Les Éditos de l'AFEF

Goodbye 2020 : année de tous les virus !!! En espérant le monde d’ « après »

Par : Bourlière Marc
Docteur - Service d’Hépato-Gastro-Entérologie, Hôpital Saint Joseph, Marseille

L’année 2020, qui s’est enfin terminée, nous a fait passer brutalement du monde d’ « avant » au monde de « pendant » du fait de l’épidémie de SARS-CoV-2, délétère notamment chez les patients atteints de maladies chroniques du foie. Par ailleurs, en pleine pandémie mondiale de COVID-19, en attendant le monde d’ « après » les virus hépatotropes ont continué malgré eux à nourrir l’actualité.

SARS-CoV-2, un virus arrivé de Chine fin 2019

Un an après le premier signalement du SARS-CoV-2 par l’Organisation mondiale de la santé en Chine, plus de 103 millions de personnes ont été testées positives au COVID-19 dans le monde et près de 2.250.000 de personnes sont décédées au 3 févier 2021. L’arrivée de nouveaux mutants avec une contagiosité plus importante suscite une inquiétude légitime.

Quel paradoxe au 21ème siècle qu’un virus condamne des millions de sujets, et mette à l’arrêt l’activité économique de la planète et la plus grande partie des interactions sociales !

Les répercussions cliniques chez les patients atteints de maladies chroniques du foie sont en cours de démembrement. Les grandes cohortes anglo-saxonnes démontrent une augmentation significative de la morbi-mortalité de la COVID-19 chez les patients avec maladie chronique du foie par rapport à la population générale (1) (2) (3). De plus, la cirrhose décompensée, le carcinome hépatocellulaire et la maladie alcoolique du foie sont des facteurs indépendants prédictifs de la mortalité globale après ajustement sur de multiples paramètres (âge, sexe, origine ethnique, étiologie de la maladie chronique du foie, cirrhose, décompensation, CHC, diabète, HTA, maladie cardio-vasculaire, BPCO, tabac, alcool) (2). Les résultats préliminaires de l’observatoire national « Covid et foie » de l’AFEF, établis sur les 89 premiers inclus et communiqués lors des 87èmes journées scientifiques de l’AFEF, entérinent ces observations montrant un risque relatif de décès de 4.03 (CI 95% 1.31-12.44) chez les patients ayant une cirrhose décompensée (Child Pugh B ou C). Ces données ont permis de réintégrer les cirrhotiques avec insuffisance hépatique parmi les sujets vulnérables éligibles au chômage partiel en cas d’impossibilité de l’employeur de proposer du télétravail (décret du 10/11/20 modifiant le précédant du 30 aout 2020). Des données nationales plus robustes obtenues chez environ 400 inclus seront communiquées aux JFHOD 2021, et je vous remercie tous de renseigner le registre Foie et COVID-19 de l’AFEF mis en place au printemps dernier (deadline des inclusions 31/12/21).

Chez les patients transplantés hépatiques, l’infection par le SARS-CoV-2 semble être responsable de plus de formes sévères et d’une mortalité accrue dans les formes sévères dans une récente méta analyse (4) (5). Cette morbi-mortalité accrue est peut-être plus liée à des comorbidités qu’a l’impact de l’immunosuppression. En effet, les résultats récents de trois cohortes internationales montrent que l’infection par le SarS-CoV-2 n’induit pas plus d’hospitalisations, de forme graves ou de décès chez les patients présentant une hépatite autoimmune par rapport aux patients atteints d’autres hépatopathies chroniques. Les facteurs associés à la mortalité dans la cohorte d’hépatopathies auto immunes étaient l’âge, la gravité du score de Child Pugh mais pas le traitement immunosuppresseur (6).

Les anomalies du bilan hépatique au cours de l’infection par le SARS-CoV-2 sont plus fréquemment rapportées dans les études américaines que dans les premières études asiatiques. Ceci peut être lié au rôle des facteurs confondants (anomalies du bilan hépatique préexistantes, comorbidités, traitements potentiellement hépatotoxiques…) (7). Cependant, il existe une association significative entre anomalies du bilan hépatique et évolution vers une infection COVID sévère (8). Il semble exister une valeur pronostique délétère d’une augmentation de plus de 5 fois la normale des ALAT à l’admission chez les patients sans maladie connue du foie (9). Dans une autre étude le taux de bilirubine totale est associé indépendamment à la mortalité à 28 jours des patients COVID hospitalisés en Unité de soins intensifs (10). Par ailleurs des maladies cholestatiques ictériques ont été décrites à distance en moyenne 3 mois après des infections Covid-19 sévères avec pneumonie, sepsis, thrombose veineuse, ventilation mécanique et utilisation de vasopresseurs. Les anomalies de la bili-IRM étaient le plus souvent des sténoses en chapelet avec une atteinte des voies biliaires intra et extra-hépatiques et un signal de diffusion péri-biliaire. La biopsie hépatique montrait un aspect compatible avec une cholangite sclérosante secondaire (11). Le devenir de ces patients à long terme pourrait être problématique avec une potentielle évolution vers une cirrhose biliaire secondaire. Ces aspects pourraient être compatibles avec les cholangites probablement ischémiques déjà décrites chez les malades en réanimation ou les grands brulés (12) (13).

