Les Éditos de l'AFEF

Rêverie d’été…

Par : Hanslik Bertrand
Docteur - chemin de Moularès, Montpellier

Depuis 2003, le conseil d’administration de l’AFEF compte un membre issu du secteur libéral et le représentant. L’hépatologie en pratique libérale… !? La question est souvent posée par les jeunes internes qui s’interrogent sur ce que cela peut représenter en dehors des vaisseaux amiraux. Il y a bien une vie et un dynamisme hépatologique à l’extérieur.

Vaste spécialité que la nôtre! Avec des branches « lourdes », justifiant même, dans les grosses structures universitaires, l’existence de services ou secteurs exclusivement dédiés à telle ou telle activité : MICI, cancérologie, endoscopie, foie… Quand le cursus de formation initiale se termine dans un de ces secteurs surspécialisé, nulle surprise que ceux qui quittent le cocon souhaitent poursuivre à l’extérieur des activités correspondant à leurs centres d’intérêt, voire même développer des activités de formation et/ou de recherche clinique, en lien avec ces centres tertiaires.

Rêvons un peu… Au 1er janvier 2015, on dénombre en France 3630 hépato-gastroentérologues en activité (parmi les 222 150 médecins), dont 1366 hospitaliers, 1433 libéraux exclusifs et 739 hépato-gastroentérologues à activité mixte (rapport DREES août 2015). En France, l’hépato-gastroentérologue libéral a une activité polyvalente, avec soit une orientation très gastroentérologique, soit une activité de proctologie importante, ou encore une étiquette d’hépatologue. La prise en charge des maladies du foie et des voies biliaires représente en moyenne 15 à 20 % de l’activité de l’hépato-gastroentérologue libéral (enquête Oblix 2008). Ces orientations préférentielles constituent certainement une source d’énergie permettant d’imaginer la création ou l’amélioration d’une recherche épidémiologique communautaire, participative et pérenne. Le CREGG (Club de Réflexion des Cabinets et Groupes d’Hépato-Gastroentérologie) et sa commission hépatologie, créée en 1991 fédère un certain nombre « d’hépato-gastroentérologues-hépatologues » libéraux intéressés par la promotion d’une pratique clinique de qualité et par la production de données dans leur secteur d’activité. Ces 10 dernières années ont été développés ou créés différents outils, travaux et actions de formation : Forum national annuel d’hépatologie, web-conférences de synthèse post-congrès, reportages vidéos en direct des congrès, études de pratique, de vraie vie, création d’un web-staff « RCP » … Une quantité importante de données qui pourrait alimenter de vastes cohortes, avec celles des CHG et des CHU, à l’échelle de toute la spécialité, mais difficile à fusionner dès lors que leur production n’est pas discutée et coordonnée à l’avance. D’autres pays semblent pourtant y parvenir.

A l’échelle d’une spécialité, d’innombrables articles de recherche clinique sont publiés chaque année dans de nombreuses revues. Combien sont pertinents pour la pratique ? S’adressent-ils à une population comparable à celle que ces professionnels des soins ambulatoires prennent en charge ? La réponse est bien évidemment souvent non. A l’heure de la médecine fondée sur les preuves (mais en essayant de ne pas se faire manipuler par l’instrumentalisation de ce concept important), on pourrait penser judicieux de mener de plus nombreux travaux de recherche en soins ambulatoires, questionnant les prises en charge dans des conditions de vie naturelles des patients. En effet, il est depuis longtemps admis que les travaux de recherche clinique menés dans le cadre hospitalier ne sont pas nécessairement directement applicables, seul des travaux épidémiologiques plus larges l’étant.

Malgré l’évolution et la complexité croissante des circuits de prise en charge, l’écologie de la dispensation des soins ne se modifie guère, comme le montrent 3 études (américaines) comparables de 1961, 2001 et 2016. Mensuellement, sur 1000 personnes adultes en population générale, environ 750 ont eu des symptômes, 250 ont consulté un médecin (généraliste ou spécialiste), 5 ont été adressés à un second médecin, 9 ont été hospitalisées et 1 a été dirigée vers un centre hospitalier universitaire (White KL, et al. NEJM 1961. Green LA, et al. The ecology of medical care revisited. NEJM 2001 ; Johansen ME, et al. NEJM 2016). On conçoit aisément les biais générés par l’étude d’une population de patients vus uniquement en centres académiques. Les patients de ville ont des caractéristiques et des problèmes de santé spécifiques. Les motifs de consultation qui amènent les patients à consulter les spécialistes de ville les conduiront rarement jusqu’au CHU, et ne pourront de ce fait être étudiés par ceux-ci… Les pathologies observées en ville ne sont pas au même stade de gravité que celles qui seront prises en charge à l’hôpital, et pour l’essentiel ne justifieront que très rarement une hospitalisation. La prévalence des pathologies y est aussi différente. Les conditions de prise en charge en ville ne sont pas comparables à celle de l’hôpital, pas plus que les réseaux de correspondants. Les patients en « milieu naturel » ne se comportent pas comme ils le feraient, résignés, dans le cadre hospitalier, et ont un mode de vie, des habitudes et des avis auxquels les praticiens de soins ambulatoires doivent s’adapter.

