Les Éditos de l'AFEF

 Réflexion d’hiver… 

Par : Hanslik Bertrand
Docteur - Chemin de Moularès, Montpellier

Certains propos pseudoscientifiques ne vous laissent-ils pas sans voix ? Intrigué par le discours de certains confrères ayant des « pratiques différentes », je lisais récemment une définition de la thérapie quantique , qui nous demande « de voir la vie, la santé et la maladie d’une toute autre façon : notre corps n’est plus un assemblage d’organes à traiter séparément, comme le fait la médecine conventionnelle, c’est un champ vibratoire et énergétique constitué de milliards de particules de lumière – des photons – qui échangent en permanence des informations, un univers lumineux dans lequel l’esprit et la matière ne font qu’un ». Fascinant ! J’ai relu, pour être sûr…

Quel est le rôle des sociétés savantes devant de telles élucubrations ? Sommes-nous des acteurs directs dans une démarche de prévention et d’information de plus ? « Devenez sorciers, devenez savants ». Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992 et amoureux des beaux spectacles de magie, rappelait dans un petit ouvrage ludique portant ce titre, l’importance de garder un esprit critique pour exercer son libre arbitre face aux marchands d’illusions de toutes sortes. Une culture scientifique minimale et des notions simples permettraient pourtant de réviser des idées reçues et des modes de raisonnement parfois très intrigants, dans nos sociétés devenues très technologiques. Et notamment dans les domaines de la santé et des soins.

Force est de constater l’engouement pour les méthodes de soins dites « complémentaires » (adjectif officiel, utilisé par le MeSH (medical subjects headings) et choisi par l’Académie nationale de Médecine) chez nos patients, et d’observer la vague « naturaliste » qui traverse toutes les sociétés, occidentales en particulier. On s’étonne (s’inquiète ?), au cours de nos lectures, digitales ou pas, du contenu de forums, blogs et sites vantant les performances, voire les miracles, de telle ou telle méthode. Parmi près de 400 thérapies répertoriées, l’Académie nationale de Médecine, dans son rapporti de mars 2013 n’en a retenu que 4 : l’acupuncture, l’ostéopathie/chiropraxie, l’hypnose, le tai-chi/qi-gong (les plus riches en publications indexées), qu’elle a donc qualifiées de thérapies complémentaires. Sur la base d’une revue de la littérature et d’auditions, elle fait des recommandations visant à un usage raisonné de ces pratiques, devenues des éléments « irréversibles » de nos méthodes de soins.

Le doute, qui anime tout esprit scientifique bien fait, doit pouvoir servir d’antidote à certains obscurantismes. On ne peut adopter une position de rejet systématique non argumenté. Cela suppose l’acceptation d’autres approches thérapeutiques sans a priori dogmatique ou corporatiste, dans un esprit d’intégration, de recherche de complémentarité, et non d’exclusion ou de monopole.

Dans notre pays, comme dans d’autres nations « développées », une médecine faite parfois avec des excès a pu nuire à la santéii et contribuer, parmi d’autres facteurs, à voir s’installer une méfiance, voire une défiance, vis-à-vis du soin dit conventionnel, chez une partie de nos patients, les détournant parfois de façon dangereuse d’une prise en charge médicale qui se veut pourtant de plus en plus raisonnée et attentionnée, holistique. De ce fait, un grand nombre de ces thérapies alternatives ou complémentaires attirent les patients, en première intention parfois, par leur caractère jugé plus global et personnalisé, répondant mieux à leurs attentes spécifiques. De plus, certains patients reconnaissent à ces thérapeutes une plus grande disponibilité, une humanité du soin, qui laisse plus de place à une véritable empathie. Corneille (Pierre) nous l’avait déjà dit : « la façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne ». Reste que, même mal (ou jamais) évaluées et assorties d’un faible (voire inexistant) niveau de preuve, ces thérapies font de plus en plus d’adeptes…
A notre époque, où le patient participe à la prise en charge active de sa santé, où les essais thérapeutiques conventionnels prennent en compte ces paramètres récents que sont les PRO (Patient Related Outcomes), où la quête n’est plus seulement la santé mais aussi le bien être, le médecin ne travaille plus seul. Il forme une équipe, avec un «partenaire», parfois très investi dans la prise en charge de sa maladie, souvent connecté et soumis à d’innombrables sollicitations et informations non contrôlées…

L’hépatologie n’est pas épargnée par ce phénomène, principalement par les approches homéopathiques (phosphorus) ou phytothérapiques : desmodium bien sûriii, chardon marie, radis noir, et autres aubier de tilleul, ont pour certaines personnes des vertus équivalentes ou supérieures à certains traitements ayant démontré leur efficacité, parfois imparfaite mais au moins mesurée, dans les pathologies que nous prenons en charge. Mais il y a aussi l’ostéopathie ou la thérapie quantique, entre autres, qui offrent des solutions spécifiques pour détoxifier, canaliser les énergies, et rendre à son foie ou son système biliaire leurs fonctions régénérées… Enfin, sont inclus dans toutes ces interventions non médicamenteuses, les différentes solutions de e-santé, le champ des prises en charge hygiéno-diététiques (le « lifestyle »), et celui de « l’ajustement psychologique à la maladie » (exemple de l’ETP, de la pleine conscience…). Si le virus C est vaincu, restent les maladies tumorales, auto-immunes, toxiques, ou dysmétaboliques, où une guérison qui reste incertaine nécessitera plus qu’avant d’informer (cela prend du « temps médecin », non coté par nos gestionnaires), d’écouter, de collaborer avec d’autres acteurs.

La Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’hommeiv de l’UNESCO proclame que « tout être humain a le droit de jouir du meilleur état de santé possible ». Le patient, devenu autonome et responsable, doit, pour faire ses choix, obtenir une information lui permettant de s’engager de façon « éclairée ». Pour cela, il doit avoir accès à des informations compréhensibles, pertinentes, et validées de façon rationnelle. Or, s’agissant des thérapies complémentaires, qui ne sont le plus souvent pas réglementées, ces informations ne sont pas toujours disponibles, et rarement validées, ce qui met parfois les patients face à des choix à l’aveugle.

Les institutions en charge de la santé ont normalement pour charge de mettre en œuvre tous les moyens à même de sensibiliser et protéger les patients contre les pratiques et praticiens dangereux (qu’ils soient médecins ou non). Il faudrait pour cela mettre en place des observatoires ayant pour objectif l’analyse de données sur ces thérapies ou interventions, sur leurs résultats, et promouvoir la recherche de procédés adaptés à l’évaluation de cette efficacité (mais aussi d’éventuels effets nocifs), et, le cas échéant, évaluer le rapport coût/bénéfice. Cela aiderait à règlementer et certifier la formation de praticiens, actuellement souvent autoproclamés. Les patients auraient ainsi les moyens de faire des choix réellement éclairés, en toute sécurité. Aux Etats Unis, le NIH, un des temples de l’evidence-based medicine, a mis en place dès 1998 le National Center for Complementary and Integrative Healthv pour conduire et supporter la recherche et informer sur les pratiques et les produits utilisés dans le domaine de la « santé complémentaire » et des enseignements en médecine « intégrative ».

Dans un rapport d’avril 2011vi , l’HAS précise : « Au regard des critères habituellement considérés pour l’évaluation de l’efficacité des traitements médicamenteux, les études évaluant l’efficacité des thérapeutiques non médicamenteuses (règles hygieno- diététiques, traitements psychologiques, thérapeutiques physiques) présentent pour la plupart des insuffisances méthodologiques » En effet, contrairement à la démarche précise utilisée pour le médicament, admise de tous, il n’y a pour les thérapies ou interventions non médicamenteuses, pas ou peu de preuves scientifiques ou cliniques de leur valeur ajoutée, ni de standard de mise sur le marché (au mieux des normes de fabrication), ni de standard règlementaire d’information à l’usager.

Si l’accord est unanime sur la nécessité d’améliorer la crédibilité des thérapies complémentaires et des interventions non médicamenteuses, les moyens d’y arriver ne sont pas univoques. Certains acteurs peuvent aussi mal vivre l’idée de mesurer objectivement l’intérêt des activités qu’ils pratiquent depuis longtemps. Les modèles classiques d’expérimentation utilisés pour les médicaments ne sont pas toujours faciles à transposer. 17 modèles de validation de thérapies ou interventions ont été identifiés par la Plateforme universitaire CEPS de Montpelliervii sans qu’aucun ne soit consensuel. Cette équipe de chercheurs (Pr G. Ninot), en lien avec une association internationale de chercheurs, l’International Behavioral Trials Network, travaille à proposer un modèle pragmatique tenant compte « de l’évolution vers des théories intégrées (multi-mécanismes), de l’amélioration de la qualité des mesures en santé, des progrès des analyses multi-marqueurs et de la vitesse d’innovation dans les interventions non médicamenteuses (INM). Il se fonde sur l’approche poppérienne qui veut que toute méthode scientifique repose sur la formulation d’hypothèses réfutables par des expériences reproductibles. Par conséquent, il défend l’idée que l’essai randomisé contrôlé et les méta-analyses restent la clé de voûte de la démonstration de l’efficacité d’une INM. En amont, ce modèle invite à la réalisation d’une étude de preuve de concept évaluant notamment des aspects de sécurité et en aval, la mise en place d’une surveillance »viii. Ce groupe propose une définition précise de l’intervention non médicamenteuse : « produit, méthode ou service ayant fait la preuve chez l’humain de son innocuité et de son efficacité sur la santé. Elle a une action directe (via des mécanismes biologiques et/ou des processus psychologiques identifiés), manifeste (bénéfices allant au-delà de la simple satisfaction d’usage et risques identifiés), rapide (effet mesurable en moins de 6 mois), significative (supérieur à un groupe contrôle), et vérifiée (prouvée par au moins une étude clinique méthodologiquement solide comme l’essai randomisé contrôlé) sur des indicateurs de santé, de qualité de vie, et si possible socio-économiques, d’une cible d’usagers ».

On peut donc s’interroger sur le rôle que pourraient avoir les sociétés savantes dans cette démarche : identification des pratiques les plus douteuses, proposition de travaux d’évaluation pertinents, participation à la vulgarisation d’une information validée dans son champ d’activité… ?
L’éducation du patient pour sa santé reste un très grand challenge !

Références

i http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/07/4.rapport-Thérapies-complémentaires1.pdf
ii T. Hanslik, La surmédicalisation. Rev Med Interne 2015
iii Revue générale des données existantes, assez peu convaincantes en clinique, dans : Tubery P. Ethnopharmacologia n°53, 2015 iv DUBDH, 2005 https://www.unesco.org/fr
v https://www.nccih.nih.gov/
vi http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1059795/fr/developpement-de-la-prescription-de-therapeutiques-non-medicamenteuses-validees
vii Plateforme européenne de méthodologie de la recherche interventionnelle non médicamenteuse à destination des chercheurs : http://www.cepsplatform.eu/
viii G. Ninot, Hegel Vol. 6 N° 3 – 2016