Cependant moins d’un an après le début de la pandémie, 321 vaccins potentiels contre SARS-CoV-2 sont à l’étude. Différentes approches sont explorées pour forcer l’organisme à développer une réponse immunitaire permettant d’éliminer le virus SARS-CoV-2 : l’utilisation de formes atténuées ou inactivées du coronavirus, de virus anodins modifiés génétiquement pour exprimer une protéine du coronavirus, de protéines du coronavirus, ou d’acides nucléiques insérés dans des cellules humaines pour y produire des protéines virales. Environ 28 d’entre eux seraient en cours d’évaluation dans des essais cliniques sur l’homme, et plus de dix sont actuellement en phase 3. Plus de 546.000 personnes ont reçu ces vaccins dans les essais de phase 3. Les résultats à court terme du vaccin à ARNm de bioNTech-Pfizer montrent chez 18556 personnes, ayant reçu 2 doses de vaccin à 21 jours d’intervalle, une efficacité de 95% avec une bonne tolérance à court terme (14). Les résultats du vaccin ARN m-1273 de Moderna montrent chez 15210 personnes ayant reçu 2 doses de vaccin à 28 jours d’intervalle, une efficacité de 94% avec une bonne tolérance à court terme (15). Enfin, les résultats intérimaires du vaccin ChAdOx1 nCov-19 d’Astra Zeneca sur 5807 personnes, ayant reçu 2 doses avec un intervalle de 4 à 12 semaines, montrent une efficacité de 70% (16). Ces résultats sont encourageants et la poursuite des études devrait permettre de répondre aux questions sur la tolérance à long terme, l’efficacité sur les cas asymptomatiques, l’efficacité chez les patients immuno-déprimés ou les patients coinfectés par le VHB, VHC ou le VIH, ainsi que sur le maintien de l’efficacité à long terme au-delà de 2 mois.

En France, la campagne de vaccination contre la Covid-19 a débuté le 27 décembre 2020, et trois vaccins sont désormais disponibles. Au premier février 2021, 1.541.079 personnes ont reçus une première dose de vaccin.
La Haute Autorité de Santé a défini, fin novembre 2020, la stratégie de priorisation de la vaccination en population générale fondée sur l’âge et l’exposition professionnelle. Le 13 janvier 2021, les patients vulnérables à très haut risque de forme grave de Covid-19 et de ce fait, éligibles quel que soit leur âge à une vaccination en très haute priorité ont été identifiés par le conseil d’orientation de la stratégie vaccinale. Cette liste très restrictive concerne une faible proportion de patients atteints de maladie chronique du foie, loin de la population ciblée par les recommandations françaises AFEF-SNFGE-GETAID-FFCD et européennes.

Le virus de l’hépatite C : prix Nobel de médecine 2020

Lundi 5 octobre, en préambule aux 87èmes journées scientifiques de l’AFEF, le 111ème Prix Nobel de médecine a été attribué aux trois scientifiques qui ont découvert le virus de l’hépatite C, les Américains Harvey J. Alter et Charles M. Rice et le Britannique Michael Houghton. Un grand jour pour l’hépatologie, comme l’a rappelé André Jean Remy dans un précédant éditorial.

Grâce aux lauréats 2020, l’hépatite non A non B, est passée en 30 ans d’une maladie chronique traitée par interféron sous cutané pendant un an avec un taux de guérison de moins de 50% et de nombreux effets indésirables à une pathologie traitée efficacement dans plus de 98% des cas.

