n’a montré de risque accru de CHC après traitement. En particulier, les résultats de la méta-analyse
montrent que l’incidence de CHC diminue avec le temps après le traitement (plus le suivi est court
dans les études, plus l’incidence est élevée), suggérant bien qu’il s’agissait probablement de CHC
préexistants au traitement.

Références :
Innes H, Royaume-Uni, Abs. PS-035
Calvaruso V, Italie, Abs. PS-038
Mettke F, Allemagne, Abs. THU-081
Reddy K, USA, Abs. FRI-185
Warizy R, Australie, Abs. PS-160

Cette question est donc résolue : le traitement par AADs n’augmente ni l’incidence de CHC ni la
récidive après traitement d’un CHC. Restera à démontrer que l’agressivité des CHC développés après
traitement n’est pas plus importante, ce qui fera l’objet d’études futures.

QUIZZ 3 : Vrai ou Faux : le traitement antiviral C par AADs augmente le risque de réactivation virale B.

Réponse : FAUX

Après la publication de plusieurs cas cliniques et de 3 études observationnelles rapportant des cas de réactivation virale B* durant un traitement par AADs chez des patients atteints d’hépatite chronique C et porteurs d’un AgHBs positif, l’inquiétude a gagné les prescripteurs. Une étude américaine notamment, publiée dans Annals of Internal Medecine, et signée par la FDA, a fait beaucoup de bruit (Bersiff-Marctcha SJ, Ann Int Med 2017) : elle décrivait 29 cas de réactivation virale B chez des patients généralement AgHBs positif. Cette étude a donné lieu à une alerte de la FDA et de l’Agence Européenne du Médicament. Il faut signaler le peu de détails concernant les patients décrits et le suivi dans cette étude publiée dans un prestigieux journal … Certains ont donc proposé un traitement prophylactique chez tous les patients AgHBs+ lors du traitement par AADs. Les recommandations AFEF récentes, plus raisonnables, stipulaient de surveiller les patients AgHBs positif sans les traiter. Une étude italienne présentée à l’EASL, sur 29 patients AgHBs positif traités par AADs, confirme que cette attitude est la bonne, puisque sur les 5 réactivations observées, le traitement par analogues nucléotidiques, débuté dès le diagnostic de réactivation, a été efficace. Une surveillance simple est donc à effectuer chez ces patients. Si le sujet est préoccupant chez les patients AgHBs positif, il l’est encore plus chez les patients Ac anti-HBc isolés, qui risquent aussi de faire une réactivation mais généralement ne savent pas qu’ils ont rencontré le virus B, et ne sont donc pas surveillés. A l’EASL, l’expérience chez les Vétérans Américains de Baltimore a été rapportée : 330 patients VHC+ traités par AADs dont 192 patients (58,2 %) avec un marqueur d’infection par le VHB résolue ou possiblement résolue ont été suivis prospectivement. Aucun n’était porteur de l’AgHBs. Aucune réactivation virale B n’a été rapportée… Cette étude est donc très rassurante et permet de conclure que si risque il existe, celui-ci est très faible. Il faut donc suivre les recommandations de l’AFEF et se contenter de surveiller (et rassurer…) les patients AgHBs positif, et les patients Ac anti-Hbc positif lorsque leur statut sérologique est connu.

*définie par une positivation ou une augmentation de la PCR du VHB

Références:
Coppola N, Italie, Abs. SAT-248
Tang L, USA, Abs. THU-144

En conclusion, toutes ces communications vont dans le même sens … traiter tous les patients atteints d’hépatite chronique C afin d’éradiquer définitivement la maladie virale C… en tout cas dans notre pays où nous avons la chance de pouvoir le faire… Le dépistage et le traitement de tous les patients qui ignorent leur maladie doit être une priorité pour nous tous. Rappelons aussi que le suivi de tous ces patients qui auront, le temps de leur infection virale C, développé une maladie hépatique fibrosante, sera indispensable tout au long de leur vie… ce d’autant que les facteurs de risque de maladie hépatique ne manquent pas dans notre pays… dont la gastronomie et les grands crus sont enviés partout ailleurs sur la planète… Restons sereins, l’éradication de la maladie virale C permettra à chacun d’en profiter un peu plus…