Les Éditos de l'AFEF

En 2025, on continue à « faire du bruit » pour le Défi de Janvier !

Par : Charlotte Costentin
Service d'Hépato-Gastro-Entérologie, CHU Grenoble-Alpes

Les chiffres des conséquences de la consommation d’alcool en France restent alarmants. En 2024, Santé Publique France a publié de nouvelles estimations indiquant que l’alcool est toujours responsable de près de 40 000 décès annuels dans notre pays, dont 16 000 par cancers, 9 000 par maladies cardiovasculaires et 7 000 par cirrhose. Ces chiffres, bien que proches de ceux de 2015, confirment que la consommation excessive d’alcool demeure l’une des principales causes de mortalité évitable en France. Au plan hépatique, l’alcool reste la première cause de cirrhose et de carcinome hépatocellulaire, comme le rappellent les recommandations de l’AFEF et de la SFA (Société Française d’Addictologie) (1).

Du point de vue collectif, le mésusage d’alcool a des répercussions sociales et économiques considérables. Le coût social de l’alcool, intégrant les dépenses de santé, la perte de productivité et les dommages sociaux, est désormais estimé à 112 milliards d’euros par an, contre seulement 8 milliards pour les drogues illicites. Du point de vue individuel, en tant que professionnels de santé, nous faisons face tous les jours à des situations dramatiques pour nos patients et leur entourage.

Face à ce constat, les efforts de prévention continuent de se structurer autour d’initiatives telles que le Défi de Janvier. Lancé en 2020 en France, cet événement de marketing social inspiré du « Dry January » britannique attire chaque année davantage de participants. En 2024, le défi a bénéficié d’une nouvelle visibilité grâce à une campagne nationale relayée par des associations, des villes et des médias. Une application mobile gratuite, créée par des addictologues et soutenue par la SFA, “MyDéfi”, accompagne tout au long de l’année les personnes qui souhaitent réduire leur consommation d’alcool (par définition des personnes non alcoolo-dépendantes) avec des conseils pratiques et un suivi de leurs progrès. Elle se transforme temporairement pendant 1 mois et devient « MyDéfiDeJanvier » pour soutenir les participants.

Ce « défi » ne vise pas à instaurer une abstinence totale, il n’a pas non plus l’objectif caché d’un retour à la prohibition, avec toutes les conséquences négatives que les États-Unis ont expérimenté au début du siècle dernier. Il vise à encourager un questionnement individuel et collectif de notre relation avec l’alcool en tant qu’individu avec sa propre histoire dans une société encore très ambivalente à ce sujet. Cette année encore, les campagnes médiatiques et les témoignages d’anciens participants incitent chacun à réfléchir à sa propre consommation, constituant une véritable action de prévention collective.

 Il vise également à faire prendre conscience des risques liés à une consommation excessive d’alcool, souvent minimisée à tort, y compris parfois par les médecins, et à favoriser une réduction de la consommation à long terme.  En effet, les bénéfices de cette démarche sont maintenant bien documentés. Les études britanniques ont été complétées par de nouvelles recherches européennes, mettant en évidence une réduction prolongée de la consommation d’alcool chez les participants réguliers. Les participants rapportent en outre des effets positifs significatifs, notamment une amélioration du sommeil, une perte de poids et une meilleure santé mentale (2-5). D’autre part, les résultats d’une étude récente confirment que les campagnes de promotion d’abstinence temporaire d’alcool attirent principalement les buveurs à haut risque et les personnes ayant une consommation d’alcool nocive, c’est-à-dire précisément les personnes qui tireront un bénéfice en termes de santé d’un auto-questionnement sur leur consommation d’alcool (6). Les « curieux de la sobriété », selon une formule reprise dans certains articles publiés en 2024, sont d’ailleurs de plus en plus nombreux. Au total 4,5 millions de participant(e)s ont relevé le défi en 2024.

Pourtant, malgré ces avancées, le Défi de Janvier ne bénéficie toujours pas d’un soutien officiel du Ministère de la Santé, malgré les sollicitations des professionnels de santé avant l’édition de 2024 (lettre ouverte du Collège Universitaire National des Enseignants d’Addictologie), ou les relais dans la presse (comme l’éditorial du mardi 2 janvier 2024 sur France Culture « Pourquoi le gouvernement ne soutient pas le Dry January ? »). Avec 63 partenaires engagés, la pause d’alcool du mois de janvier revient pour sa sixième édition en janvier 2025. Il est temps pour les autorités sanitaires françaises de prendre pleinement la mesure de l’enjeu et de soutenir activement cette initiative, à l’instar de nombreux pays européens. En intégrant le Défi de Janvier dans les politiques nationales de santé publique, la France pourrait franchir un pas décisif vers une réduction durable des méfaits liés à l’alcool.

Alors collectivement ou individuellement, selon sa façon de voir et sa personnalité, lançons-nous le défi de réfléchir à notre relation à l’alcool et prenons soin de nous, de notre entourage et de tous ceux qui ne doivent pas devenir nos futurs patients. Nous soutenons le Défi de Janvier et dans cette période tellement difficile pour de si nombreuses personnes près ou loin de chez nous, nous vous souhaitons une « bien meilleure » année 2025 !

Charlotte Costentin, Jérôme Boursier, Jean-Pierre Bronowicki pour l’Association Française pour l’Etude du Foie

Camille Barrault, Mickael Naassila et Olivier Cottencin pour la Société Française d’Alcoologie

Références

  1. https://afef.asso.fr/wp-content/uploads/2023/06/Recommandations-AFEF-SFA-sur-Prise-en-charge-de-la-maladie-du-foie-liee-a-lalcool.pdf
  2. Mehta BMJ Open 2017
  3. de Visser Health Psychology 2016
  4. de Visser The European Journal of Public Health 2017
  5. https://dryjanuary.fr/
  6. Lespine et al. Front Public Health dec 2024