Désormais, l’objectif est l’élimination du virus de l’hépatite C, envisagée par l’OMS à horizon 2030 et par la France d’ici 2025. Dans ce but, il est essentiel de pouvoir agir sur 3 axes : la prévention, le dépistage et le traitement. Deux mesures indispensables à l’élimination de l’hépatite C ont déjà été prises par le Ministère des Solidarités et de la Santé : l’accès au traitement pour tous les patients ayant une hépatite chronique C en 2017 et la prescription des antiviraux à action directe par tous les praticiens en 2019. En revanche, le dépistage reste un obstacle au projet d’élimination virale. Une réflexion est actuellement menée quant à la stratégie de dépistage la plus rationnelle. La Haute Autorité de Santé recommandait en novembre 2019 l’intensification du dépistage des populations à risque mais non un dépistage universel. L’AFEF et le dernier rapport Dhumeaux recommandaient au contraire un dépistage universel sur la base de la modélisation réalisée par Sylvie Deuffic-Burban et coll. qui montrait que la meilleure stratégie en termes de coût–efficacité est le dépistage généralisé (17). Néanmoins, l’expérience montpelliéraine récente de dépistage universel réalisée sur 3 mois, rapportée dans le BEH par Anne Guinard et coll., plaide plutôt en faveur d’un dépistage ciblé chez les patients âgés de plus de 40 à 50 ans (Guinard A et al. Campagne de dépistage universel « Montpellier sans hépatite C » 2019 : description et évaluation. BEH 2020 (N° 31-32 – 24 novembre 2020). En effet, le taux de séropositivité était globalement faible (0,89%) et les deux tiers de patients avec sérologie positive étaient âgés de 40 à 90 ans. Cette campagne de dépistage innovante, universelle ou ciblée, mérite d’être reproduite dans le temps et dans d’autres villes si l’on veut atteindre l’objectif de l’OMS à l’horizon 2030.

En 2020, environ 5500 patients seulement ont été traités soit la moitié des patients traités en 2019. Cette chute drastique des traitements est évidement la conséquence des difficultés à maintenir un dépistage en période de pandémie. L’AFEF a saisi récemment la Haute Autorité de Santé pour réfléchir à un dépistage combiné du Sars-CoV2 et des hépatites B et C. En effet, la pandémie actuelle offre une occasion unique de dépister les virus des hépatites B et C sur le même prélèvement que celui destiné à la sérologie Sars-CoV-2. Les conséquences désastreuses de la pandémie sur le dépistage et le traitement des patients porteurs VHC en France, posent à nouveau le problème de la mise en place d’un programme national de prise en charge des hépatites coordonné par le ministère de la santé avec des financements, des moyens humains adéquats et des objectifs évaluables pour atteindre, aussi rapidement que possible, les objectifs de santé publique définis par L’OMS.

L’hépatite chronique Delta a enfin un nouveau traitement disponible

Le troisième fait virologique marquant de l’année 2020 est l’autorisation de mise sur le marché du bulevirtide (Hepcludex®), un inhibiteur d’entrée du virus de l’hépatite delta
Plus de 290 millions de personnes dans le monde vivent avec le virus B dont 90% ignorent leur statut. On estime que, dans le monde, environ 5 à 10% des personnes porteuses du virus de l’hépatite B sont co-infectées ou surinfectées par le virus de l’hépatite delta.

Certes rare en France, l’hépatite chronique B-delta est la plus grave des hépatites chroniques virales. En effet, les hépatites chroniques B-delta sont plus sévères que celles causées par une monoinfection par le virus de l’hépatite B, avec une évolution plus rapide vers la cirrhose et un risque accru de cancer primitif du foie d’une part et de décès d’autre part. Jusqu’à présent, le seul traitement disponible de l’hépatite delta était l’interféron alpha-2b, dont l’efficacité est modeste (30% de réponse virologique soutenue). Depuis le dernier trimestre 2020, l’arsenal thérapeutique s’est enrichi d’une seconde molécule dont l’efficacité virologique apparait synergique avec celle de l’interféron alpha-2b dans les essais de phase 2. Le bulevirtide est remboursé en cas d’infection chronique par le virus de l’hépatite delta chez les patients adultes présentant soit une fibrose hépatique avancée (fibrose de grade 3 ou 4) sans décompensation quel que soit le niveau des transaminases, soit une fibrose hépatique de grade 2 (évaluée par biopsie hépatique ou Fibroscan) avec une cytolyse hépatique persistante (ALT ≥ 2N depuis au moins 6 mois). La décision de mise sous traitement doit être discutée de manière collégiale, si possible au sein d’une réunion de concertation pluridisciplinaire, et ne pourra être envisagée qu’en l’absence de possibilité d’être inclus dans un essai clinique en cours. D’autres molécules sont attendues, notamment le lonafarnib actuellement évalué dans le cadre d’un essai international de phase 3 et aussi les polymères d’acide nucléiques (REP) dont les résultats des essais de phase 2 sont impressionnants.

En conclusion, l’année 2020 s’est achevée avec des avancées significatives en matière de prévention du SarsCoV2 et de traitement du virus de l’hépatite D. La pandémie a été délétère pour le dépistage et le traitement des hépatites C. Nos efforts pour l’année qui vient et le monde d’ « après » doivent porter sur l’optimisation du dépistage des patients i) infectés par le VHC qui restent à traiter ii) VHB co-infectés par le virus delta insuffisamment dépistés et traités iii) non immunisés contre le SarsCoV2, cibles de la vaccination.

Références

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