Les Éditos de l'AFEF

Hémochromatose et don de sang : recyclez !

Par : Bardou-Jacquet Edouard
Centre de Référence des Hémochromatoses / Service des Maladies du Foie, CHU de Rennes

Cette semaine d’information sur l’hémochromatose est l’occasion idéale pour refaire le point sur l’importance du don-saignée. L’hémochromatose est la maladie génétique la plus fréquente en France (potentiellement une personne sur 250 est homozygote HFE C282Y). Le traitement d’entretien par saignée est indispensable pour la prise en charge de ces patients, des dizaines de milliers de saignées sont donc réalisées chaque année. Une question se pose donc depuis longtemps : que faire de ce sang ainsi prélevé ? Une réponse simple de « bon sens » serait d’utiliser ce sang pour répondre en partie aux besoins de l’Etablissement Français du Sang. Ce d’autant que s’agissant d’un geste mal valorisé, beaucoup de structures de soins rechignent à le pratiquer, et l’accès au traitement est parfois compliqué pour les patients.

La première barrière était liée à des questions éthiques, qui se posent quant au côté désintéressé et bénévole du don. L’utilisation du sang de patients, prélevé pour des raisons médicales spécifiques, pourrait-elle pervertir ce principe fondamental ? Un patient pourrait-il être amené à biaiser ses réponses aux questions préliminaires au don dans le but d’avoir accès à son traitement ? Dans le contexte du système de soin français ou l’aspect financier n’intervient pas pour le patient, cette question fut résolue, reposant sur la disponibilité des alternatives au don saignés facilement accessibles aux patients.

La deuxième barrière concernait la question de la toxicité potentielle du sang ainsi récolté. La présence d’une surcharge en fer pouvant être associée à la présence de formes anormales de fer, et donc un stress oxydant, qui pourrait altérer la conservation du sang, mais aussi avoir une toxicité accrue chez le receveur. Des travaux in vitro ont montré qu’il n’y avait pas de différence significative en termes de conservation des concentrés globulaires (1), et les études cliniques n’ont pas mis en évidence de risque de toxicité accrue chez les receveurs (2). Il n’y a donc aucun obstacle théorique à ce que le traitement par saignée des patients, et le don de sang se rejoignent.

Depuis l’arrêté du 18 décembre 2018 (JO n° 0296 du 22/12/2018), et suite à une expérimentation en Ile de France, cette porte s’est ouverte avec le don-saignée. Fruit d’un travail majeur des associations de patients en lien avec l’EFS, le don-saignée reconnaît une procédure particulière qui permet dans les établissements fixes et sous prescription du médecin référent, de donner son sang. Le don-saignée respecte les restrictions et contres indications habituelles liées au don du sang, qui seront recherchées lors du questionnaire de santé effectué systématiquement avant tout don. Il se fait sous la responsabilité du médecin référent du patient, qui lui prescrit une saignée d’un volume de 420ml, ou 450ml ou 480ml, ainsi qu’une périodicité. Le médecin doit par ailleurs préciser que 5 saignées ont déjà été effectuées avec une bonne tolérance. Le don-saignée pourra être effectué dans un site fixe de collecte de l’EFS, et la surveillance clinique et biologique de ce traitement sera effectuée par le médecin référent habituel du patient. Plus d’informations, ainsi que des ordonnances cadres, sont disponibles sur le site de l’expérimentation FERIF : www.ferif-parcourshemochromatose.fr

Il reste encore des obstacles à l’utilisation à plus grande échelle, en particulier la nécessité de réaliser les cinq premières saignées en structures de soins, critère qui n’existe pas pour un don du sang classique, ainsi que la possibilité d’effectuer un don-saignée dans une structure mobile de l’EFS (camion, tente, salle des fêtes…). Ces contraintes freinent l’expansion de cette pratique sans reposer sur des arguments très solides. Un travail avec les EFS, les sociétés savantes (dont l’AFEF) et la Direction Générale de la Santé est en cours, et nous espérons que cela permettra d’élargir cette pratique qui répond à un clair besoin de santé publique. Ce dispositif pourrait jouer un rôle majeur dans l’augmentation des réserves de sang, tout en apportant une solution pratique et éthique au traitement des patients atteints d’hémochromatose.

En conclusion, la semaine d’information sur l’hémochromatose est l’occasion de rappeler qu’au-delà de l’importance du dépistage précoce, le traitement bien que simple sur le plan théorique peut parfois poser des questions pratiques aux patients. Le don-saignée est une réponse sociétalement attrayante à bien des égards, alors n’hésitez pas à recycler !

Références

  1. Sut et al Transfusion 2017;57:166-177. Properties of donated red blood cell components from patients with hereditary hemochromatosis
  2. De Buck et al Journal of Hepatology 2012;57:1126-1134. Is blood of uncomplicated hemochromatosis patients safe and effective for blood transfusion? A systematic review