Les Éditos de l'AFEF

Pourquoi faut-il s’intéresser à l’hyponatrémie du patient cirrhotique ?

Par : Pauwels Arnaud
Docteur - Centre Hospitalier de Gonesse
Commentaire d’article
Ahluwalia et al. J Hepatol 2015 ; 62 : 75-82

Les patients cirrhotiques qui présentent une ascite ont souvent une hyponatrémie. Dans un contexte de rétention hydro-sodée et d’expansion du volume extracellulaire, cela survient lorsque la rétention rénale d’eau devient proportionnellement supérieure à celle du sodium. Son principal mécanisme physiopathogénique est une hypersécrétion d’arginine vasopressine par la neurohypophyse en réponse à la dysfonction circulatoire de la cirrhose, aboutissant à la rétention d’eau libre par le rein. Il s’agit donc d’une hyponatrémie de dilution ou hypervolémique. Un seuil de 130 mEq/L a été arbitrairement retenu lors d’une réunion de consensus.

Cette hyponatrémie survient tard dans l’histoire de la cirrhose et constitue un marqueur de mauvais pronostic. Chez les patients en attente de greffe, elle est associée à un risque plus élevé de décès sur liste de transplantation, ainsi qu’à une augmentation de la morbi-mortalité en post-opératoire. Pour autant, il n’a jamais été montré un effet bénéfique de la correction de l’hyponatrémie sur la survenue des complications de la cirrhose ou sur la mortalité. De ce fait, les recommandations EASL se contentent de conseiller un traitement lorsque la natrémie est ≤ 125 mEq/L et qu’il existe des symptômes. La restriction hydrique, l’arrêt des diurétiques et les perfusions d’albumine sont par ailleurs d’une efficacité inconstante. Quant aux vaptans, qui sont des antagonistes spécifiques des récepteurs V2 de l’arginine vasopressine, ils ne sont pas disponibles en France et le risque d’effets secondaires sévères rend leur utilisation délicate.

Cependant, l’hyponatrémie a des effets délétères propres que des travaux récents ont permis de mieux préciser. La diminution de la concentration en osmolytes organiques dans les cellules cérébrales, secondaire à l’hypo-osmolalité des liquides extracellulaires, contribue à l’apparition de troubles cognitifs. Il a été montré que l’hyponatrémie est un facteur prédictif majeur de survenue d’une encéphalopathie hépatique clinique. Les liens entre hyponatrémie et encéphalopathie hépatique minimale mériteraient par ailleurs d’être mieux étudiés. L’hyponatrémie a également un impact négatif sur la qualité de vie indépendamment de la sévérité de la cirrhose et de la présence de troubles cognitifs patents. Lorsque l’hyponatrémie se corrige après arrêt des diurétiques, les patients voient leur qualité de vie s’améliorer.

Un travail tout récemment publié a le grand mérite de nous montrer clairement les effets bénéfiques de la correction de l’hyponatrémie chez les patients cirrhotiques. Dans un essai clinique ouvert, les auteurs ont inclus 24 patients cirrhotiques avec ascite et hyponatrémie <130 mEq/L. Après arrêt ou réduction des diurétiques pendant deux semaines, 17 d’entre eux restaient hyponatrémiques et ont été traités par tolvaptan. Quatorze patients ont terminé l’étude. Une évaluation complète (natrémie, tests psychométriques, évaluation de la qualité de vie, évaluation de la charge de travail pour le conjoint, protocole IRM) était réalisée avant le début du traitement par tolvaptan et deux semaines plus tard. Comme attendu, la natrémie et la clairance de l’eau libre ont augmenté sous tolvaptan, sans modification du statut mental et de la fonction hépatique. Cela s’est accompagné d’une amélioration des fonctions cognitives et de la qualité de vie, ainsi que d’une réduction de la charge de travail pour le conjoint. Parallèlement, l’IRM et la spectroscopie par résonance magnétique ont mis en évidence une réduction du volume cérébral total et de la substance blanche, une augmentation de la teneur cérébrale en choline, et une diminution de l’œdème cytotoxique.

Ces résultats supportent l’hypothèse selon laquelle l’hypo-osmolalité systémique chronique contribuerait à la dysfonction cérébrale de la cirrhose, si bien que la correction de l’hyponatrémie pourrait avoir des effets cliniques significatifs. D’un point de vue physiopathogénique, les modifications observées en imagerie par résonance magnétique suggèrent que l’amélioration des fonctions cognitives après correction de l’hyponatrémie est médiée par la restauration des osmolytes intracellulaires et par la réduction du volume cérébral, principalement celui de la substance blanche, secondaire à un mouvement d’eau des axones vers l’espace interstitiel.

En conclusion, chez les patients cirrhotiques avec ascite, l’hyponatrémie de dilution est à la fois un marqueur de mauvais pronostic et un facteur responsable de troubles cognitifs et d’altération de la qualité de vie. Deux raisons, donc, pour s’y intéresser et pour chercher à la prévenir et à la traiter.