Les Éditos de l'AFEF

Coupe du Monde de Football : Est-ce bien pour le foie ??

Par : Rosa Isabelle
Docteur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, CHI de Créteil

La Coupe du Monde de football se déroule au Qatar depuis le 20 novembre. Plus de 20 millions de personnes regardent quotidiennement cet évènement qui au-delà des questions éthiques et morales liées aux conditions d’attribution et au pays organisateur, garde un impact très fort sur la population mondiale.

Alors j’ai voulu consacrer l’édito de l’AFEF à cet évènement planétaire mais encore fallait-il trouver un lien entre foie et Mondial de football et ce lien est : la NASH !! (aucun rapport avec le fait que le Professeur Jérome Boursier soit le nouveau secrétaire de l’AFEF…)

En piochant dans l’actualité, plusieurs articles ont été consacrés à la Coupe du Monde de foot et son impact attendu sur la santé. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a misé sur la Coupe du Monde au Qatar, pour sensibiliser à l’activité physique dans la région du Golfe (MENA), où l’obésité atteint des niveaux alarmants : 66% de la population est en surpoids ou obèse, selon les chiffres officiels : au Koweït 35 à 40% des enfants sont obèses selon une étude de 2020, l’obésité chez les enfants a décuplé aux Emirats arabes unis pour atteindre 17,4% en 2020 contre 12% deux ans plus tôt selon le Ministère de la Santé.

Selon les données de 2019, la région MENA représentait 8,9% de l’incidence mondiale de la NAFLD et 8,6% des décès attribuables à la NAFLD se situaient dans cette région. 24% de la population est atteinte de pathologies cardiaques tandis que le diabète est responsable de 7% des décès.

La NAFLD est la cause la plus fréquente de maladie chronique du foie et son évolution vers la cirrhose est bien documentée. En dehors de la mortalité liée à la cirrhose décompensée, il a été observé une incidence du CHC dans la cirrhose liée à la NAFLD entre 1 et 3 % par an, dépassant le seuil de >1,5 % par an, ce qui justifie une surveillance régulière du CHC dans cette population. Les patients non cirrhotiques atteints de NAFLD ont un risque trois fois plus élevé de développer un CHC que les patients atteints d’autres causes de maladies du foie (2,7% de risque à 10 ans pour la NAFLD non cirrhotique, 15% à 10 ans pour la cirrhose liée à la NAFLD). Cette épidémie de NAFLD va probablement drastiquement changer l’histoire naturelle du carcinome hépatocellulaire dans le Moyen Orient où on peut s’attendre à une forte augmentation du nombre de CHC sur NAFLD. En 2016, le CHC survenait dans 3 cas sur 5 chez des patients infectés par les virus des hépatites B (Yemen, Qatar) ou C (Emirats arabes unis). Depuis, les campagnes de dépistage et les traitements des hépatites virales ont été mises en place et l’étiologie principale de maladies du foie sera la NAFLD.

On connait parfaitement les facteurs liés à la survenue de la NAFLD : obésité, syndrome métabolique, diabète, diminution de l’activité physique, etc…Selon le ministère qatari de la Santé, 43% des adultes de l’émirat ont un faible niveau d’activité physique et plus des deux tiers (70,1%) sont en surpoids. Les modes de vie sédentaires et les régimes trop riches sont en cause dans une région qui importe la majorité de sa nourriture et où les conditions climatiques rendent difficile toute activité physique extérieure. « L’obésité est liée à de nombreuses maladies chroniques telles que le diabète et l’hypertension, il est donc très important d’associer le sport à la santé », explique le porte-parole de la Coupe du Monde 2022 pour les questions de santé. L’idée de cette coupe du Monde au Qatar était donc de promouvoir le sport et de sensibiliser la population du Moyen Orient à ses conséquences bénéfiques sur la santé. Un des slogans avancés par le ministère de sports qatari est d’ailleurs : “Le football va te faciliter la vie et t’aider”.

Mais l’impact des grandes compétitions sportives sur la santé publique reste incertain. En 2019, un institut de recherche britannique a conclu que les Jeux Olympiques de Londres en 2012 n’ont eu que des effets “limités et passagers” sur l’activité physique de la population locale. En France, lors de la Coupe du Monde de Rugby de 2007, on avait pu compter avec 26 % de licenciés supplémentaires à la rentrée 2008, versus les 5% d’augmentation annuelle habituelle. Malheureusement, l’impact a été de courte durée avec une perte de 6% annuelle dès l’année suivante et le nombre d’abandons est passé de 38 000 à 48 000 en 2009.

Même si la pratique sportive des jeunes a augmenté de façon significative et linéaire depuis les années 1960, celle-ci reste insuffisante. Ainsi, en Ile de France, Seule 49% de la population de 15 ans et plus pratiquent au moins une heure par semaine, et 21% de manière intensive. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande un style de vie actif accessible à tous, qui intègre l’ensemble des activités de la vie quotidienne (au travail, au domicile, lors des déplacements et des loisirs) mais aucune ne permet d’atteindre le niveau recommandé.

Et si la coupe du Monde de Football provoquait l’effet inverse et participait à une augmentation du nombre des NASH ? Durant cette Coupe du Monde les Français ayant l’intention de suivre l’événement à la télé envisagent de solliciter des services de livraison alimentaire. Par rapport à leurs habitudes le reste de l’année, ils envisagent ainsi pour 16% de davantage emporter des repas de fast-food pour les manger chez eux, pour 11% de davantage se faire livrer des repas de fast-food, et pour 9% de davantage utiliser des services de livraison de plats à domicile. De plus, à l’occasion de cette Coupe du Monde, 25% déclarent qu’ils consommeront davantage de produits apéritifs, et 21% déclarent qu’ils consommeront davantage de bière et de pizzas…

Enfin, je terminerai par le foie de nos joueurs : de nombreuses publications insistent sur le risque traumatique encouru lors d’un match de football, avec ruptures du foie, hématomes hépatiques liés aux crampons d’un adversaire peu commode…sans parler de la transmission des virus hépatotropes, en particulier le VHB, particulièrement documentée chez les athlètes de haut niveau. Les stratégies de prévention de la transmission du VHB, du VHC et du VHD devraient tenir compte des risques selon le niveau de contact physique et le dépistage obligatoire du VHB et du VHC devrait être mis en place pour tous les sports de collision/contact. La vaccination contre le VHB devrait être préconisée pour tous les athlètes de haut niveau.

En conclusion, mettons nous tous au sport mais pas devant la télé avec bière et pizza !! Sauf peut-être dimanche lors de la finale !!