Les travaux menés en médecine de ville ne sont que rarement publiés, et ne sont donc pas accessibles à un grand nombre d’autres praticiens, pourtant concernés. Les soins ambulatoires et le secteur hospitalier sont riches d’acteurs qui se méconnaissent et ne rationalisent pas leurs échanges. Il n’est pas question seulement d’essais contrôlés randomisés, ni de travaux sur une pathologie rare. Il s’agit de questions que certains trouveront triviales mais qui se posent au quotidien et méritent des réponses basées sur des travaux réalisés in situ (Rapport Pouvourville, CNRS 2006). Le milieu ambulatoire est donc un lieu de recherche et d’observation très riche et assez peu exploité. S’il n’est pas responsable de l’essentiel des dépenses de santé, c’est le milieu de vie de l’essentiel des patients. Pour prendre l’exemple très actuel de l’hépatite C, c’est celui dans lequel pourraient être recueillies et analysées d’importantes données concernant le dépistage, la prévention, la pharmacovigilance, les co-morbidités ou le suivi à long terme des personnes malades, guéris ou pas.

Le concept de recherche ambulatoire universitaire, qui se développe, permettrait de structurer cette recherche clinique communautaire, en collaboration avec les structures hospitalières qui gèrent des pathologies plus lourdes. La recherche en soins ambulatoires est toutefois soumise aux mêmes règles que tout autre travail de recherche scientifique. Cela demande donc de dégager, outre des vocations, du temps et des moyens, indépendants de l’industrie pharmaceutique. On peut facilement imaginer l’intérêt de la création de cohortes pour suivre les malades guéris du virus C, analyser les réinfections, étudier les porteurs asymptomatiques du virus B, les stéatopathies ou les cholestases a- ou pauci-symptomatiques, améliorer le suivi des cirrhotiques etc…. Si les résultats des études faites à l’hôpital ne sont pas toujours extrapolables aux conditions de ville, il en est de même pour la formation à la recherche. De nombreux DU sont proposés aux professionnels médicaux et paramédicaux qui souhaitent s’intéresser à la recherche. Mais l’essentiel d’entre eux a comme objectif d’offrir des compétences aux chercheurs et à leurs assistants dans un milieu hospitalier et universitaire ayant ce temps et ces moyens (au moins théoriquement). On ne compte ni Assistant de Recherche Clinique ni Technicien d’Etudes Cliniques en ville, sauf cas très isolés.

Depuis la loi HPST, le développement de stage d’internes dans les établissements privés est possible, mais la mise en oeuvre est difficile, pour de multiples raisons, dont un frein académique assez puissant. La refonte de la maquette du DES d’hépato gastro entérologie peut être l’occasion de permettre, par exemple dans le cadre de demi-journées de formation, à nos jeunes collègues de se former à des pathologies fréquentes peu rencontrées dans le cursus hospitalier, découvrir le potentiel « recherche » de la population « extérieure », et d’aborder de façon plus sereine l’éventuelle installation en milieu libéral, qui concernera nombre d’entre eux. Cela doit bien sûr être sous tendu par un cadre formel d’enseignement qui reste à définir.

Au sein de la spécialité, et en collaboration avec des acteurs transversaux (dont nos confrères généralistes), une attitude progressiste et une vision dynamique et partagée de l’organisation des soins dans notre pays devraient nous permettre d’obtenir des données plus pertinentes sur diverses questions concernant des pathologies dont nous connaissons finalement mal le visage à l’échelle nationale. On entend souvent qu’avec la « fin » de l’épidémie d’hépatite C, le domaine des stéatopathies métaboliques constitue le prochain challenge des hépatologues. Voilà bien un domaine qui justifie une ouverture de vue et d’esprit pour aboutir à des résultats réels. Le plus simple est probablement de commencer au berceau. Yes we could…